Camille CHASTANG MAJ 23/11/2022

 
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J’adore mon chat, il est devenu ma muse. Je l’ai déjà dessiné sous toutes ses coutures, puis sculpté, puis peint. Je me suis retrouvée enfermée avec lui pendant deux mois, donc je me suis mise à dessiner des chiens. Je me suis souvenue que j’avais eu envie de de dessiner des chiens depuis ma lecture de « La civilisation des odeurs », de Robert Muchembled. C’est un livre qui retrace l’histoire de l’odorat comme construction culturelle. Dedans, l’odeur tantôt nauséabonde, tantôt florale de la femme y est largement étudiée et dans un des chapitres on peut lire : « La puanteur féminine hante l’imaginaire culturel aux 16e et 17e siècles. Lorsqu’ils doivent représenter le sens olfactif, les artistes y font très souvent allusion. Une estampe anonyme « Les plaisirs de la vie », dépeint l’odorat sous l’aspect d’une jeune dame de qualité, assise à table, tenant une rose de la main gauche. Sous sa manche, du même côté, se blottit un chien minuscule. (…) Réputé pour son flair inégalable, le meilleur ami de l’homme est très fréquemment associé à une figure féminine dans la description picturale de l’olfaction. (…) Cesare Ripa propose comme modèle aux artistes, une femme debout tenant des fleurs et un vase de parfum, avec un chien auprès d’elle, (…) dont la truffe se situe au niveau de son giron. Sous les apparences poétiques gît le véritable sens : rien n’est plus malodorant que l’organe féminin. » Sous les apparences poétiques gît le véritable sens. Il semble donc que les représentation un peu mièvres de jeunes filles caressant leur chien soient en fait les traductions d’une pensée un poil misogyne. Mince, je me mets à les regarder différemment.

Lise m’a montré un jour le travail de Robert Zakanitch, j’aime ses peintures. Il fait partie du mouvement Pattern and decoration, que j’adore parcequ’il revendique une sorte de sensualité dans le dessin et de plaisir assumé pour le beau ! Mais j’ai aussi découvert que Robert Zakanitch a illustré Good Dogs, un livre pour enfant qui compile des peintures à la gouache de différents chiens. Je suis fan de ce livre ! Ça me plait de penser que Zakanitch s’est un jour dit « Je vais peindre des motifs all over, super maximalistes et colorés, mais aussi des chiens ». En même temps ça semble logique parcequ’il trouve que, je cite “Tout le monde recherche quelque chose d’extra-ordinaire, d’exceptionnel (...), mais tout est autour de nous— les fleurs, les animaux, ... (...) et les couleurs, tout est magnifique.” Mais grave !

J’ai aussi été visiter virtuellement une exposition sur les chats dans l’histoire de l’art. Affalée dans mon canapé, mon chat dans les bras, j’étais l’image en miroir du portrait de Julie Manet et son chaton. Une note explique que l’on offrait des chatons aux petites filles pour qu’elles apprennent à devenir de bonnes mères. Bon, donc chien et chat, même combat dans le façonnage de la femme occidentale. Il existe aussi probablement un lien entre le statut « domestique » de ces chats, chiens, colombes, statut renforcé par les rubans et les ficelles qu’on leur noue joliement autour du coup lovés dans des bras qui les enserrent, et la dépréciation de ce genre de peinture. Je veux dire « domestique » à la fois comme domestiqué, mais aussi comme appartenant à l’espace intime, ce qui dans les deux cas ne fait pas toujours rêver. Mais ça j’en parlais déjà dans mon mémoire.

J’ai découvert tout un tas de peintresses géniales :
- Lotte Laserstein a peint un autoportrait d’elle avec son chat. Elle est à l’atelier, en blouse blanche devant son chevalet, prête à dessiner. Elle tient un chat sur ses genoux. Je suppose qu’elle a voulu le représenter parcequ’elle l’aime, Internet propose plutôt une version dans laquelle le chat serait symbole d’indépendance. Les deux hypothèses me vont ! Les artistes femmes semblent privilégier l’« autoportrait en artiste » – une subversion en soi –, comme un moyen d’affirmer leur savoir-faire. Pourtant, les commentateurs, et ce jusqu’à la fin de l’âge classique, se montrent surtout prompts à mentionner la beauté comme qualité première de la peintresse.
- Basile m’a parlé de Karen Kilimnik. Elle peint des chiens et des chats dans des petits paniers en osier à frou-frou.
- Il y a aussi Jesse Mockrin qui reprend dans ses peintures des détails de peintures françaises roccocos. En recadrant dedans, elle choisit souvent de ne garder que le joli petit chien aux pieds, ou sur les genoux d’une dame.
- Et puis encore Gwen John, peintresse et aquarelliste oubliée, qui adorait les chats. Serai-ce lié ?

