Guy-André LAGESSE & LES PAS PERDUS 

Depuis les années 2000, nous déployons un processus artistique inclusif dans lequel des personnes, souvent hors du champ repéré de la création artistique, trouvent un lieu d'échange et de pratique avec d'autres. Ces personnes, aux pratiques poétiques et néanmoins ordinaires, en s'associant avec le groupuscule Les Pas Perdus (Guy-André Lagesse, Nicolas Barthelémy, Jérôme Rigaut) prennent appui sur des expérimentations visuelles, et ensemble les développent avec appétit et attention.
Ils ne se posent pas la question de l'art mais celle de l'esthétique comme une condition à la fois d'épanouissement, de questionnement et d'existence. Il y a chez ces personnes un certain rapport à la modestie, néanmoins leurs propositions et les fabrications visuelles, parfois excentriques qui s'en suivent sont de l'ordre du vital. Nous utilisons des objets de la vie de tous les jours comme matériaux à la fois pour leurs plasticités, mais également pour ce qu'ils induisent de tension quand ils sont assemblés. Dans ces oeuvres à plusieurs mains, ces objets familiers nous mettent en complicité par la mémoire collective et individuelle liées aux usages et aux usagers. Cette connivence sert de terrain commun dans la constitution des installations, sculptures et assemblages.

Ces oeuvres posent la question de la fabrication de l'art avec des personnes venant à l'art pour l'occasion. Quel est le statut de ces oeuvres? Est-il possible qu'une oeuvre d'art soit co-conçue et co-fabriquée avec des « amateurs »? Que dire sur la place des artistes si le travail collaboratif avec des non-artistes peut être considéré comme des oeuvres ?

Dans ce travail, l'influence de « l'occasionnel de l'art » est constitutive de l'oeuvre, par sa présence dans la fabrication, par le sens qu'il propose et les formes qu'il esquisse. Nous pouvons dire que c'est la relation qui crée la forme. Chaque sculpture, chaque installation est réalisée avec une personne différente, néanmoins nous pouvons reconnaître dans l'ensemble des propositions plastiques, "l'esprit" du groupuscule Les Pas Perdus. Celui-ci est présent dans le postulat de départ qui cherche à garder les objets au plus près de leurs origines, en essayant de les transformer le moins possible et de pratiquer des assemblages, des juxtapositions ou de superpositions entre objets. Il est question de garder l'intégrité de l'objet et de ne pas chercher à le fragmenter. De même, nous cherchons à oeuvrer avec les occasionnels de l'art dans l'entierté de ce qu'ils amènent et de ce à quoi ils et elles se réfèrent et ce n'est pas sans surprise. C'est justement cet inconnu qui est notre matière et nous mettons en avant ces rencontres dans notre pratique et dans cette aventure artistique.







L'occasion rêvée
extrait tiré du texte de Sébastien Gazeau, septembre 2018

Les occasionnels de l'art forment un groupe de personnes très hétérogène dont le point commun est d'avoir collaboré avec Les Pas Perdus. C'est une expression inventée par ces derniers pour tenter d'expliquer ce qu'ils font. En mettant l'accent sur les personnes et sur leurs rapports à l'art, ils contreviennent à une certaine conception de l'art qui oppose les vrais et les faux artistes, les arts majeurs et mineurs, la culture cultivée et spontanée. Cette expression amène à dépasser ces oppositions simplificatrices en réfléchissant aux conditions requises pour accéder à l'art et pour en produire. Elle induit l'idée que la vocation n'est pas l'unique mode de partage de l'art (du sensible dirait Jacques Rancière) et qu'on peut s'y adonner de manière légère, futile, ponctuelle.

En se focalisant sur les personnes – les occasionnels –, cette expression risque toutefois de nous faire passer à côté d'une autre notion, qu'elle contient néanmoins : celle d'occasion.
L'art des Pas Perdus est en effet un art d'occasion au sens où il s'élabore de seconde main, à partir de matériaux, d'éléments et d'idées récupérés et recyclés. De ce point de vue, il participe à limiter les effets nocifs d'une société marquée par la surproduction et la surconsommation, et plus encore, à questionner notre rapport aux objets.

L'art des Pas Perdus est également – c'est sa plus grande force selon moi - un art de l'occasion. Il en saisit et il en crée, et ce qu'il en tire est d'une richesse inestimable. Les occasionnels de l'art ont l'occasion de choisir un de leurs objets et de le donner (ils l'investissent et s'en libèrent) ; de le mettre en relation avec d'autres objets et par l'entremise d'autres personnes (ils l'articulent et le partagent) ; de le trouver ordinaire et extraordinaire (ils l'interprètent) ; de lui donner une autre vie du fait de cette mise en relation (ils le déterminent).

Que cet objet soit un songe, une idée ou une image n'y change rien. Il s'agit toujours d'objet, terme que je voudrais maintenant employer avec un sens plus abstrait. Un objet n'est pas qu'une chose matérielle, tangible, dont on peut modifier l'aspect. C'est aussi un support de projection imaginaire et symbolique, un support d'expression.

Sans objet au sens premier (une telle situation n'existe pas en réalité, ce qui explique pourquoi il est si difficile de parler de notre rapport aux objets), sans objet donc, un être humain ne pourrait s'accrocher à rien, ni exercer sa pensée, ni éprouver son corps. Il errerait dans un espace vide angoissant. Les objets transitionnels théorisés par Donald Winnicott en disent long sur le sujet.

