Camille CHASTANG 

Violets are blue and my garden is you, vues d’exposition personnelle, galerie Double V, Marseille, février – avril 2023
Dessins sur papier encadrés et accrochés sur un papier peint imprimé puis marouflé au mur, vases en faïence émaillée
Crédit photos Jean-Christophe Lett
 
 
 
 
 
 
 
 
Extrait du texte de Marie Maertens, 2023

Beaucoup de premières fois ponctuent cette exposition de Camille Chastang à la galerie Double V de Marseille. Premier solo au sein de cet espace, mais aussi premières monstrations d’une partie plus intime du travail, portant sur la « bonne amie » de l’artiste. On traverse ainsi de grands formats de fleurs aux messages explicites pour qui connaît leur langage, puis on découvre des céramiques inédites sur des papiers-peints qui poursuivent les précédents travaux présentés à la Villa Arson, de Nice, ou a la Drawing Factory, de Paris, avant de s’approcher de délicats portraits d’Héloïse. Ce qui nous semble parfois le plus simple, décoratif, voire anecdotique permet d’y glisser bien des messages…

Depuis le début de sa pratique, Camille Chastang aime dessiner et représenter des fleurs, ce sujet si faussement naïf. Ainsi, si l’on observe ses espèces, elles se déclinent en violettes, lavandes, iris, lys ou roses des chiens… de celles qui symbolisent l’amour homosexuel entre deux femmes. A partir du 19e siècle, la tonalité pourpre va en effet progressivement devenir le symbole des luttes féminines. L’historienne Sarah Prager, spécialisée dans les questions LGBT, ayant même relevé que les vers de la poétesse Sapho contenaient déjà de nombreuses références à cette couleur. D’autres l’analysent comme un emblème d’égalité puisque le violet se révèle un mélange de rose et de bleu, tout en étant moins mièvre et enfantin, ou moins dramatique que le rouge. Éclatant sur la feuille, la prenant dans son entièreté en laissant peu de place au blanc, la fleur de Camille Chastang se fait puissante. Particulièrement dans les grands formats, elle impose sa superbe et nous confronte à ses feuilles aux évocations parfois clitoridiennes ou ces pistils aux connotations non moins érotiques. Les tonalités exultent, deviennent denses et affirmées, puis, de plus petits formats vont répondre aux délicats portraits dédiés à l’amoureuse, qui se nomme Héloïse. Avec sa « bonne amie », selon un langage référencé d’antan, elle s’est amusée à développer les coutumes de la peinture miniature, qui permettaient d’étayer des messages codés quand le male gaze était totalement dominant. Après les mises en scène ou les poses en costume - où l’on imagine l’ensemble de jeux entraînés dans leur sillage - une dernière série, au cadrage plus resserré et réalisée uniquement au crayon, émerge. Comme s’il fallait se défaire du superflu, afin d’atteindre l’essence du personnage. Le trait pourra alors apparaître presque timide, de cette délicatesse un peu chevrotante que l’on éprouve devant l’être aimé, tout en donnant à l’artiste la possibilité d’alterner son geste, entre de grandes élancées de couleurs et des tracés plus mesurés de crayon.

Ces herbiers et portraits sont complétés - notamment par le médium de la céramique - de nœuds divers et de froufrous, car une exposition de Camille Chastang ne serait achevée sans ces délicieux déliés quelque peu surannés. Ils pourront nous évoquer les fanfreluches de Marie Antoinette, mais aussi les périodes de l’Art & Craft ou de l’Art Nouveau que l’artiste a beaucoup regardé, comprenant que ce qui avait trait au plaisir, à la souplesse ou à la sensualité avait vite été réfréné dans l’histoire de l’art. Parfois qualifiés de nouille ou de kitch, ces mouvements furent remplacés par une approche à nouveau plus droite et plus sérieuse… en un mot, plus masculine. Mais les femmes pouvaient toujours exister en représentant des fleurs… tout comme celles qui n’étaient pas autorisées à poursuivre des études pouvaient bien se consacrer à la botanique. Nul n’y craignait le moindre danger… Certaines, à l’exemple de Rosa Luxembourg, ou Mary Delany, réussirent à se faire un nom en tentant de s’imposer dans le monde par une vision organique, opposée à celle, mécanique, du pouvoir dominant, écrit Camille Chastang, dans son essai « Au fond, la fleur ». Au cœur de ce texte, elle note que les scientifiques contrôlent la nature, pour en venir à la conclusion qu’aux hommes reviennent les outils, la maîtrise technique et la forme, puis aux femmes la matière, la nature et le fond. En se laissant happer par son plaisir du faire, et en refusant toute hiérarchie des genres et des styles, Camille Chastang octroie une large place à l’improvisation. Elle offre à la pratique du dessin, longtemps concédée aux rôles des épouses, une véritable expérience et une jouissance assumée. La surprise ne se délivre jamais dans son sujet, somme toute développé depuis des siècles, mais dans cet état lâché, exalté qui l’entraîne à figurer ses feuillages ondulants et sensuels, ses formes ondoyantes. Mais encore en mêlant les tonalités vives de l’aquarelle à l’eau, en s’échauffant dans cette humidité, en y apportant une allégresse qu’elle culpabilise parfois à ressentir devant son travail… avant de s’y replonger à nouveau !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
     
     
 
     
 
 
 

La Bonne Amie, en référence au livre de Marie-Jo Bonnet « Les deux amies », un essai sur le couple de femmes dans l’art, est une série d’une vingtaine de petits portraits au crayon sur papier d’Héloïse, mon amoureuse.
Ces portraits reprennent les codes de la peinture de portraits miniatures (le format, les poses...). La miniature, genre artistique historiquement associé aux artistes femmes, « était par excellence un art de l’intimité, de la sentimentalité. Elle permet de garder une trace de soi, ou de l’autre, de son existence ».

Ainsi m’apparait en filigrane l’association suivante : la miniature est un genre exclusivement pratiqué par des femmes qui font des portraits intimes d’autres femmes, les êtres aimées. Donc je commence à me dire que toutes ces images, ces portraits que l’histoire de l’art nous a toujours appris à regarder comme mineures, comme des petits dessins d’amies complètement naïves se dessinant entre elles, sont peut-être en fait des œuvres queer, subtiles et cryptées, que l’on doit apprendre à re-regarder.

Cette série propose également de réfléchir à la question du male gaze, ou regard masculin, un concept désignant le fait que la culture visuelle dominante imposerait une perspective d’homme hétérosexuel, et de comment le contourner : qui regarde qui ?
Je dessine d’après nature ou photo. J’ai collecté un certain nombre d’images de miniatures peintes, toutes par des femmes, que j’ai ensuite montrées à Héloïse. Mon idée était que l’on s’en inspire sans en singer les codes. Nous avons toutes les deux un goût assumé pour l’histoire du costume et des textiles et Héloïse s’est donné carte blanche pour créer elle même des tenues et des attitudes inspirées de ces miniatures. Elle pose ensuite pour moi qui la dessine. En regardant ces portraits, j’aimerais que l’on ressente ces moment de complicité, d’amour et d’intimité.

À travers ces petits formats, je propose de repenser le genre même de la miniature qui semble être complètement exclu du champ de l’art contemporain.

 
 
 
     
 
 
 
À droite :
Hélo d’après Gerda Wegener et Hélo est Lili Elbe (d’après Gerda Wegener), 2023
Encre, gouache, crayon, feutre, strass sur papier, 50×20cm
Crédit photo Jean-Christophe Lett
 
Retour