STAUTH & QUEYREL 

OUI, DU FOOTBALL ACADÉMIQUE,
NOUS SOMMES ININTELLIGENTS – 1924


Le stade, comme la rue, est le terrain d’un affrontement, mais, circonscrit dans l’espace de l’arène, celui-ci est ritualisé. Ce point de rencontre entre les différentes forces économiques, sociales, politiques de la ville, génère des formes symboliques qui permettent d’identifier et d’unifier cette texture. L’apparence extérieure du public se trouve dès lors réglée par des « coutumes » précises, autrement dit, parée d’un « costume » collectif.

Dans cette configuration, les supporters ont un rôle de porte-parole. Ils orchestrent les mises en scène de cet apparat et les images, textes, spectacles qui prennent corps dans le stade ont pour mission de transmettre une culture et une identité. Cette prise en charge, par le public, de sa propre médiatisation implique en retour une non-reconnaissance des instances habituellement commises à cet effet. Ainsi, lorsque TF1 se déplace à Munich lors de la finale de la coupe d’Europe (1), c’est tout le programme en direct de la chaîne qui se trouve chahuté, malmené par les supporters marseillais : Pendant ce temps, Dechavannes subit un juste retour de bâton, avec des invités (pour une fois) qui ne se laissent pas ridiculiser. Les Marseillais lui font vivre un véritable enfer (Christophe, qui sème le vent...). Quant à PPDA, il se souviendra longtemps de sa soirée à Munich (2).Et, les slogans qui clament l’indépendance face à un système centraliste, qu’il soit sportif, juridique, politique..., trouvent un écho dans ce fonctionnement propre au stade (autodétermination de son « image », exclusion de « tiers » qui la parasitent et tentent de la récupérer à leurs propres fins).
A travers les différentes expressions du stade, c’est une forme de la démocratie qui se parle et par laquelle la « Vox populi » trouve un moyen de se faire entendre, d’opposer une parole (multiple) à un pouvoir (unique).

IMAGES
L’iconographie utilisée puise dans la culture populaire : TV, cinéma,”comics”, jeux vidéos, musique, etc. La particularité des images du stade réside plus dans la manière dont elles circulent et s’associent, que dans leur originalité propre. Il n’est pas question d’inventer des signes inédits et d’en avoir l’exclusivité, mais plutôt de choisir des images qui aient la mesure du partage.

TEXTES
La formule « Fier d’être… » trouve ses origines à Naples, elle a été revendiquée et adaptée par les marseillais et circule maintenant dans les stades de France. Ainsi, une forme peut être reprise et investie, si elle a fonction de générique. Autre exemple, le slogan « Qui ne saute pas n’est pas… » et cette anecdote après la victoire de l’OM contre le Milan AC : « Nous sommes tous rentrés dans les mêmes métros, italiens et marseillais. Certains milanais chantaient même la Marseillaise. Ce fut la liesse générale. Un petit groupe de sept à huit Milanais nous a même chahuté en se mettant à chanter « Qui ne saute pas n’est pas milanais ». Rires dans le wagon où nous nous trouvons. Puis nous leur rendons la politesse, mais à dix ou vingt fois plus !” (3)
Les modèles utilisés pour les chansons ont été déjà largement consommés : Côté italien, c’est la chanson phare du club qui résonne dans le Virage Sud. Le Virage Nord, côté marseillais, résonne au son des GIPSY KINGS et de « Volare » (4). Tout le monde doit les connaître pour, dès lors que le stade s’en empare, être sublimés et dépassés.

SPECTACLES
Les différents groupes de supporters fonctionnent par émulation et non par élimination. Il ne s’agit pas d’être le seul mais bien d’être le meilleur, de reconnaître une altérité en se mesurant à elle. Cette gestion d’un espace de la citoyenneté est très élaborée. Les groupes sont liés les uns aux autres par l’objectif à atteindre, la victoire et doivent leur singularité à la mise en scène de gestes de défi et de bravoure, les tifos : “Sur le terrain, il y a une démonstration folklorique ; dans les gradins aussi d’ailleurs : murs d’écharpes, grecques, etc... Tout le registre y passe du côté marseillais. Pour les milanais, de grandes voiles rouges et noires ont l’air de marcher au-dessus du public. C’est du plus bel effet. [...] Dans les tribunes, les tifos sont partout : côté milanais, des bandes plastifiées forment « FORZA MILANO ». De notre côté, les Marseillais ont des milliers de Pom-Poms et le tout est encadré par de grandes lettres bleues qui forment le mot « VAINCRE » avec une croix marseillaise à chaque extrémité.” (5)
Dans le stade, c’est à une manière d’éducation sentimentale aux valeurs qui façonnent l’imaginaire de sa ville (6) que chacun est convoqué ; une manière de vivre ses mythes et ses symboles au présent, à l’intérieur de ce que d’aucun envisagent comme une aliénation irréversible : la société de consommation.
CQPS

(1) Coupe d’Europe des clubs champions, finale OM/Milan AC, 1993, Munich.
(2), (3), (4) et (5) E. Lacroix, SUP’ MAG, juin 1993.
(6) C. Bromberger, « Droit au but », revue Marseille, n° 159.

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