Pascal BROCCOLICHI 

Sélection de dessins de la série micropure

ULF.47 2OO6
Série micropure
Tirage lambda contrecollé sur dibon, 124 x 82 cm, édition à 3 exemplaires

ULF.45 2OO6
Série micropure
Tirage lambda contrecollé sur dibon, 124 x 82 cm, édition à 3 exemplaires

ULF.49 2OO6
Série micropure
Tirage lambda contrecollé sur dibon, 124 x 82 cm, édition à 3 exemplaires

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Les dessins de la série Micropure composent des environnements sans frontière précise.

Extrait de la conférence Surfaces de propagation, 3ème Symposium Locus-sonus, 16 novembre 2006, Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence

C’est sans doute parce que cette pratique s’appuie sur des systèmes de représentation des espaces, que je considère aussi le dessin comme un processus similaire à celui du soundscape. Il est basé sur des règles de projection dans lesquelles les effets de relief figurent des trajectoires mentales, comme des îlots de pensées qui viennent perturber ou entretenir le développement initial de lecture.
La présence du visuel ne joue jamais dans mon travail, un rôle accessoire. Elle assure un statut tout aussi important que celui du dispositif sonore. Si les itinéraires de propagation d’ondes que génèrent mes installations, décrivent des tracés géographiques, la présence du visuel vient aussi augmenter ce jeu de localisation en encourageant les déplacements des spectateurs entre chaque scène potentielle. Mon projet consiste donc à amorcer des narrations dans lesquelles l’ordre d’investigation se fait de façon séquentielle ou linéaire selon le choix, sur un itinéraire contingent avec celui des sons ; la lecture construit ici de véritables formes de moments 9 qui modulent et fusionnent progressivement les blocs de sons avec une multitude de récits vraisemblables.
Ces dessins composent la série Micropure commencée en 2004, un inventaire sans limite d’antennes émettrices ou réceptrices, de dispositifs à générer des sons, de sites d’observation. Ils évoquent un univers crépusculaire dans lequel aucun lieu n’est repérable, ni aucune zone reconnaissable. Ce n’est pas pour autant un monde absent, puisqu’en partant des principes de la 3D axonométrique, j’imagine (toujours à l’échelle : 1) des structures qui demeurent dans un rapport de réalité relative. D’un point de vue architectural, elles sont donc plausibles puisqu’on pourrait toutes les concevoir à partir des proportions planifiées dans les dessins. Les outils de modélisation tridimensionnelle me permettent aussi dans certains contextes, de tracer l’origine de futurs projets d’installations sonores.
L’ensemble de la série Micropure se caractérise par des atmosphères sans contraste. J’utilise une méthode de modélisation dite « par subdivision de surfaces » à partir de laquelle, chaque apparition de la ligne horizontale dans le (décor), décrit une combinaison paramétrique qui sépare toujours 2 milieux issus du minéral, du liquide ou du gazeux. Ces différents milieux désignent à eux seuls un réseau imaginaire de points de fuites, dans lequel un sujet (différent à chaque dessin) vient se positionner. Depuis ce principe de composition simplifi é, je peux tout aussi bien déployer des horizons sans limites, disjoints ou improbables, que construire des points de vue réalistes. Face à cette démarche, dire que mes dessins naissent de modèles virtuels serait presque un paradoxe puisque dans ces environnements aux lueurs diaphanes où la géométrie topologique est réduite au minimum, il demeure néanmoins une prise avec la réalité.

