Pour commencer à entrevoir le périmètre vertigineux de l'oeuvre de Thierry Lagalla, il faudrait sans doute s'autoriser à faire tomber quelques barrières pour pouvoir embrasser d'un même mouvement de tête Héraclite, le docteur Moatti (inventeur de la boite à meuh, objet paradigmatique de sa pratique artistique), l'occitan et l'histoire de la peinture de Lascaux à Martin Kippenberger compris. Place faite, le regardeur pourrait alors s'attaquer en toute décontraction à une oeuvre débordante, joueuse, intime et libre. Il pourrait se confronter aux autoportraits plus ou moins triomphants, à l'histoire de la peinture en mortadelle, ainsi qu'à quelques vanités culinaires. Tel Monsieur Jourdain, Thierry Lagalla serait devenu artiste sans le savoir. En faisant ce qu'il faisait chaque jour, il aurait par une forme de déterminisme opportuniste revêtu l'habit du « plasticien ». Depuis ce jour, il n'a de cesse, à travers le burlesque, le poétique et l'autodérision de démythifier le statut pour l'ancrer avec panache dans le réel, quitte (surtout) à se prendre les pieds dedans.
Guillaume Mansart
La boîte à meuh, aussi nommée boîte à vache, est une boîte qui, lorsqu'elle est retournée (en dirigeant vers le bas les trous présents sur sa face supérieure) puis remise dans le bon sens, produit le son « meuh », onomatopée imitant le cri de la vache.
Cet objet est, certainement, la meilleure figuration du principe créatif de Lagalla. Ludique, faisant appel aux souvenirs, et généralement décoré d'une vache peinte, d'une mortadella, d'un autoportrait, d'une patate...cette oeuvre agit par renversement et nous laisse entendre, par les trous faits dans le réel, le plus profond des meuglements arraché à la nature.
Jacques Antoine
N.B. : Il existe aussi des boîtes reproduisant d'autres cris d'animaux, tels que le miaulement d'un chat, le piaillement d'un oiseau ou le bêlement d'un mouton.
Prenez la réalité, transformez-la en tapis, installez-le au beau milieu d'une pièce, faites entrer l'
homo sapiens puis regardez-le se prendre les pieds dans le tapis.
Figure première du burlesque, déclinée à souhait par Lagalla. L'humain chute et se relève pour mieux retomber, pour notre plus grand plaisir.
« Le réel, c'est quand on se cogne » [1], hé bien, c'est avec le nez rougi que cet artiste nous adresse son oeuvre. Dans la lignée des maîtres du muet, en Auguste, il continue la préparation de ce de nectar claudiquant dont l' absorption transforme tout instant en un instant. Au travail, non je plaisante, vêtu de son bleu de chauffe, Marcel ! il vient usiner, affleurer le réel pour en extraire le plus fin des copeaux. Mais attention, mefi [2], rien à voir, à faire avec le minimalisme, si répandu, qui laisse supposer que par économie d'expression une pureté, un absolu est à portée d'oeuvre. Non, ça Lagalla, ça le fait sourire. C'est ce même sourire qu'il doit arborer lorsqu'il crée à l'ombre des pâquerettes, comme il aime si bien le dire, là où , en parfaite ingénuité, il interroge la nature des choses et sa capacité à produire artistiquement du réel ; autrement dit, imaginer Buster Keaton jouant Héraclite traversant la promenade des anglais, venir au bord de la Méditerranée, glisser sur le dernier galet et nous dire, le cul dans l'eau : « la nature aime à se cacher » [3].
Avec cette création, expirée et mentale, qui parle couramment la tarte à la crème, tout nous échappe, Hic et Nunc sont dans un bateau, le réel sonne toujours deux fois, échos, glissements, chutes ou rebonds, DUCK SOUP [4] for everybody ! La Re, Re, représentation produit une descendance d'oeuvres collatérales à l'endroit, ou plutôt à l'envers même où la trivialité, le banal, le commun, l'usé, le rebattu ne sont jamais vulgaires. Un oeuvre burlesque qui, tel une boîte à MEUH, agit par renversement et nous laisse entendre, par les trous faits dans le réel, le plus profond des meuglements arraché à la nature.
Chez Lagalla, vous allez bien voir ce que vous allez voir, un monde réel créé par l'esprit qui envahit le monde des choses, un véritable service hospitalier à l'ambivalence, ni d'antithèse, ni de succession. Une demeure croissante où, la figure et le langage vivent, avec ravissement, leur androgynie et leur simultanéité.
