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| Edouard Monnet : Inconsidérations actuelles, 2013
Ian Simms est né en 1961 à Johannesburg (Afrique du Sud). Après avoir obtenu un diplôme en ingénierie agronomique à l'Université du KwaZulu-Natal en 1982, il refuse de se soumettre à la conscription et décide, en 1983, de fuir son pays ainsi qu'un régime dont la faillite était alors improbable, avant de poursuivre depuis l'Angleterre une activité militante à l'encontre de l'Apartheid. Dès lors, son parcours sera marqué du sceau de l'exil, au carrefour de quatre nationalités, citoyennetés, identités, histoires ou territoires (sud-africain, britannique, nord-irlandais et français). L'artiste a récemment participé à des expositions et programmations collectives parmi lesquelles L'Institut des archives sauvages1, Les Formes de l'engagement2 et Une Mouche dans la tête (Art contemporain et poétiques naturalistes)3 en 2012, Montrer sa nuit en plein jour4, Résister, résistance, résistant-e5 et Un pas de côté / A Step Aside6 en 2011. Il vit et travaille à La Seyne-sur-Mer – lieu d'un sincère ré-enracinement – et Toulon, où il enseigne à l'École Supérieure d'Art depuis 2006. Doctorant en Histoire de l'Art à l'Université de Paris 8, sous la direction de Jean-Philippe Antoine7, ses recherches à ce titre portent sur « les stratégies d'activation des images d'archive dans l'art contemporain », à partir des travaux de Fernand Deligny, Harun Farocki et Artavazd Pelechian.
Ainsi qu'on peut déjà s'en douter, la biographie complexe de Ian Simms est constitutive d'une oeuvre également complexe. Sans medium de prédilection, alternant ou mêlant la photographie, la vidéo, l'édition et l'installation parmi d'autres, elle interroge une forme d'engagement croisant notamment les domaines artistique, socio-politique et sociétal. La mise en lumière des absences qui qualifient l'identité particulière de l'exilé lui permettent de mailler indéfiniment petits et grands récits, autant nourris d'autobiographie que d'Histoire, articulée à une activité méthodique de collecte, d'inventaire et d'archive. Elle convoque ainsi un champ de tensions dialectiques qui opposent ou unissent l'ancrage et le déracinement, la proximité et l'éloignement, le subjectif et l'objectif, l'oubli et la mémoire, l'avant et l'après, l'opacité et la transparence, la perte et le gain, l'intime et le public, le réel et la fiction, l'étranger et le familier, etc. Ici l'affect ne s'oppose jamais vraiment à l'intellect – c'est là un tour de force –, et le recours à la sphère personnelle n'exclut pas une perspective foncièrement « anthropologique », rationaliste dans une certaine mesure, cohérente à coup sûr, qui contrarie ouvertement une approche dévoyée du romantisme bâtie sur des notions telles que l'originalité, le sentiment, l'expression, le génie, la passion ou la mélancolie.
Le titre de cette première exposition individuelle d'envergure, Inconsidérations actuelles, malmène par un renversement lexical l'appelation générique d'une série d'ouvrages philosophiques et polémiques publiés par Friedrich Nietzsche entre 1873 et 1876. Alors que le titre allemand signifierait littéralement « Considérations à contretemps », cet ensemble est dénommé Considérations inactuelles (parfois Considérations intempestives) sous l'effet de la traduction française. L'auteur y abordait donc, avec un sens aigu de la contradiction et de l'ironie, des sujets précisément « actuels », qu'il s'efforçait cependant de traiter à contre-courant. Selon une démarche tout aussi intempestive, Ian Simms décortique à son tour des manifestations qui lui sont contemporaines (désindustrialisation, luttes sociales, non-lieux, communautés fermées, phénomènes de repli, préoccupations sécuritaires et identitaires, exil) en insistant sur leurs circonstances sous-jacentes, dont il rend compte sans ostentation, et les rapports de collusion, de domination, de hiérarchie et de pouvoir qui les sous-tendent. Il en donne ainsi une lecture bien peu manichéenne, morale ou exotique, une vision infiniment plus embarrassante que l'apparence de ces situations, par leur médiatisation notamment, ne le laisse d'abord supposer. L'interversion du préfixe, cette fois incorporé au mot « considération », dessine aussi la tentative d'interroger la production du savoir, de la pensée ou du sens non plus seulement selon des modalités linéaires et causales mais plutôt sous l'angle de l'association, qu'elle ait pour effet l'écho ou le hiatus. L'intérêt de l'artiste pour les travaux d'Aby Warburg8, père de l'iconologie, constitue le témoignage évident de ce cheminement.
