Guillaume CHAMAHIAN 

 
 

Guillaume Chamahian
Nemo Dat Qod Non Habet - proposition
À : Dimitri Fagbohoun, CCI : Julien Lombardi

Cher Dimitri.
Nous arrivons au terme de notre projet intitulé Nemo Dat Quod Non Habet (Nul ne peut donner ce qu'il ne possède pas). Un dernier acte manque cependant, celui de te remettre une statue venant d'Afrique de l'Ouest.
Comme je t'en avais parlé, à l'occasion d'une commande photographique du CNAP intitulée «Flux, une société en mouvement», nous avons été sélectionnés pour une proposition qui questionne la restitution du patrimoine africain.

Le 28 novembre 2017, à l'Université de Ouagadougou, Emmanuel Macron déclarait vouloir : un retour du patrimoine africain en Afrique. S'en suivait un rapport commandité par le président rendu en décembre 2018 : Restituer le patrimoine Africain. La conclusion de ses auteurs, les professeurs Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, est sans appel : « II faut rendre tout ce qui a été spolié et sans condition ! » Dès le début de nos réflexions, il nous est apparu comme une évidence que nous n'avions aucune raison de revenir sur cette position, car l'enjeu de ce débat réside ailleurs. Il me semblait, néanmoins, bien idéaliste de croire que : « ce mouvement de restitution (...) vise à fonder une nouvelle ère dans les relations entre l'Afrique et la France, à écrire une nouvelle page d'histoire partagée et pacifiée. » (Extrait du rapport)
Sincèrement, ce rapport m'a irrité, La restitution de ces objets, envisagés par la France tels des trophées, m'apparaît une fois de plus comme un moyen de pression politique et économique sur ses anciennes colonies, une monnaie d'échange dans le jeu diplomatique. En somme, un acte de pouvoir qui prolonge les dominations passées.

Il nous a été difficile, tout au long de notre démarche, de trouver notre place, voire notre légitimité à traiter d'un tel sujet. Dans la pratique, comment représenter les flux qui jalonnent l'histoire de ces objets aujourd'hui dans nos musées, leurs devenirs, le rapport de l'occident à son histoire coloniale et les stigmates des cultures et des êtres qui les ont subies ?

Pour évoquer leurs mémoires, nous avons choisi d'acquérir par les voies légales du marché un fétiche provenant du Cameroun. De l'appropriation à la restitution, nous l'avons exposé à un cycle d'opérations qui structurent la diaspora des ces objets : authentification, expertise, exposition, numérisation, collection. Nous avons confronté cet objet organique à la froideur distanciée de notre technologie, de nos outils pour produire du savoir à leur contact. Des rayons X pour discerner l'invisible, des gants blancs pour ne pas contaminer, des caméras et des données pour digitaliser. L'ensemble de ces gestes entrepris sur une année nous laisse un goût amer, la sensation que ce fétiche a été de nouveau dépossédé de sa raison d'être. Bien trop loin de sa terre d'origine, des rituels qui chargent son pouvoir magique, il a été une seconde fois désacralisé Notre investigation nous a amenés, par un chemin critique, à reproduire ce que nous condamnons pour modestement le digérer, nous n'oserions dire le réparer.

Et maintenant, que faire de cet objet ?
Après lui avoir envisagé plusieurs futurs possibles : le détruire, l'enterrer, le renvoyer à sa terre natale, l'expédier dans l'espace... Sans attendre l'issue d'interminables débats, les tribunes des idéologues, le temps des décisions politiques, la lenteur des États et des institutions à engager des actes, nous désirons partager cette statue à un artiste nourrit par une culture différente de la notre. Michel Tournier écrit : « (...) il n'y a pas que les pierres qui volent. Il y a celles que l'on pose pour inaugurer une œuvre de paix. »
Si tu acceptes, il n'y a bien-sûr de ton coté aucune contrainte de résultat. Ce fétiche, nous te le transmettons pour que l'histoire continue, à toi d'en faire ce que bon te semble.

C'est aussi, de ma part, une profonde conviction qu'un futur de paix et d'égalité se dessinera en bannissant toutes ces questions d'appartenance, d'appropriation, qu'elles soient matérielles, culturelles, politiques géographiques, sociales ou affectives.

On reste à ta disposition pour toutes informations.
Bien à toi

 
   
 
 
 
 
Vues de l'exposition Nemo Dat quod non habet, Les Photaumnales, Beauvais, France, 2020
 
Flux, une société en mouvement 2020
Edition Poursuite et CNAP, 172 pages, 24 x 30 cm
Projet développé en 2019 en collaboration avec le photographe Julien Lombardi dans le cadre d’une commande du CNAP : Flux, une société en mouvement

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