Si les représentations filmiques et photographiques nous aident, sans doute, à mieux comprendre le monde du vivant, et à parfois en changer notre perception, le medium lui reste lié aux causes de l’état environnemental actuel. L’image argentique et numérique doit son existence aux révolutions chimiques, industrielles et à l’exploitation des ressources. En choisissant d’utiliser la lumière du soleil, l’eau, les plantes, des déchets de végétaux, des pellicules et des papiers périmés, je tente de produire autrement. Depuis 2016, à la suite d’une forte remise en question de ma pratique, j’explore des techniques de développements et de tirages argentique alternatifs, comme les révélateurs au café, aux plantes, ainsi que la phytotypie ou l’anthotype, dans une démarche plus durable et plus éco-responsable. Un travail qui me mène à questionner les pratiques artistiques face au dérèglement climatique, mais aussi à m’attarder sur les modes de représentations de la nature dans l’anthropocène. Au-delà de la physicalité et la dimension « fait maison » de cette pratique expérimentale, mes travaux questionnent l’apparition et la disparition de l’image et de ce qu’elles représentent. Car, parfois éphémères, les procédés employés utilisant des plantes impliquent que l’image puisse se transformer ou disparaître. Je conçois alors, que mes images, comme des formes mouvantes, sont sensibles à l’environnement dans lequel elles de trouvent et peuvent évoluer. J’aime penser que mes images sont « vivantes ».
En 2022, je rejoins l’atelier de recherche et création « chromoculture » à l’ENSAD Limoges, conçu par Arnaud Dubois et Cécile Vignau. Chromoculture consiste à développer et transmettre les pratiques des couleurs végétales en Art et en Design autour d’un jardin planté dans le parc de l’école. Au sein de ce projet, je développe un travail de recherche sur les plantes tinctoriales et leurs propriétés pour développer et teindre les films argentiques. Mon travail photographique et filmique documente la vie de ce jardin à couleurs.
LE JARDIN
Photographie du Jardin Chromoculture à l’ENSAD Limoges.
« Alors que la couleur synthétique pollue l’air et de nombreux cours d’eau à travers le monde, ce projet propose de réfléchir collectivement à des pratiques de colorations écologiques. Débuté en 2021 avec une reconfiguration des ateliers « Teinture et Développement argentique », le cœur du projet se situe dans le parc de l’Ensad Limoges avec le jardin-laboratoire « Chromoculture ». Composé d’environ 50 espèces différentes de plantes à couleurs, il a été imaginé par l’artiste-botaniste Liliana Motta en collaboration avec les étudiants·es de l’ARC ».
J’utilise ici les ingrédients qui composent la recette du caffénol, révélateur à base de café, de cristaux de soude et de vitamine C, Les trois éléments nécessaires à l’apparition de l’image sont déposés sur la bande vierge et exposé à la lumière du soleil. Il s’agit d’une représentation de l’apparition de l’image elle même.
COUCHER DE SOLEIL Série de six anthotypes, 20x30cm, 2021
Ces anthotypes représentent la décomposition en six images d’un coucher de soleil. Le soleil est à la fois l’élément d’apparition de l’image mais aussi la source d’une possible disparition de celle-ci. Ces tirages uniques nous rappellent que chaque levé ou couché de soleil est unique. Les techniques anciennes comme l’anthotype ou le chlorophylotype me permettent de questionner le regard du spectateur et ses attentes face à un support photographique instable. L’éphémérité de ces procédés implique que l’image peut se transformer, disparaître. Elle est une forme mouvante, sensible à l’environnement dans lequel elle évolue (luminosité, humidité, température...). Ces images vivantes prennent le contrepied de l’image figé et reproductible.
LE JOUR LE PLUS CHAUD
Double projection Super8, boucle, 2023
Août 2022 la mer Méditerranée a atteint les 30°C, ce jour là nous longeons la côte à bord d’une embarcation enfin d’enregistrer la surface de l’eau. Le film a été développé en eco-processing et coloré à l’aide des techniques de teintures naturelles à l’indigo aux beaux arts de Limoges avec l’aide de Cécile Vignau (designer textile). Même année une forêt du sud de la France est ravagée par les flammes. Nous l’observons par la route qui la traverse.