Parmi les divers corpus donnés à voir, la vidéo Si jamais je rentrais... j'habiterais un centre commercial occupe une place singulière, tout autant initiatique que manifeste. Mêlant une forme conjointe de lyrisme et de tristesse, sur la base d'un échantillon sonore emprunté à Randy Newman puis mis en boucle, d'images tournées à l'occasion d'un premier « retour » dans la nouvelle Afrique du Sud, d'un texte rédigé au moment de quitter l'ancienne et que l'artiste récite, elle annonce en effet les principes de collision (de temporalités et d'espaces par exemple) caractéristiques du travail, ici formalisés de manière significative par l'usage du « split screen ». Sa dimension élégiaque n'est éventuellement – et discrètement – réamorcée que dans une projection paradoxalement muette (Flowers) qui conclut l'exposition au plan chronologique. À la manière malicieuse d'un Rauschenberg9, cette dernière pièce élaborée à partir d'un fonds familial et personnel avait initialement pour vocation d'adoucir, dans ce contexte spécifique, un espace dédié à l'archive, réputée aride. Elle entre ainsi en résonnance avec un groupe de trois oeuvres en formes de papier peint, de diaporama et d'assemblage photographique (Papier peint, Tracts, Composite #1), toutes appuyées sur un fonds dédié à une aventure collective et publique cette fois, l'histoire des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer, leur faillite et leur disparition. À travers elles, Ian Simms interroge la matérialité du signe et son potentiel discursif, explore les capacités narratives de l'archive, examine ses effets de réel et d'authenticité mais, surtout, envisage un double statut du matériel mobilisés, restitué simultanément en tant que document et proposition artistique. Cet ensemble a probablement constitué le socle inaugural de plusieurs ensembles ultérieurs, interrogeant également les moyens de collecte, de restitution et de consultation, les méthodes de classement, les catégories, les fonctions et les usages des éléments « mis en oeuvre ».
Les Espaces autres (série irlandaise) s'inscrit parmi ces propositions artistiques émancipées – tout en étant informées – des contraintes et des normes scientiques relatives à ces questions de classification et de diffusion du document. Elle consiste ainsi en une réunion de vitrines associant systématiquement, chacune, des ressources de nature et de provenance disparates, relevant néanmoins de quatre régimes de représentation ou de présentation spécifiques (photographie amateur, herbier, tract, texte). Outre la référence explicite à l'histoire conflictuelle de l'Irlande, les relations de voisinage qui s'opèrent par le fait de la décontextualisation et de la juxtaposition révèlent la puissance singulière des écarts, des marges et des intervalles, en tant qu'ils sont aussi constitutifs de récits et de sens. L'artiste nous renvoie à travers cette oeuvre au concept d'hétérotopie défini par Michel Foucaultx comme une localisation physique de l'utopie, un espace concret qui héberge l'imaginaire. Le dispositif de monstration muséal est à nouveau déployé – de façon presque parodique – dans Seuils, une pièce consacrée à l'Afrique du Sud et la dette de l'Apartheid complétée par deux réalisations plus anciennes (Entre reconnaissance et ignorance et Walking the Farm). De même qu'il accorde une attention particulière au parergon (à ce qui ancre le travail et qui lui donne lieu : cadre, socle, vitrine, légende, etc.), au point qu'il se confonde parfois avec l'ergon (l'oeuvre proprement dite), Ian Simms s'intéresse ici au paratexte, à la rupture et aux seuils des récits qui entourent la présentation de chacun d'entre eux « d'un appareil qui le complète et le protège, et qui imposent un mode d'emploi et une interprétation »11. Organisé en sous-ensembles thématisés (dont une partie réalisée avec la collaboration de Raphaël Botiveau12), Seuils est une proposition mêlant documentation vidéo, photographies, écrits, travail d'enquête, de collecte et d'installation. C'est une réunion d'éléments aux statuts divers où chaque objet, choisi pour son ambiguité, témoigne des structures de pouvoir inhérentes à son existence ou à ses conditions de production. Inconsidérations actuelles réunit ainsi des travaux réalisés entre 2007 et 2013, distincts et connexes à bien des égards. Chacun incarne l'idée d'hétéronomie chère au Dan Graham de la période Rock My Religion13, d'un art non plus coupé de l'histoire et du réél social et politique, et porte en conséquence la critique des valeurs modernistes construites sur les principes d'autonomie, d'autosuffisance et de réflexivité. Par la même occasion, elles remettent en question – ou élargissent – la notion d'auteur, dont le rôle désormais se confond tour à tour avec celui de producteur, d'activateur, de traducteur, de collaborateur, de révélateur, de catalyseur, etc.
