Ymane FAKHIR 

Alèses, 2012
90x72cm
Tirage sur papier premium contrecollage sur dibond
Les ateliers de l’EuroMéditerranée, Marseille Provence 2013, hôpital la Timone, Marseille
 
Cintres, 2012
100x80cm
Tirage sur papier premium contrecollage sur dibond
Les ateliers de l’EuroMéditerranée, Marseille Provence 2013, hôpital la Timone, Marseille
 
Garots, 2012
65x52cm
Tirage sur papier premium contrecollage sur dibond
Les ateliers de l’EuroMéditerranée, Marseille Provence 2013, hôpital la Timone, Marseille
 
Poubelle 1
137x110cm
Tirage sur papier premium contrecollage sur dibond
Les ateliers de l’EuroMéditerranée, Marseille Provence 2013, hôpital la Timone, Marseille
 
Poubelle 2
137x110cm
Tirage sur papier premium contrecollage sur dibond
Les ateliers de l’EuroMéditerranée, Marseille Provence 2013, hôpital la Timone, Marseille
 
Topographie 1, 2012
video HD, 3mn12
 
Plier, 2012
video HD, 2mn10
 
Il faut imaginer Ymane Fakhir réalisant ses photographies ou ses films comme on imagine un ethnographe se livrant à l'étude consciencieuse d'un peuple devenu familier. Il faut penser l'artiste comme l'observatrice d'un langage précis fait de gestes plus ou moins conscients et d'attitudes plus ou moins déterminées.

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Il faut imaginer Ymane Fakhir réalisant ses photographies ou ses films comme on imagine un ethnographe se livrant à l'étude consciencieuse d'un peuple devenu familier. Il faut penser l'artiste comme l'observatrice d'un langage précis fait de gestes plus ou moins conscients et d'attitudes plus ou moins déterminées. C'est en scrutatrice privilégiée de mondes repliés qu'elle opère. Mettant son regard à l'épreuve des situations du quotidien, elle capte les éléments qui lui semblent constituer à eux-seuls le sujet même de ces univers immergés.

Du contexte de son observation, il ne restera finalement presque rien dans ses œuvres, un minimum, ce que ses plans serrés voudront nous laisser percevoir, ce vers quoi les gestes ou les objets pointeront dans l'imaginaire de chacun. Dans la plupart de ses photographies, l'artiste va même jusqu'à plonger l'objet de son étude dans la neutralité d'un fond blanc. Après l'immersion, Ymane Fakhir travaille par extraction. Extraire à un environnement, c'est focaliser sur une forme tout en la dégageant de sa fonction. C'est décadrer le regard de l'usage vers l'essence, neutraliser pour trouver une sensibilité nouvelle aux choses et au monde. Attentive au négligeable et au silence, l'artiste offre un point de vue précieux sur ce qui fait la timide beauté d'apparentes trivialités.

Après avoir fait des coutumes de la culture maghrébine, des cérémonies et rituels familiaux les sujets privilégiés (et affectifs) de ses dernières œuvres, Ymane Fakhir s'est récemment immergée dans le monde de l’hôpital : 5ème étage, service neurochirurgie de la Timone, Marseille. Plongée en environnement étranger.
L'artiste s'imprègne, elle disparaît jusqu'à ce que sa présence ne devienne qu'une évidence. Et dans cette société au travail, elle repère les lois, les codes, les fonctions et les mécanismes, elle s'attache à la parole autant qu'aux postures et aux échanges non-verbaux, à l'organisation du travail, à sa mise en œuvre. Dès lors, les vidéos qu'elle commence à produire tentent de restituer ces moments paradoxalement uniques et ordinaires qui font les métiers de l’hôpital.

Construites presque exclusivement sur un principe de plan séquence (une action, une durée) les films d'Ymane Fakhir s'offrent au regard comme des blocs de réel, des instants d'humanité brute.
Les deux vidéos titrées Topographie montrent une médecin qui tente de localiser la douleur d'un patient en le questionnant tout en faisant rouler ses doigts sur sa peau. Déplaçant ses mains, la soignante appuie doucement, délimite, progresse. À tâtons, elle circonscrit la zone de douleur en marquant directement au feutre le corps du malade. Peu à peu, une carte se dessine, elle figure un continent. Ses auscultations ont l'élégance d'un geste de sculpture, elles en empruntent la précision, le touché. Filant la métaphore, on pourrait dire que tout comme en art, ces mouvements semblent modeler une « matière » vivante afin d'en dégager une force invisible. Mais dans les Topographies d'Ymane Fakhir, émerge une parole sous-entendue, un dialogue on ne peut plus nu : « Là ça fait mal ? » « Non. » « Et si j'appuie ici, ça fait mal ? » « Oui ! »... Dans cet échange sans caractère se niche une forme d'évidence vitale que l'artiste saisit sans rien ajouter d'autre à l'action que l'acuité de son regard.

