Pierres de Lucioles 2013
Installation, vues de l'exposition au musée Rodin, Paris, 2013 |
Le « chasseur-cueilleur » au musée Rodin
En 2013, Érik Samakh est invité à déployer son imagination, en plein cœur de Paris, dans les jardins du musée Rodin, à l’occasion d’une exposition de plusieurs mois (18 mai – 29 septembre). Au musée Rodin, nous poursuivons en effet à partir de cette année notre politique d’ouverture permanente sur la création contemporaine, avec le désir d’investir à nouveau pleinement ce qui fait aussi le charme et la singularité du lieu : son jardin. Et pour ce faire, il nous a paru tout naturel de faire appel à un artiste dont l’œuvre entière est une sort de déclaration d’amour à la nature, c’est-à-dire au vivant, au mouvement, à cette espèce d’énergie païenne ou primitive que Rodin lui aussi disait chercher dans sa sculpture.
Tirant partie de l’esprit des lieux, Érik Samakh crée ainsi pour l’occasion deux grandes installations originales, qui sont autant de réponses de l’artiste, à la fois à cette nature urbaine et domestiquée mais si poétique, qui est celle du jardin, et à la sculpture de Rodin.
Des voix, les ifs (2013)
Des voix, les ifs, installation sonore présentée autour de la cour d’Honneur, poursuit ainsi le travail mené depuis toujours par l’artiste sur la matière sonore, sur son épaisseur, sur sa capacité à produire à elle seule du sens, de la présence, des images ; mais au contact de l’œuvre de Rodin, le travail se déplace légèrement : habitué à « chasser » les bruits de la nature, et en particulier les sons produits par les animaux, par leurs mouvements, Érik Samakh se tourne cette fois vers l’humain, et vers la voix. Mettant à contribution les voix féminines du musée Rodin – dans une dimension participative très symptomatique de sa personnalité et de son travail – l’artiste utilise comme matière leurs respirations, rires, sourires, chuchotements pour élaborer une création sonore spatialisée. Celle-ci se déplace dans les ifs qui entourent Le Penseur et Les Trois Ombres de Rodin, évoquant des présences féminines à la fois invisibles et palpables, déroutantes. Tout en bouleversant notre perception habituelle des lieux, Érik Samakh vient aussi répondre à sa façon avec ces présences fantomatiques à la matérialité de la sculpture de Rodin, et à son rapport à la figure, au modèle, en particulier féminin.
Pierres de Lucioles (2013)
Partant de la cour d’Honneur pour essaimer dans tout le jardin, l’installation Pierres de Lucioles vient poursuivre cette traversée du lieu : onze blocs de pierre naturelle, tous émaillés des fameuses « lucioles » solaires de l’artiste, certains laissés en l’état, d’autres recouverts de mousses, investissent les lieux comme autant de sculptures brutes semblant à la fois tombées du ciel ou poussées du sol même du jardin, qui, de jour, prend des allures de jardin miniature avant d’être envahi la nuit par des pierres lumineuses. Les « lucioles », récurrentes dans le travail de l’artiste qui se penche depuis longtemps sur cette poésie mystérieuse de certaines formes du vivant, viendront éclairer le jardin et ses sculptures, dans les zones ombragées ou à la tombée du jour. La nuit, pour le piéton qui déambule aux abords du musée Rodin, elles révèleront le potentiel mystérieux du lieu.
Pensées spécifiquement pour le musée Rodin, ces pierres étranges viennent s’inscrire dans une lignée de travaux plus anciens sur les pierres (Pierre Sonore, Pierre à Lézard, Équilibre d’un lézard sur une pierre etc.). Elles soulignent la douceur et la poésie du jardin, mais dérangent aussi sa perception habituelle et y rendent plus complexe le rapport entre sculpture et espace naturel : le lien se tisse entre les bronzes de Rodin et la mousse des pierres, comme une patine, entre le jardin tout entier et ces petits jardins miniatures, entre la pierre brute du Portugal et les blocs de marbre non finito de Rodin ; et le contraste s’affirme entre la couleur et la brutalité du granit et le raffinement des fontes en bronze, ou la blancheur éthérée des marbres. Entre nature et sculpture, entre matérialité et présence impalpable, Érik Samakh dessine un parcours inédit dans le jardin du musée Rodin.
La mémoire du promeneur
Des Hautes-Alpes au Portugal, en passant par les Pyrénées – où il détient un domaine – ou par le musée Rodin rue de Varenne, l’artiste, en perpétuelle migration, ne cesse de poursuivre un dialogue ouvert et surprenant avec son environnement.
C’est ce passionnant dialogue que nous souhaitons éclairer dans les pages qui vont suivre à l’occasion d’un entretien avec Érik Samakh. Tout en jetant un regard rétrospectif sur un parcours déjà très dense, il nous révèle les secrets de ses sons, pierres et lumières qui, l’espace d’une exposition, enchantent un lieu, l’hôtel Biron et ses jardins, dont Rilke vantait déjà toute la magie à Rodin en 1908 avant que ce dernier ne s’y installe.
Amélie Lavin
Commissaire de l’exposition
Conservateur du patrimoine
Chargée des expositions et de l’art contemporain
Lire l'entretien avec Amélie Lavin, 2013 |