Notes . 1 Villa Arson, Nice, 2012, commissaires : Jean-Michel Baconnier, Christophe Kihm, Eric Mangion, Florence Ostende et Marie Sacconi. .2 LAAC, Musée de Dunkerque, 2012, échange avec Mabel Tapia dans le cadre du séminaire « Les années 68 et la question de l'art engagé », LAAC, musée de Dunkerque. .3 Domaine de la Garenne-Lemot, Clisson, 2012. .4 Musée Jean Cocteau, Menton, 2011, avec Brice Dellsperger, Eric Duyckaerts, Jean Pierre Khazem et Virginie Le Touze, dans le cadre de la manifestation « L'Art contemporain et la Côte d'Azur ». .5 Université de Paris-Est Créteil et MAC/VAL, commissaires : Mathilde Roman, François Taillade et Jean-Marie Baldner, dans le cadre de la deuxième édition de Vidéo'Val. .6 Angle Art Contemporain, 2011, dans le cadre du programme « Résonnance » de la Biennale de Lyon, commissaires : Elodie Dufour et Marianna Hovhannisyan. .7 Philosophe, professeur d'esthétique, critique d'art et plasticien. .8 Historien de l'art né en 1866, mort en 1929. .9 Voir le documentaire de Barbro Scultz Lundestam consacré à l'oeuvre réalisée en 1966 par Robert Rauschenberg (Open Score) dans le cadre de la manifestation 9 Evenings: Theatre and Engineering. .10 « Des espaces autres », conférence de Michel Foucault au Cercle d'études architecturales, le 14 mars 1967. .11 Gérard Genette, Seuils, Paris : Seuil, 1987. .12 Raphaël Botiveau est doctorant en Science Politique à l'Université de Paris 1.. .13 Rock My Religion est un intitulé générique correspondant à plusieurs travaux de Dan Graham (vidéo, conférence et publication) réalisés au début des années quatre-vingt.
Marie Adjedj : (Dis)location ou le principe du bon voisinage , 2014
L'un des ressorts essentiels de la démarche artistique de Ian Simms est de qualifier l'art comme producteur de connaissance. C'est à ce titre que le Pressing l'a invité à concevoir une oeuvre qui engage sa bibliothèque personnelle. Une partie du fonds de Ian Simms a ainsi été délocalisée au sein de l'espace d'exposition, puis augmentée par d'autres ouvrages, de sources extérieures, mais dont la présence s'est imposée comme nécessaire au fil de nos discussions. L'organisation des ouvrages repose sur un principe d' « affinités électives », écartant les systèmes de classification traditionnellement en vigueur.
Cette bibliothèque est intégrée dans une installation qui actualise l'économie du studiolo, petite pièce privée réservée aux activités intellectuelles, fort répandue au XVe siècle dans les cours italiennes. Ce cabinet de travail avait pour spécificité d'articuler oeuvres picturales et littéraires, afin d'accompagner et de nourrir l'étude. « (dis)location ou le principe du bon voisinage » emprunte au studiolo la mise en dialogue des textes et des images ; mais surtout, elle procède des modalités d'émergence de la connaissance sous-tendues par ce dialogue, et l'expérience d'un espace de pensée qu'il suppose.
Relevant d'une logique citationnelle, l'installation convoque Aby Warburg, J.G Ballard, Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Samuel Beckett et Harun Farocki, qui constituent le socle de l'oeuvre et sa matrice visuelle. A ces figures tutélaires répondent d'autres artistes, écrivains, philosophes, scientifiques, parmi lesquels Léon Trotsky, Günther Anders, Hanna Arendt, ou Michel Foucault. Chaque visiteur-lecteur, à travers son usage particulier de l'installation, opère des agencements dont les possibilités sont incommensurables. Cette ouverture sémantique est un pivot de l'oeuvre et de la démarche de Ian Simms, qui privilégie les formes de la connaissance à celles du savoir. La frontière semble mince entre les deux notions, mais elle est fondamentale. Là où le savoir renvoie à l'autorité et à la stabilité des concepts énoncés, voire enseignés, la connaissance relève davantage d'un processus d'analyse fondé sur l'action et l'expérience.