Un régal heuristique continu qui nous pousse, le sourire aux lèvres, à clamer :
« LA NATURE EXISTE, C'EST RIGOLO ! »
Antonio Clemente
1. Jacques Lacan – Séminaire III
2. Parole en nissart (langue niçoise) signifiant la mise en garde
3. Physis kryptesthai philei - Fragments
4. La soupe au canard, Marx Brothers, réal. Leo Mc Carey, 70 mn, 1933
MORTADELLA PINTURA (asperant la / Until The)Texte de Sophie Toulouse, 2021
Exposition à la galerie HYPERBIEN, MontreuilIl pratique un art qui s'amuse des contraintes et qui tord les contraires;
nous offre un monde poétique, burlesque, graphique, peuplé d'oxymores, d'apories eschatologiques (si si !), de figuration conceptuelle et de tartes à la crème.
Maître du Quasi, Thierry Lagalla est l'artiste exactement juste à côté, pas n'importe où...
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L'esparança dau Suquet (The Hope of The Top)Texte d'Eric Mangion, 2018
Exposition à la galerie Thomas Bernard, ParisDans la quinzaine de toiles présentées dans l'exposition
L'Esperança dau Suquet (The Hope of the Top) on y voit toutes sortes de choses : un personnage enrubanné, un cône de chantier en guise de coiffe, des tranches de mortadelle, une tête de lapin dépecée, des bottines surdimensionnées, des boîtes à chaussures pour toutes chaussures, des grilles et des grillages, un hiboux défiguré et même un chapeau de bombe à chantilly posé sur une table en bois...
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L'espoir de la gloire
Ou comment pisser dans les bottes du clown-empereurTexte de Jean-Yves Jouannais, 2018
Les triomphes célébrés à Rome avaient l'ampleur d'expositions universelles. Chaque général eut à coeur de réinventer ces fêtes majeures. Pour chacun, la sensation comme la théorie de la gloire étaient différentes. (Cf.
Fin finala libre !, 2001) Publicola, le premier, monta sur un char. (Cf.
Pourquoi sommes-nous si contemporains ?, 2009) Camille, quant à lui, le premier, eut l'usage d'un quadrige de chevaux blancs...
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Texte de Jean-Jacques Aillagon, 2017
Édition L'Esperiença Plata (The Flat Experience), Les Requins marteaux[...] La découverte de son travail a été pour moi une révélation, attiré que j'étais, au départ, par sa pratique d'un « art rapide », le dessin, qu'il a pris le parti de souvent cantonner dans ce format qu'il dit « trivial », le format A4, que je dirais plutôt commun. Le choix de ce format est pour Thierry Lagalla une façon de ne pas s'embarrasser de préalables formels, encombrants, afin de privilégier le fond, c'est-à-dire le sens qu'il donne à sa production d'images...
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La finalité au reposTexte de Jérôme Arieri, 2016
Exposition à la galerie La Mauvaise Réputation, Bordeaux[...] Comme vous l'avez certainement vu, entendu et remarqué, cette oeuvre vient usiner, affleurer le réel pour en extraire le plus fin des copeaux. Rien à voir, à faire avec le minimalisme, si répandu, qui laisse supposer que par économie d'expression une pureté, un absolu est à portée d'oeuvre. Non, ça Lagalla, ça le fait sourire. C'est ce même sourire qu'il doit arborer lorsqu'il crée à l'ombre des pâquerettes, comme il aime si bien le dire...
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L'essentielle réalité de l'Art ou, Juste à côté.Texte de Florence Beaugier, 2013
L'artiste est un être têtu, entêté, irréductible, aux contours flous, improbable à délinéer, dont il est très difficile de parler. L'exercice analytique ou critique de l'oeuvre d'art, de son auteur et du processus créatif dans lequel l'un entraîne l'autre n'offre bien souvent qu'un triste écueil, au vocabulaire redondant, au verbe creux et qui, confronté aux complexités de l'image et de son histoire, ne peut qu'être distancé de l'oeuvre, insipide. Or, le fait que Thierry Lagalla est dans l'Art se voit immédiatement dans ses vidéos, ses peintures, ses dessins, ses installations ou ses performances qui n'appartiennent qu'à lui...
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Portrait de l'artiste en raviTexte d'Odile Biec et Evelyne Toussaint, 2013
Artiste, intellectuel, populaire : Thierry Lagalla réconcilie ces termes, a priori antinomiques, par la collusion de l'ordinaire, de la distance critique et de l'invention poétique. Ses oeuvres, ludiques et engagées, inventent un langage hybride d'occitan, de nissart, d'anglais et de français, avec l'humour pour liant. La liberté créatrice du
Witz vient dynamiter conventions et convenances dans des vidéos, des performances et des peintures qui sont autant de minuscules coups de théâtre aussitôt dégonflés...
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