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| À la dérive
Dans un de ses premiers tableaux à la pierre noire, Quentin Spohn reprend des scènes réalistes de l'Ashcan school américaine et plus exactement la série des combats de boxes de George Bellow. Si ce n'est qu'au combat social du tournant des années dix s'est substitué le combat politique de 2012 entre Hollande et Sarkozy (Sans titre, 2012). La scène est explicite, pose ses intentions de tenir la chronique de l'époque avec vivacité. Mais très vite, Quentin Spohn ne se satisfait plus de cette littéralité des sources et du sujet. Il retient la pierre noire, qui devient son matériau de prédilection, et s'adonne à de grandes compositions où le réalisme le dispute à l'étrange et où l'intrication des détails et des citations forme une fresque composite et polyphonique du temps présent. Spohn donne parfois l'impression de penser en volume et articule des pans d'espaces. Il procède par strates d'images qu'il fait converger les unes avec les autres et entre lesquelles le regard circule. Et si l'influence de l'esthétique du jeu vidéo et de ses plans virtuels y est perceptible, la curieuse habitude qu'il avait enfant, lorsqu'il jouait aux lego, de photographier sa construction semble, de ce point de vue, prémonitoire.
Souvent, une lueur centrale irradie ses tableaux décrivant un lieu de promesses ou d'oubli. Parfois venue d'en haut, elle impose un surplomb surnaturel à la scène, une force ou une fascination provenant d'ailleurs. Au premier plan de son tableau dédié à l'affaire de Jérôme Kerviel, le personnage éponyme marche d'un pas aquatique sur un matelas de billets de banque qui longent le clavier d'un ordinateur. Il chancèle au bord du tableau et cherche un équilibre incertain dans un monde flottant avec le regard d'un mort-vivant à moins que ce ne soit celui de l'extra-lucide. Il est sûr qu'il va dans un autre monde ou qu'il en vient, et laisse dernière lui un champ de chiffres incandescents qui s'évapore en flammèches.
Travailleur infatigable, pas besogneux, mais prolifique Spohn opère sur grands formats. Pour ses tableaux les plus complexes, fourmillants de personnages et de détails, la linéarité du récit est difficile à reconstituer, car il procède par associations d'idées et d'images, comme dans un rêve éveillé. En amont, il cultive les séquences de dessins, associées à quelques oeuvres auxquelles il se réfère. Son tryptique (Sans titre, 2012) rappelle les scènes carnavalesques d'Ensor ou les personnages des gravures de Dix ou Beckmann, ailleurs ce sont ceux de Crumb et Bosch. Puis, à force d'esquisses successives, les scènes s'autonomisent et se distinguent à travers la frénésie d'une farce grouillante.
Spohn peut déployer le même sens de la démesure dans ses sculptures que ses tableaux, comme si celles-ci en étaient le prolongement. Plongé dans une lumière bleuté glaciale qui, comme dans ces tableaux provient du fond de la scène, son radeau d'androïds informaticiens dégénérés erre à la surface d'un monde surnaturel. Comme nous, ils ont visiblement échoués à trouver l'Arcadie technologique promise, si l'on en croit le nom de la société pour laquelle ils travaillent, Arcadia.
Sandra Cattini 2014
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