Cette mise en évidence de la connaissance, conjointement aux penseurs convoqués, découle du positionnement intellectuel de Ian Simms qui interroge les échecs d'une modernité héritée des Lumières. Cette modernité, tendue vers l'émancipation des individus, avait pour cela appelé de ses voeux le règne de la Raison et placé sa foi dans le Progrès. L'histoire du XXe siècle en a révélé les écueils et apories : Raison et Progrès ont abouti à une réification et une aliénation des individus. Ce mouvement à rebours du rationalisme moderne ne passe pas par un refus ou un contre-pied qui s'inscriraient dans une logique binaire d'opposition. Afin de pouvoir penser et investir le contemporain, Ian Simms privilégie les seuils, les passages, les basculements, qui sont autant de vecteurs de l'émergence d'un troisième terme qui dialectise les oppositions.
« (dis)location ou le principe du bon voisinage » est une oeuvre résolument liminaire qui se fonde sur des maillages. A l'instar des porosités entre l'intérieur et l'extérieur du Pressing que l'installation aménage, nous pouvons la caractériser comme relevant de l' « informe », tel que théorisé par Georges Bataille : « Un dictionnaire commencerait à partir du moment où il ne donnerait plus le sens mais les besognes des mots. Ainsi informe n'est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser (...) » (in Documents, N°7, décembre 1929, Paris).
Texte de Diane Pigeau, 2014
Ian Simms est un artiste de nationalité britannique né en 1961 à Johannesburg, où il vécut jusqu'à son exil en 1983, lorsqu'il refuse de se soumettre à la conscription. Il poursuit depuis la Grande-Bretagne une activité militante à l'encontre de l'Apartheid, avant de s'installer dans le sud de la France. Il y vit et travaille depuis plus de vingt ans.
L'exposition « Les espaces autres : passages » clôture la résidence de création pour le lieu de l'artiste au 3 bis f. L'espace d'exposition est occupé par une installation, un espace mental, fragmenté, qui délimite un espace intérieur dans un espace autre, celui de l'ancien pavillon de contention pour femmes du 3 bis f.
L'espace autre, ou hétérotopie, c'est pour Michel Foucault celui de l'hôpital psychiatrique, celui de la prison, de la maison de retraite, du cimetière, mais aussi la maison close, le village de vacances, le jardin, le bateau. Ces espaces représentent des territoires ouverts ou fermés, souvent surveillés, contrôlés, sécurisés, réglementés. Leur fonction détermine leur organisation. Ils constituent autant de cités dans la cité, tout en demeurant physiquement en sa périphérie. Dans ses travaux antérieurs (Si jamais je rentrais... j'habiterais un centre commercial, 2003-2013 - Establishing Territory #1, 2007), Ian Simms s'empare de leurs manifestations les plus contemporaines, le centre commercial et le gated community1. Ces mirages d'utopies réalisées, espaces concrets abritant l'imaginaire, comme extraits des romans que J.G. Ballard, constituent des « mythes de notre futur proche2 », constructions relevant d'un espace psychologique, d'un espace intérieur.
Dans l'espace d'exposition, Ian Simms ouvre un passage d'un espace à l'autre, crée un espace dans l'espace. L'installation, se déploie sous la verrière, cohabite avec les murs d'origine en granito ocre et carreaux de terre, le couloir panacoustique, les cellules d'isolement aujourd'hui vacantes. Sur le papier peint qui recouvre deux pans de la structure de bois, cinq caissons lumineux. Les couleurs des photographies, tour à tour à dominantes froides ou chaudes, résultent pour les premières de la technique de captation de l'image et pour les secondes du passage du temps sur les négatifs. Ce corpus est un ensemble de paysages, sauvages, désertiques, semi-urbains. Les plus anciens ont été photographiés dans les années 1930, les plus récents datent des années 1950 et, pour quatre d'entre eux, prélevés dans le fond d'archives sur l'Afrique du Sud à Paris. Le cinquième est un paysage désertique du Sahara réalisé par Ian Simms en 1987. Cette photographie constitue, de manière presque anonyme, la seule « oeuvre » de l'artiste dans le corpus présenté. Ce retrait volontaire participe d'une pratique de l'archive, au sens warburgien, centrale dans la démarche de l'artiste, au même titre que la collecte et la citation. C'est dans la juxtaposition de fragments que l'oeuvre émerge, fait sens.