Les dessins entrent en résonance avec l’installation de Sonotubes, tout en s’affirmant non illustratifs, selon un principe de rencontre et d’autonomie. Les oeuvres visuelles « relatent une certaine réalité, un récit potentiel, séquentiel, de dessin en dessin », livrant en 3D – ce qui accentue l’effet de réel – des objets dans l’espace vide : une tour de 60 mètres de hauteur, une banquise de 5000m2. Ces objets possèdent une ambivalence qui leur vaut de sembler dans le même temps absolument virtuels, susceptibles de se métamorphoser, de se défaire, et absolument réels. Il en est de même de l’espace dans lequel ils s’inscrivent, tout à la fois un monochrome – avec le potentiel infi ni d’interprétation que l’on sait – et au contraire un espace fi guratif de signes, les lignes suggérant la terre, l’eau, le ciel, la glace… « un cabinet d’utopies » comme l’indique l’artiste.
Pascal Broccolichi utilise des logiciels d’architecture pour concevoir ces bâtiments, ces structures organiques, ces machines de capture de sons interstellaires et de diffusions qui sont comme autant de dispositifs réalisables. Techniquement, les objets sont dans un premier temps modelés, construits physiquement selon des surfaces et des vides, en une ossature fi laire, torique, puis habillés. La texturisation se fait selon un choix de matière parmi d’infi nies possibilités, des brillances ou des matités, un « facettage ». Ainsi se construit une ambiance, une atmosphère, que l’artiste a voulue ici « diaphane » et « éthérée », contrairement à la surenchère d’effets spéciaux qu’induit habituellement l’emploi de logiciels de 3D.
Pascal Broccolichi instaure ici une tension inédite entre la figure et le fond, l’objet et son environnement, l’abstrait et le figuratif, la réalité et l’imaginaire, le contexte réel et la fiction, qui semblent, comme en un ruban de Möbius, indissociables. Par tension, entendons ici un jeu de construction et de neutralisation dont il apparaît assez rapidement que ce jeu concerne aussi bien la matière que « l’énergie » : « Ce n’est pas l’environnement qui construit, explique Pascal Broccolichi, il neutralise ». Les dessins sont un « jeu de la figuration dans l’extrême précision, l’effet ténu des choses» mais leur ambiguïté est aussi un appui pour que le spectateur « glisse à autre chose ».

Confronté à cette intrication image/son, le spectateur est invité à s’engager dans une relation subjective avec l’oeuvre. Son parcours dans l’exposition se fera très vraisemblablement sous un mode immersif, avec la conscience qu’il le réalisera dans un environnement hétérogène à partir de plusieurs conversions d’échelles (du gigantesque au microscopique ou inversement). Chaque dessin pose un univers sans borne, un voyage simultané qui va de l’océan à la glace, du ciel à la terre, où les horizons restent indéfi nis ou tout au moins en mouvements de transformation. Autrement dit, c’est une collection de récits qui débordent en aventures infinies.
Je tiens à rappeler ici encore que le rendement de la technologie numérique ne m’intéresse pas. Ça n’est rien d’autre qu’un instrument de projection qui m’offre la possibilité d’objectiver une multitude de procédés de rendu et qui me permet simultanément de modeler des foyers de perception à partir de contextes déterminés ou imaginaires. Avec cette technologie, le piège serait de succomber à l’hyperartificialité du traitement des surfaces 3D, alors qu’elle permet avant tout de recomposer un champ poétique dans l’image. Par exemple j’emprunte au cinéma, la règle bien connue de la focalisation 0. Ce processus de composition par lequel tous les points de vue restent parfaitement cernés permet de produire l’illusion d’une image nette de O à l’infini. Cette opération donne l’impression d’un temps figé, juste avant lequel tout aurait été suramplifié dans ses moindres détails.
Avec la volonté d’enrichir à la fois les traces d’un univers raconté (récit apporté par les dessins) et les trajectoires d’un environnement d’écoute physique, je détermine des contre-emplacements dans lesquels je vais tenter de provoquer chez le spectateur/auditeur des effets persuasifs optimums, des espèces de mises en alerte qui devraient l’encourager à « marquer la piste » et à élargir le champ d’investigation dans ces zones interstitielles - tenter à son tour de poser des repères dans un environnement où l’ordre des choses semble éclaté de prime abord - composer avec les éléments et faire face en permanence à un ordre d’approche instable qui est remis en question par le mouvement des sons et leurs distributions multiples.