Mais notre besoin d'objets est tel qu'ils peuvent devenir envahissants au point de faire naître d'autres angoisses, comme celle que nous éprouvons à l'idée de perdre celui que nous chérissons. C'est toujours un peu triste de constater qu'un objet possède quelqu'un. C'est lui donner trop de place, trop d'importance, trop de valeur. C'est être trop matérialiste. De notre besoin d'objets, notre époque tire des profits indécents. L'esprit de récupération et de recyclage qui anime les Pas Perdus en atténue la croissance. C'est sans aucun doute une bonne chose et un aspect du problème que j'évoque, mais ce que j'essaie de cerner est un peu différent. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a toujours un risque, voire un danger, à confondre la chose et l'objet, à confondre mon doudou et mon besoin de doudou, mon smartphone et mon besoin de communiquer, mon logement et mon besoin d'habiter.

Dans L'Anti-Œdipe, Gilles Deleuze et Félix Guattari écrivent : « Il y a un avoir plus profond que l'être. » Autrement dit - c'est en tout cas ainsi que je comprends cette phrase -, il existe un type de possession qui prime sur le sentiment d'exister. Cet avoir, c'est ce à quoi un occasionnel de l'art accède à l'occasion d'une création partagée avec les Pas Perdus. Ce qu'il y perd (l'objet au sens de chose) est ce qu'il y gagne (l'objet au sens de support), et dans cette translation s'opère un bouleversement pour la personne qui en fait l'expérience. Pour l'avoir éprouvé, je dirais volontiers que ce bouleversement s'apparente à un allègement d'ordre existentiel. Puisqu'on associe souvent le terme de légèreté au travail des Pas Perdus, il est sans doute bon de rappeler qu'elle implique un processus avant d'être une qualité. Et que ce processus touche à la transformation de l'être autant que de ses objets.







C'est une construction en pensées et en actes comparable à celle d'un château de sable. Sa fabrication se fait au fur et à mesure du flux des vagues et du ressac, qui le sculptent et le modèlent; la pénétration de l'eau de mer dans le site et le chemin qu'elle emprunte pour se retirer, sont autant de paramètres qui inspirent la manière dont l'ouvrage est façonné. Une construction au jeu des conditions et des éléments.
Elle tient compte des imprévus et de l'aléatoire des situations dans lesquelles nous construisons. Nous nous accomodons de ces propositions, indépendantes de notre volonté, en les tournant à notre avantage ; être réceptif à ce qu'il y a de force dans ce qui semble faible, de mouvement dans ce qui semble inerte, de promesse et d'avenir dans ce qui semble hors d'usage, d'avantage dans ce qui pourrait être un inconvénient, de précieux dans ce qui passe pour insignifiant.
C'est une perspective de vacances; rendre l'esprit vacant des idées qui l'occupent afin de permettre à d'autres de trouver leur place.
Jean-Paul Curnier, Guy-André Lagesse



Depuis assez longtemps il est question de mettre en place un processus de fabrication, basé sur la relation collaborative avec aussi bien des artistes et/ou des amateur de la vie. Cette manière de travailler induit dès son départ que les personnes concernées soit évidemment dans une écoute mutuelle (qui peut passer par des antagonismes, des semblables, des retournements de situation etc...) de ce fait, aucune forme peut être imaginée au préalable. C'est en faisant apparaître les possibilités et hypothèses au fur et à mesure des conversations, que se dessine ce qui va advenir. C'est en s'essayant à la matière et à la couleur qu'une pensée/action au prise avec une certaine réalité du moment se crée. Ce qui se présente publiquement peut prendre telle forme ou tout à fait une autre. C'est le soin apporté à la fabrication qui est essentiel, (de la destruction à la composition). Une des définitions du mot oeuvre c'est de "mettre en jeu »... les formes suivent.



C'est l'histoire du peintre et du modèle.
D'une certaine façon, le modèle amène le peintre à se réaliser; le modèle suggère le sens que met le peintre dans cette oeuvre, par exemple dans sa manière de tenir sa main appuyée sur sa hanche. Le peintre cherche à rendre la situation sensible et essaye d'éviter une trop longue pose afin d'inciter le modèle à y revenir avec présence.
C'est un échange constant entre deux vécus, celui du modèle et celui du peintre, comme une complicité entre «l'art d'être des êtres». Chacun à sa place complète le tableau.
Le peintre comme le modèle sont co-auteur de l'oeuvre.

It's a construction which is in thought and act comparable to a sand castle's. It forms progressively with the ebb and flow of the tide that sculpts and molds it ; the seawater's penetration into the site and the path it takes to retreat, are so many parameters that inspire the manner making the work. A construction submitted to the play of conditions and the elements. It takes into account the unforeseen and the vagaries of the situations in which we build. We acommodate these propositions, independent of our will, by turning them to our advantage ; by being receptive to what is forceful in what appears weak, to the movement in what appears immobile, to the promise and future in what seems used up, to the advantage in what could be inconvenient, to the precious in what passes for insignificant. It's a vacation state of mind ; to vacate the mind of the ideas occupying it so that others may find their place.
Jean-Paul Curnier, Guy-André Lagesse




Techniques et matériaux


du plastique à l'informatique / from the physically malleable to the computer programmed
Mots Index


l'ordinaire rieur / day by day cheerfulness
approximation soignée / thoughtful approximation
la gymnastique poétique / poétical gymnastics
le débordement enthousiaste / the enthusiastic overflow
champs de références


La cuisine des restes / Cooking with leftovers
Le bricolage du dimanche / Sunday tinkering
L'art des amateurs enthousiastes... / Art by enthusiastic amateurs...
repères artistiques


Malcolm de Chazal
Les Primitifs italiens / Italian primitives
L'esprit DADA / DADA spirit
Les Marx Brothers
Lewis Caroll
Sun Ra et le Free Jazz...