Le corps biologique qui s'affirme dans ces deux films, disparaît presque entièrement dans les autres œuvres réalisées par Ymane Fakhir. En fait de disparition, on devrait plutôt parler d'une mutation, car au cœur de l'institution hospitalière c'est le corps administré qui devient le paramètre central de l'organisation générale. Prendre soin est une vidéo qui alterne de courts plans fixes et semble dérouler une journée de travail. Cette traversée laisse entrevoir l'omniprésence du corps référencé, inventorié, fiché, suivi, tracé : administré. Etiquettes, code-barres, tampons, formulaires, bracelets, dossiers de soins... un monde de données s'active à la gestion de l'humain. Corollaire aux soins, il pourrait s'étendre jusqu'à devenir le cœur d'une pratique. Au-delà du quotidien de l'exercice, ce qu'en filigrane nous laisse percevoir les œuvres d'Ymane Fakhir c'est le caractère implicitement industriel de l’hôpital. Les automatismes des gestes répondent à la gestion des stocks, l'entretien du matériel à la répétition des taches. C'est un monde ouvrier qui s'agite sur la chaîne du soin. À cet égard, le dernier plan de Prendre soin pourrait faire figure de paradigme : frontales, quatre portes d’ascenseur sont alignées. Quand la première d'entre-elles s'ouvrent, une foule mêlée de patients, de visiteurs et de personnels soignants en tenue civile sort et se dissipe. Une sortie d'hôpital comme une extraction. Une sortie d’hôpital comme une Sortie de l'usine Lumière. Retour à la surface.

Guillaume Mansart


 
 
 
Pourquoi l’hôpital accueille-t-il des artistes ? La question est posée – nous est posée avec parfois une certaine brutalité. L’hôpital dont tout le monde s’accordera à reconnaître sa mission de producteur de soins a-t-il réellement le temps et les moyens de s’intéresser à des initiatives a priori sans rapport avec son activité ?

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Ymane Fakhir au pays des soignants

Pourquoi l’hôpital accueille-t-il des artistes ? La question est posée – nous est posée avec parfois une certaine brutalité. L’hôpital dont tout le monde s’accordera à reconnaître sa mission de producteur de soins a-t-il réellement le temps et les moyens de s’intéresser à des initiatives a priori sans rapport avec son activité ? Après tout, chacun décide s’il est amateur d’art dans sa sphère privée et de loisirs ! Haut lieu de performance médicale et de fonctionnalité organisationnelle, en attente d’efficacité malgré d’éternels dysfonctionnements, quels bénéficie l’hôpital peut-il attendre d’une activité à faible valeur d’usage telle que l’art ?
Alors quoi ? L’hôpital ne serait qu’un système d’organisation gérant son fonctionnement en autarcie ? L’hôpital serait une somme coordonnée de technologies, de protocoles et de gestes réparateurs ? L’hôpital serait-il toujours condamné à penser son périmètre à l’aune d’une perpétuelle austérité ? Mais qu’en est-il, dans ce cas, de la légitime interrogation citoyenne de la population quant aux choix à effectuer pour son devenir ? Qu’en est-il de sa responsabilité sociale et territoriale qui légitime sa participation active à la Capitale Européenne de la Culture en 2013 dont chacun sait que les enjeux sont transversaux à tous les secteurs de la société ? Enfin, qu’en est-il de sa charge émotionnelle, psychique et symbolique – matériau de prédilection de la création artistique – dès lors que ses usagers fréquentent l’hôpital dans les moments les plus cruciaux, de la naissance à la mort, de leur parcours de vie ?
Permettre à un artiste de poser son regard sur le quotidien de la cellule productive de l’hôpital, de lui donner forme à partir de son langage c’est partager avec tous la question de l’être et du devenir de l’hôpital. En acceptant d’accueillir Ymane Fakhir, artiste photographe et vidéaste, au cœur de son unité de soins pendant 9 mois, les personnels du service de neurochirurgie s’est engagé dans une prise de risque liée à la construction libre et subjective de l’activité de soins. Une prise de risque qui fait de nous des acteurs de notre vécu. Il faut leur rendre hommage pour leur curiosité et leur ouverture d’esprit.
Qu’est-ce qu’un hôpital ? Telle est donc bien la question posée par le travail artistique d’Ymane Fakhir. Il est un lieu de prise en charge médicale de personnes atteintes de pathologies, en l’occurrence de maladies neurologiques. Une définition objective qui devrait mettre tout le monde d’accord. Mais dès lors que l’on s’intéresse à la question du point de vue –question centrale pour tout photographe – la réponse ressemble à un kaléidoscope. L’hôpital est-il le même pour le malade et pour le soignant ? Est-il le même pour le médecin et l’infirmier ou l’ASH ? Est-il le même pour l’administratif ou le technicien ? L’hôpital est le fruit des vécus et des constructions subjectives de tous ceux qui l’investissent. L’artiste, qui a d’abord écouté et regardé, a finalement trouvé sa place pour poser son objectif et construire les images de la réalité dont on lui a demandé d’être le témoin.
Ces œuvres, présentées en primeur à l’hôpital, puis dans le cadre d’une exposition grand public au Fonds régional d’Art Contemporain (dates ?), mobiliseront la sensibilité et les interprétations de leurs spectateurs. J’en propose néanmoins la lecture suivante : par leur beauté et leur pureté formelles, ces images installent les gestes les plus quotidiens et les plus prosaïques de la pratique du soignant dans des univers qui nous évoquent la douceur, la beauté et le voyage. Elles révèlent ainsi l’indicible du geste soignant, au-delà de toutes les contingences, la permanence de l’empathie d’une main qui touche le corps de l’autre… pour en prendre soin.

Carine Delanoë-Vieux


 
 
 
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