Inspiré par la technique du phytogramme de Karel Doing, les déchets de plantes tinctoriales broyés, servant à la réalisation de révélateurs moins toxique pour l’environnement sont filtrés mais restent imbibés du mélange de cristaux de soude et de vitamine C. Ces résidus sont alors déposés sur la pellicule vierge et de la pellicule fixé déposant ses traces, ombres et couleurs. Images réalisées en partenariat avec L’atelier de recherche et création Chromoculture, avec le concours de l’ENSAD Limoges et de la cinémathèque de Nouvelle Aquitaine.
NUANCIER
Bouts d’essais 2024
Cadre du haut: Tirage argentique sur papier baryte développé (de gauche à droite) dans un révélateur à la poudre d’indigoferra, au genêt et à la garance puis rehaussés en trempage dans des bains colorants correspondants.
Cadre du bas: Film super 8 et 16mm teintés (de gauche à droite) à l’indigo,au réséda et à la garance.
Une pellicule 16mm trouvée, sur laquelle apparaît une famille en vacances à la mer. Chaque personnage est gratté image par image. Des silhouettes fantomatiques… Une empreinte laissée sur ces images passées... Une mise à distance trouée sur l’intime…
DÉROULER
Video projecteur, found footage, papier, 120cmx130cm, 2010
Le mouvement panoramique répétitif d’un cameraman amateur lors d’un voyage en Norvège le long des côtes et des archipels nous entraîne dans un mouvement de caméra à 360° dont le seul repère est l’horizon. L’onde de la découpe des montagnes se fond d’un plan à l’autre. Ce paysage est projeté sur un rouleau de papier, une référence au rouleau d’estampes, mais surtout à la pellicule cinématographique sur les bancs de montages.
AQUARIUM
Aquarium, eau, peinture blanche, Vidéo projecteur, séquence du film Dementia 13,150 x 60 x 45cm, 2010
Cette pièce est une tentative de matérialisation de l’espace de projection comme volume mais aussi une proposition sur les notions d’apparition/disparition. À l’intérieur d’un aquarium est projetée une scène de Dementia 13 de Francis Ford Coppola (1963). Dans cette scène, la protagoniste se fait assassiner dans un lac et disparaît dans les profondeurs. Il s’agit de matérialiser l’espace entre la source de lumière et l’écran de projection grâce à une légère coloration de l’eau en blanc. La projection devient une fantasmagorie à l’intérieur d’un cercueil de verre.
SCÈNE UN / DOLORES
Vidéo projecteur, projecteur super 8, projecteur de diapositives, cimaise fendue, lamelle de microscope, miroir, 2010
Je souhaitais trouver une façon de diffuser différentes sources de lumière venant de projecteurs apparus entre les années 60 et aujourd’hui, représentatif d’une évolution, d’une transmission... En lisant sur la science de la lumière, je me suis arrêtée sur le dispositif des fentes de Young. Expérience qui a servi à démontrer la nature ondulatoire de la lumière par motif de diffraction. L’idée de contraindre la lumière me ramène aux dispositifs de projection. Des projecteurs sont placés derrière une cimaise fendue, laissant passer des fragments de lumière qui traversent la pièce. Une composition de rayons d’intensité et de lumière différente se reflète sur de petits miroirs et lamelles de microscope et vient se poser sur le mur opposé de la salle d’exposition.
L’OLYMPIA
Super8 noir et blanc 04:21min, 2021
Musique : Geoffrey Boulier et Anne-Lise Larini
Ma mère, petite, s’allongeait par terre pour regarder des films à travers un petit trou, dans la porte de secours du cinéma l’Olympia à Nice. En 1972 François Truffaut tourne la scène du rêve en noir et blanc de «La nuit américaine» devant les grilles de l’Olympia. Un film sur la cinéphilie au croisement de la petite et la grande histoire du cinéma.
Déroulement d’une bobine super8 trouvée, devant l’objectif d’une caméra numérique. Le mouvement du défilement essayant d’atteindre la vitesse de l’animation.
LA MACHINE ARC-EN-CIEL
Bois, Projecteur de diapositives, miroir, eau, 2009
La machine arc-en-ciel s’inspire des expériences de Newton sur la lumière et sa théorie des couleurs. L’arc- en-ciel projeté provient de la lumière d’un projecteur de diapositive qui se décompose en frappant un miroir situé dans un aquarium rempli d’eau. Le dispositif remplace le prisme et le spectateur est amené à observer par un parcours du regard dans l’espace, le voyage et la transformation du faisceau lumineux.
