Olivier CABLAT 

Lire l'entretien avec P. Nicolas Ledoux, 2017, Optical Sound Numéro Cinq (PDF - Fr)

Lire La forme du livre : une nouvelle spatialité - À propos du livre Enter the pyramid, par Giaime Meloni, 2016 (PDF - Fr-Eng)

Read The spectacle of Hypertext - About GALAXIE project, by Nicolas Giraud (PDF - Eng)






Merveilles du monde - à propos du projet EGYPT 3000, 2012

En Egypte, en Italie, les sites de fouilles sont rognés peu à peu par l'expansion urbaine. S'il y a conflit entre les savants et les promoteurs, c'est que les archéologues luttent par nature contre le mouvement constant de sédimentation qui caractérise la vie urbaine. Chaque présent paradoxalement est amené à devenir une strate de passé, y compris les strates supérieures. Ces objets qu'il suffit de ramasser ne sont pas si différents des objets sortis du champ de fouille. On y retrouve, à plusieurs siècles de distance, les mêmes motifs, les mêmes signes, certes le vocabulaire antique y est instrumentalisé, détourné de ses fins premières à des fins commerciales. Il est difficile de dire si l'histoire tragique se répète comme farce, car les définitions même de tragédie et de farce évoluent en même temps. Le discours se répète, mais il reste assujetti à un pouvoir. Ce qui change finalement, c'est que rien ne change. Les pyramides, les temples définissent l'Egypte et le pays vit par une exploitation du passé. En cela il dit sa dépendance, moins à l'histoire qu'à une identité commerciale, à l'existence d'une marque. Ce n'est pas l'histoire égyptienne qui est rejouée, c'est le regard étranger sur l'Egypte, c'est via l'industrie touristique la question d'une énième colonisation, la condamnation à répéter les signes vides du passé. Egypt 3000 c'est sport 2000 optique 2000, le même ringard, le même rapport artificiel et symbolique au temps. C'est l'Égypte comme supermarché de sa propre culture.

Olivier Cablat ne fait pas que mettre au jour ce commerce des signes. Il les inscrit dans une démarche simili-scientifique. À la comédie du folklore égyptien, il confronte la comédie de l'archéologie et ses tics de classement. Appliqué au présent, la syntaxe archéologique et les légendes qui accompagnent les images révèlent leur désuétude. En appliquant avec ironie la doxa archéologique au présent, Olivier Cablat produit une inversion temporelle. Les protocoles sont ici plus ancien que les objets étudiés. La discipline apparaît datée, inscrite dans le temps. Ainsi, la pompe et le sérieux appliqués aux scories d'un système marchand prête à rire, mais en même temps donne à voir combien le geste

scientifique est la rencontre de deux idéologies. En choisissant un sujet trivial il met en lumière la hiérarchie que suppose la logique scientifique, l'hypothèse d'une instance supérieure qui détermine l'ordre des choses. En ridiculisant cette autorité il court-circuite l'ensemble des relations entre l'instance scientifique et le sujet historique pour renvoyer dos à dos les deux systèmes.

Egypt 3000 s'inscrit dans une dialectique ou le sujet et l'image comptent autant que leur mode de présentation, en cela le corpus se place dans une réflexion plus générale sur le document et la photographie. Il reflète les doutes quant à l'apparente transparence du style documentaire : Il utilise ses codes mais s'en affranchit à chaque fois. Il n'y a aucune complaisance chez Cablat, mais en même temps aucune dépréciation. Lorsqu'entre 2000 et 2008, il constitue un répertoire de discothèques, il photographie seulement les façades des boites de jour, frontalement. Il montre les architectures sommaires et leur implantation dans les abords des villes. Il classe ensuite les discothèques en fonction de leur nom et des imaginaires qu'ils mobilisent (pêle-mêle : Le Galaxie, la Nitro, Las Vegas, le Miami,...). Tout ces choix sont moins neutres qu'ils ne paraissent, fruit d'une prise de distance critique avec le sujet et avec sa représentation. En photographiant ces bâtiments-enseignes, il introduit le langage dans l'image et questionne la valeur symbolique de lieux doubles : Le Miami, sur la RN64 dans la banlieue de Nimes, le Louxor sur la départementale 320 dans la zone commerciale de Trinquetaille...

Les images égyptiennes partagent ce décalage critique. Certaines sont retouchées, d'autres rapprochées ou assemblées. Le corpus se compose de multiples sous-ensembles. Chacun possède sa propre logique, chacun est chargé de poser une idée, une hypothèse, telle « L'allégorie de la Caserne », panoramique composite qui à partir de quelques hommes en armes recrée une armée en marche. Il ne s'agit pas tant de manipulation, que d'interprétation, ce que documente Olivier Cablat c'est moins une présence effective de l'armée qu'une idée de l'armée, le sentiment paranoïaque de démultiplication qu'instaure sa présence.

Il ne faut pas se méprendre, l'enjeu n'est pas celui d'une conformité au réel, c'est également d'image qu'il est question. Il ne s'agit pas d'élucider les signes, il s'agit avant tout de mettre en lumière leur commerce, leurs modes de circulation. Ainsi le recueil de pyramides, concaténation d'images, dit la diffusion d'une forme au delà d'une simple logique politique, économique ou historique.* Il s'établit une approche prudente et ludique de l'image photographique. La forme documentaire s'y réécrit sans cesse, désamorçant le potentiel totalitaire de l'image, traversant une iconographie de pouvoir et de contrôle sans y participer, y introduisant le doute et la fiction.

Car ces travaux portent en eux l'idée que toute mise en ordre du réel est une manipulation et par là ne peut être que contextuelle, temporaire et locale. Les documents ordonnés et proposés par Olivier Cablat sont des documents autocritiques. L'humour qui les encadre nous empêche d'oublier que la photographie n'est pas seulement un outil de connaissance, mais est, elle-aussi, une marchandise.

On réalise alors combien notre rapport au réel, loin d'être pur et désintéressé, n'est après tout que le constant remixage de signes qui nous échappent. En détournant son regard du champ de fouille pour observer la dissémination des motifs antiques dans le monde contemporain, Olivier Cablat réactualise notre représentation de l'Orient. Il propose une version critique de l'orientalisme, une invention occidentale où transparaît l'arbitraire d'une lecture souvent fictionnelle, esthétique et fantasmatique. Ce qui s'expose avec rigueur et ironie, c'est le commerce massif qui est fait de la connaissance, c'est, sous couvert d'histoire, les éléments d'un recyclage permanent : vider les poubelles d'hier pour remplir celle de demain.

Nicolas Giraud, 2012