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A mala matriz 2003
Minium de plomb, correcteur typographique, papier carbone, aimant, acrylique et crayon (pantographe) sur papier thermocollant, bois et toile, 98 x 196 cm
Collection Banque Rothschild, Lisbonne |
DÉROUILLER LA PEINTURE
Dans le parcours de João Vilhena, A mala matriz est, pour reprendre un terme duchampien, un « tableau charnière » au sens propre comme au figuré. À la fois caisse de transport et diptyque, cette peinture fonctionne à la manière d’un concentré de la pratique du peintre. Elle donne à voir, à droite, la représentation méticuleuse jusqu’à l’absurde d’un demi matelas, dérisoire trompe-l’oeil aplati ; tandis qu’à gauche un plan recouvert de papier thermocollant en simili bois donne une dimension ready-made au tableau. À droite, donc, le fragment d’un champ pictural, à gauche, un plan qui garde la trace des processus employés et qui n’est pas sans évoquer l’espace de la table de travail du peintre. D’un côté, l’espace de représentation entendu comme espace de reproduction ; de l’autre, l’espace de la pratique entendu comme matrice de l’opération de représentation. On notera que le titre opère un jeu de mots en portugais fondé sur l’ambiguïté entre une malle matrice et une injonction à aimer la matrice. Sur ces deux volets viennent se greffer diverses procédures trop complexes pour être cataloguées ici, mais on peut dire que ce qui unit l’un à l’autre c’est la peinture au minium. Passée à la main sur la surface plastique du faux bois, elle s’est imprimée sur la toile au moment où l’artiste a refermé le tableau, redoublant ainsi l’espace de représentation à la manière d’un test de Rorschach. La peinture au minium opère ainsi comme un lien, une sorte de baiser ensorcelé auquel fait écho la présence discrète mais fondatrice d’un aimant dans la partie inférieure du châssis du tableau. On l’aura compris, le minium, peinture au plomb toxique à la manière du vert de Schweinfurt et responsable du saturnisme chez certains artistes, joue ici comme un élément évocateur - et sans doute ironique - de la mélancolie. Mais pour contrebalancer cette image de l’artiste aliéné, João Vilhena rappelle qu’il s’agit aussi d’une peinture de restauration servant à préserver le métal de la rouille. Il semble bien que l’on soit sorti de la problématique du deuil de la peinture.
Si les deux volets du diptyque sont unis par ce jeu chromatique, ils n’en restent pas moins de nature fondamentalement différente donnant ainsi au travail une allure analytique. En effet, le côté gauche est une espèce de plan virtuel de projection marqué par des absences successives : le bois est un simulacre, le post-it est un leurre en trompe-l’oeil, la figure féminine esquissée au correcteur est fantomatique et la couleur orange du minium a elle-même été raclée et effacée. Quant au côté droit, il est tout entier placé sous le signe de l’onanisme : depuis la fausse toile à matelas réalisée à la manière d’une peinture minimaliste mais dans une couleur fécale, en passant par l’empreinte au minium qui garde les traces de doigt du peintre et trahit son plaisir régressif à l’égard de la matière, jusqu’au papier carbone, élément reproducteur, masculin de toute évidence, qui n’est pas sans rappeler que le peintre-célibataire broie luimême sa couleur-chocolat, enfin la figure féminine stéréotypée comme une photographie de cinéma et reproduite au carbone (en bas à gauche sur le panneau de droite) est démultipliée par le biais du pantographe rabâchant de la sorte le désir suscité par l’image. Nous serions donc face à deux principes opposés et sexués, d’une part la face masculine aimante et de l’autre la face féminine attirante. La représentation ne serait alors plus qu’une zone de contact.
Catherine Macchi (septembre 2003) |
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