DÉCOMPOSITION DU SPECTRE LUMINEUX
Ventilateur, vidéo projecteur, 2012
L’observation des couleurs RVB lors d’un mouvement rapide des yeux ou de la tête face à certaines vidéo- projections à lancé une réflexion sur les dispositifs numérique, l’histoire de la couleur dans l’image animée et plus précisément sur la trichromie. L’installation est composée d’un projecteur DLP, d’une vidéo représentant un cercle blanc et d’un ventilateur. Le blanc est produit par l’addition de trois couleurs; vert, bleu et rouge. On appelle ce phénomène, la lumière additive. À partir d’une certaine fréquence le balayement des pixels du vidéoprojecteur entre en accord avec la rotation des palles du ventilateur. Cette combinaison révèle un spectre de couleurs dansant de manière hypnotique, recréant une sorte d’aurore boréale multicolore. Il s’agit ici de souligner une certaine poésie dans la défaillance d’un appareil technologique détourné.
CAMERA OBSCURA ANAGLYPHE
Filtres rouge et bleu, lunettes anaglyphes et sténopé, 2017
Lorsque le projet pour la galerie ambulante s’est présenté, il m’est de suite venue à l’esprit l’idée du cinéma ambulant et du genre cinématographique du road trip. Je travaillais sur l’idée d’une caméra obscura en relief et j’ai décidé de proposer ce projet pour le camion. Il me semblait bien que le mouvement lors du déplacement du véhicule, la projection en 3d et le retournement du paysage allaient produire une expérience de la perception troublante. La galerie ambulante se transforme donc en camera obscura 3D, utilisant le procédé appelé anaglyphe. Les passager.es sont invité.es à entrer à l’arrière du camion doté.es de lunettes aux filtres rouge et bleu et à contempler ce procéder ici détourné de sa fonction initiale de mise à plat pour repasser le monde en relief.
IMAGE CRISTAL
Cristaux de sel, lentille de Fresnel, verre, bois, lampes, 2013
Image cristal est un dispositif de projection qui active et rend visible par grossissement le processus de formation de petits cristaux. L’installation est composée d’une source de lumière qui traverse le récipient contenant les cristaux et d’une lentille de Fresnel qui en projette l’image. C’est à la fois une analogie aux grains d’argent que l’on trouve dans l’émulsion photographique et une installation performative. La lenteur du procédé rend la transformation de la matière quasi imperceptible au spectateur et joue ainsi sur l’aspect contemplatif de l’image-temps. Elle fait également référence à l’ouvrage « L’image-temps » de Gilles Deleuze (1985) dans lequel il parle de l’image cristal comme une image contemplative qui aurait plusieurs facettes.
Lorsqu’en période d’été, on dépasse les cercles polaires, on peut observer le soleil de minuit. C’est lors d’un voyage en Norvège, face à l’expérience de journées interminables que l’idée de cette installation est apparue. Selon le principe optique de la persistance rétinienne et de l’animation cinématographique, il s’agit ici de recréer un mouvement lumineux composé de plusieurs ampoules. Le phénomène naturel, source de l’inspiration, s’efface lorsqu’un système électronique recrée l’illusion du mouvement. C’est donc en cercle et à toute vitesse que la lumière parcourt les douze ampoules suspendues au plafond du garage de la Villa Cameline en 2010, faisant danser les multiples ombres du bric-à-brac entassé dans ce lieu. La trace de l’ œuvre imprimée sur nos rétines nous met en quelque sorte à l’épreuve d’une expérience photosensible.
Fovéa est une série de performances de cinéma élargit mise en musique par Geoffrey Boulier. Le principe étant, pour chaque nouveau dispositif, de n'avoir aucune image pré enregistrée. Se succèdent, sur l'écran et au-delà, divers objets: lentilles, filtres et projecteurs ainsi que des effets comme le feedback vidéo en passant par des images générées par synthétiseurs. La dernière performance réalisée une projection unique et éphémère. Elle consiste en une boucle transparente sur laquelle viennent s'ajouter des touches de couleur avant de s'effacer lentement.
Homework n°8 Emmanuelle Nègre
2'20''
Production Documents d'artistes Paca, 2020
Homework est une série de vidéos réalisées par des artistes chez eux.
En 2020, documentsdartistes.org a invité dans la collection Homework des artistes à produire une parole pour rendre compte de leur travail, de leurs recherches et réflexions, dans un contexte d’isolement et de distance sociale.