Extrait du texte sur ma chambre rêvée : « Ensuite sur le lit il y a un chat, mon chat. Ça me fait penser à la phrase de Mona Chollet dans son livre Chez soi : « Les chats ont cette habitude caractéristique : lorsqu’ils ont repéré un emplacement qui leur parait confortable, (…) ils le pétrissent de leurs griffes à n’en plus finir, en ronronnant à plein régime, comme si l’anticipation du plaisir était déjà un plaisir. Ce moment où ils s’y laisseront tomber d’un petit déhanchement, se coulant dans le creux mœlleux qu’ils auront amené à la température idéale, ils le retardent à l’infini, conscient d’avoir la vie devant eux. Le temps qu’ils mettent à le préparer n’a d’égal que le temps où ils y resteront lovés, formant un cercle parfait, le museau enfoui dans les pattes, comme s’ils étaient sortis du temps (… ) » Souvent, j’aimerais être un chat. »

Je me rappelle d’un dessin de Théophile Steilein que Tracey Emin avait choisi d’exposer au musée d’Orsay pour son exposition « The fear of loving ». C’était assez émouvant : elle avait sélectionné des dessins de la collection du musée qui pour elle exprimaient l’amour. Et donc il y avait ce magnifique dessin de chat. Un chat noir roulé en boule dont on ne distingue presque que les yeux. Il est dessiné au fusain sur un papier bleuté. C’est incroyable la façon dont le soyeux des poils est vraiment juste évoqué à l’aide des traces du crayon qui a carréssé le papier. Il faut vraiment le voir en vrai, pas seulement en photo. Il faut vraiment le voir en vrai pour ressentir toute la sensualité entre le chat, le papier et l’artiste. Ça me touche parceque j’aime vraiment dessiner, je veux dire que c’est vraiment ce qui me fait du bien, et parfois je reconnais que je choisi des sujets parcequ’ils sont agréables à dessiner. Les chats en font partie. Je sais que tout va être à propos de courbes, de douceur; de ma main qui va devoir tourner délicatement au niveau du museaux et qui pourra faire de grands cercles joliement arqués pour souligner les hanches, et puis ensuite arrive le plaisir de suggérer les pils par des jeux graphiques de traits déliés, à l’encre ou au crayon. Dans une interview « Chez elle avec son chat », des archives INA, Micheline Dax raconte entre deux griffures : « J’adore les chats, c’est un ornement perpétuel, c’est une œuvre d’art en marche. Quelque pose qu’ils prennent, c’est superbe, c’est d’une élégance magnifique ! »

Aussi, pendant le confinement, j’appelle mon amie Jeanne. Elle me raconte qu’un de ses copains s’est mis à la peinture et me montre des photos de ses toiles. Tout est terrible ! J’apprends que ce même copain a été regarder des photos de mes dessins sur Instagram et s’est marré avec ses amis en disant que « lui au moins faisait de l’art engagé, pas des dessins de petits chats qui se roulent dans des fleurs ! ». Il a ensuite ajouté que son idée, c’était de vendre à la mère d’une amie collectionneuse une toile vierge avec son rib agrafé dessus, pour la modique somme de 5000 euros. Que ça c’était stylé, et qu’elle allait adorer, la maman collectionneuse.
Ça m’a d’abord rendue triste, et puis je me suis dit qu’il avait raison, pour finalement me dire que non, il avait tort et que probablement mon travail n’était pas seulement a propos de petits chats trop mignons, et c’est tout. Enfin si justement, c’est une armée de petits chats en réponse à « l’art engagé » de ce mec et aux goûts douteux et minimalistes de la maman collectionneuse. Plein de petits chats avec des nœuds roses autour du cou qui viendraient s’allonger sur les monochromes blancs pour y laisser des poils multicolores, plein de petits chiens avec des manteaux à fleurs qui viendrait salir les murs blancs du White Cube. Typiquement le genre de chose qui ne plait pas aux hommes comme mon père, par exemple. Et c’est tant mieux ! Ça me donne envie de rajouter encore plus de nœuds, de fleurs, de fanfreluches, de trucs et de machins. Juste par esprit de contradiction.