Caroline TRUCCO 

 
 
 
 
 
 
 

Vues de l'exposition personnelle Oui, mais des mots étendards, Mamac, Nice, 2023
Commissariat Rébecca François
Courtesy de l’artiste – © Adagp, Paris, 2023
Crédit photos Jean-Christophe Lett

 

Pour cette exposition au Mamac, Caroline Trucco présente un ensemble d’installations dans lesquelles elle tisse et entrelace histoire personnelle et collective dans le but de les sortir de l’ombre. Elle fait surgir des récits méconnus ou occultés et pointe des mécanismes similaires au service de la violence.
Une violence en deux temps aboutissant souvent à retirer l’autre de l’Histoire, l’autre jugé indigne de mémoire. Règne ici une prise de possession des corps. Il y a les corps qu’on contrôle, celui des femmes, celui des ex-colonisés que l’on retrouve dans le corps des migrants, le corps des résistants d’une guerre passée sous silence. Les formes artistiques pensées et mises en scène par l’artiste font office de témoins amplificateurs face à ces histoires bafouées.

Ces narrations s’entrechoquent, elles nous parlent de prédation et de domination.
L’omniprésence de la statuaire et de son image exprime la blessure faite au corps et sous-tend l’acte salvateur d’une réparation. Le bois devient chair et inversement.
Ces représentations de fragments de corps évoquent l’humain à mi-chemin entre l’immobilisme de la statue et l’élan de la prise de parole. Démanteler le carcan qui réduit au silence.

Dans l’exposition il y a aussi ces mises en scène d’objets de collection qui utilisent les codes muséographiques occidentaux à travers lesquels l’artiste critique le musée ethnographique vu comme réceptacle d’objets morts.

Caroline Trucco tend de mettre sur le même plan des actes de dépossession. La dépossession qui opère face à un viol, face aux pillages exercés par l’entreprise coloniale, face au contrôle de la circulation des migrants cloisonnés dans des espaces imposés par d’autres. La dépossession dans l’amputation des récits et des fonctions des objets africains expatriés de force mais aussi celle qui opère quand l’Histoire officielle s’écrit sous le prisme du silence et des blancs politiques.

Caroline incarne la voix des descendants des ex-colons encombrés par l’histoire coloniale qui se demandent comment se positionner et composer avec cet héritage-là  ; héritage rattaché à une période qui s’est déroulée antérieurement à leur venue  au monde.

Caroline Trucco veut faire entendre les corps et «  l’assiégement  » mental de ceux et celles ayant subi des violences et dont on a réquisitionné les récits intimes. Il est question de délivrer le chant déchiré de l’humain car l’intime est résolument de l’ordre du politique.

 

 
Caroline Trucco développe une démarche artistique liant, avec poésie, enjeux ethnographiques et politiques. Conteuse, elle essaime, dans les espaces d’exposition, des récits de lutte et d’émancipation. Photographies, installations, vidéos parlent de voyages, d’objets, de rencontres, d’histoires personnelles et collectives.

L’exposition restitue avec poésie les investigations et réflexions que l’artiste mène depuis une dizaine d’années. Cet esprit nomade tisse liens et projets en Afrique de l’Ouest notamment. Ces récits situés (ceux d’une jeune femme blanche sur ses rencontres avec l’histoire et les peuples africains) ouvrent sur les notions d’exotisme et d’identité, de rapports à l’Autre et à l’Histoire, de perceptions de l’Ailleurs. Ils font surgir des histoires tues, méconnues ou occultées.
À l’instar de Michel Leiris, de Claude Lévi-Strauss, d’Alain Resnais, Caroline Trucco questionne les techniques d’enquêtes et d’analyses ethnographiques pour déconstruire leurs mécanismes. Son oeuvre subjective et sensible entremêle souvenirs de voyage, enquêtes de terrain, connaissances historiques et réflexions philosophiques, politiques, artistiques et littéraires (Aimé Césaire, Édouard Glissant, J.M.G. Le Clézio, Amina Saïd, Marielle Macé…).

Artefacts (statuettes, lances, masques) et dispositifs muséographiques sont détournés de façon à interroger le statut des objets africains et leur vocation future. Scénographies, textes et jeux de reflets prennent à partie le public. Certains détails évoquent l’enfance, d’autres, l’exil, la violence, la domination et le silence, d’autres encore, la réparation, le soin, la lutte.

Ces regards croisés et intimes sont à la frontière de l’écriture et de la parole, de la photographie et du document, de la politique et de la poésie. Ensemble, ils inscrivent l’acte de création dans un horizon pluriel et partagé. « Oui, mais des mots étendards » en appelle aux visiteurs et visiteuses avec engagement et émotion. L’exposition dessine, plutôt qu’un continent, des fragments de géographies poétiques aux ramifications multiples.

Rébecca François
 
dossier de presse
 
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