« Fragmentaire » est également l'un des qualificatifs des écrits qui constituent les deux références principales de l'exposition : Le Livre des passages de Walter Benjamin et La Foire aux atrocités (1969) de J.G. Ballard. Si cet aspect tient de la forme, Ian Simms explore leur caractère anticipatif de l'utopie politique de la modernité pour l'un et sa réactualisation contemporaine pour le second. C'est ainsi qu'il prélève dans La Foire aux atrocités, treize « images » décrites par l'auteur ou récurrentes dans l'ouvrage, voire dans son oeuvre. Il rentre la description de ces images mentales de Ballard sur un moteur de recherche. Spectro-héliogramme du soleil, façade à balcons de l'hôtel Hilton (Londres), Chronogrammes de E.J. Marey, reproduction de Pièges pour un avion de jardin par Max Ernst, séquences fondues de Little Boy et de Fat Boy (bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki), Pontiac blanche ou encore portrait de Jayne Mansfield en collage, sont tirés sur papier photo. Suivant le protocole établi par Hollis Frampton, dans la vidéo (nostalgie) (1971), chaque image est posée « sur une plaque chauffante et filmée par la caméra placée directement au-dessus d'elle. La durée de chaque plan correspond au temps que met le cliché à prendre feu et être complètement réduit en cendres. Durant chacun des plans, une voix décrit la prochaine photo qui va apparaître. Chaque description dure le temps que la photo prenne feu mais s'achève avant sa réduction en cendres. Du coup, pendant environ les quarante-cinq dernières secondes de chaque plan, il n'y a ni image photographique à voir ni commentaire à entendre3 ». Les commentaires sont à la fois tirés des propres notes de J.G. Ballard ajoutées dans l'édition de 1990 de La Foire aux atrocités, mêlés à ceux de Walter Benjamin, William Burroughs, Winfried Georg Sebald, Sigmund Freud, André Breton...
Des images-collages extraites de l'advertisement ballardien et recyclées en papier peint d'intérieur, sur lequel des images d'archive sont encastrées sans commentaire, jusqu'à la séquence vidéo d'images détruites décrites ou évoquées par anticipation, Ian Simms nous offre un voyage dans le XXème siècle, d'où ressort la difficulté, selon son propre sentiment, « à se situer dans la tension entre histoire et mémoire, vérité et fiction, territoire et lieu, image et souvenir ». L'image disparue, il ne reste que les mots de Walter Benjamin (Le caractère destructeur4) et J.G. Ballard (What I believe) défilant sur un écran panoramique.
Notes 1. in Fortress America : Gated Communities in the United States, Land Lines, Lincoln Institute, vol. 7, n°5, septembre 1995, les gated communities sont définies par Edward J. Blakely et Mary Gail Snyder comme « des quartiers résidentiels dont l'accès est contrôlé, et dans lesquels l'espace public est privatisé. Leurs infrastructures de sécurité, généralement des murs ou grilles et une entrée gardée, protègent contre l'accès des non-résidents. Il peut s'agir de nouveaux quartiers ou de zones plus anciennes qui se sont clôturées, et qui sont localisés dans les zones urbaines et périurbaines, dans les zones les plus riches comme les plus pauvres ». 2. J.G. Ballard, Mythes de notre futur proche, 1984, recueil de nouvelles. 3 in Traffic n°82, (nostalgia) : un film de Hollis Frampton par Anthony McCall et Andrew Tyndall, (p.124), mai 2012. 4 in Œuvres II, Walter Benjamin, texte de 1931, Paris, Gallimard, 2000, p.330. 2.
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| Ian Simms is a South African artist, born in Johannesburg where he lived until his exile to Britain in 1983 when he refused to do his military service. In Britain he continued working as an activist against apartheid before moving to the south of France where he has lived and worked for more than twenty years.
The exhibition “Of other spaces: passages” brings to a close the artist's residency at the 3 bis f. The exhibition space is filled by an installation, a fragmented mental space which circumscribes an internal space within an other space, that of the former restraint ward for women.
Heterotopias or, other spaces are, for Michel Foucault, psychiatric hospitals, prisons, retirement homes, cemeteries, but also brothels, holiday villages, gardens or boats. Closed or open, they are often under surveillance, protected, regulated. Cities within the city, yet located on the peripheries, their function determines their organisation. In previous work (If I ever returned I would live in a shopping centre - 2003-2013, Establishing territory #1- 2007) Ian Simms has explored their most contemporary expressions, the shopping mall and the gated community. These real utopian mirages, these actual spaces sheltering the imagination are like extracts from J.G. Ballard's novels forming “myths of the near future”; structures emerging from a psychological space, an internal space.
In the exhibition space, Ian Simms opens a passage from one space to another. The installation unfolds under the glass roof, cohabiting with the pan acoustic corridor, the walls of granito and ceramic tiles and the now vacant isolation cells. Five light-boxes have been inserted into the wallpaper that covers two of the walls of the wooden structure making up the installation. The colours of the photographs, in turn warm or cool, result either from the techniques used to capture the image, or from the passage of time deteriorating its support. The corpus is a series of landscapes, wild, arid, semi-urban. The oldest are from the 1930s and the most recent from the 1950s, four are from an archive on South Africa in Paris. The fifth is of a landscape in the Sahara taken by Ian Simms in 1987. This photograph constitutes, almost anonymously, the artist's only “work” in the body presented. This conscious withdrawal is part of a “warburgian” approach to the archive, which together with the notions of collecting and quoting, is central to the artist's approach. It is in the juxtaposition of the fragments that the work emerges and takes on meaning.
“Fragmentary” is one of the adjectives qualifying the writings constituting the main references of the exibition: The Arcades Project by Walter Benjamin and The Atrocity Exhibition (1969) by J.G. Ballard. If this aspect defines the form, Ian Simms explores the anticipatory character of a modernist political utopia in the former and its contemporary update in the latter. It is thus that he has elicited from The Atrocity Exhibition thirteen “images”, either described by the author or recurring throughout the work, by entering Ballard's descriptions of the images into a search engine and using the images produced. A spectro-heliograph of the sun, the front elevation of the balcony units, Hilton Hotel, London, Chronograms by E.J. Marey, reproduction of Max Ernst's Garden Airplane Traps, fusing sequences for Little Boy and Fat Boy (Hiroshima and Nagasaki A-bombs), a white Pontiac, or a portrait of Jayne Mansfield are printed onto photographic paper. Following a protocol established by Hollis Frampton in the video Nostalgia (1971), where “each image is set on a slow-burning hot plate. Each shot lasts until each respective photograph turns to ash. On the sound track we hear a description of the photo we are about to see in the next shot while we watch the photo we previously heard described incinerate.1” For approximately the last 45 seconds of each shot there is neither a photographic image to see nor a commentary to be heard. The commentaries are taken from Ballard's own notes to The Atrocity Exhibition (added to the 1990 edition), mixed with extracts from Walter Benjamin, William Burroughs, Winfried Georg Sebald, Sigmund Freud and André Breton.
From the collages taken from Ballard's newspaper advertisements, reworked as a wallpaper into which the archival images are inserted without any form of commentary, to the sequence of video images, destroyed, described or evoked by anticipation, Ian Simms takes us on a trip through the twentieth century, highlighting the difficulty, as he himself feels, “of finding oneself in the tension between history and memory, truth and fiction, place and territory, image and memory”. The image having disappeared, only the words of Walter Benjamin (The destructive character) and J.G. Ballard (What I believe) remain scrolling across a panoramic screen.
Since 1983 3 bis f, situated in the Montperrin Psychiatric Hospital, has developed a place of contemporary creation in both the theatre and the visual arts within its art centre. Each year artists and theatre companies are invited, for periods varying from a few weeks to several months, to propose and develop projects within the framework of creation or research residencies. During the residencies a number of meetings, open to the public, are proposed (workshops, encounters with the artists, visits, creations, performances, exhibitions).
Note 1. Carroll, Noel, Interpreting the Moving Image, University of Cambridge Press, Cambridge, 1998 p. 304-305
Diane Pigeau, 2014
The 3 bis f is a member of the d.c.a (French association for the development of art centres) and the ARTfactories/Autre(s)p'ARTs network. It benefits from the support of the Montperrin Hospital, the Ministry of Culture and Communication, the DRAC Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, de l'ARS – Agence Régionale de Santé, du Conseil Général des Bouches-du-Rhône, de la Communauté du Pays d'Aix et de la Ville d'Aix-en-Provence. This exhibition also benefited from the support of apanache (global retail solutions)
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Techniques et matériaux
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Vidéo Photographie Installation/techniques multiples (mixed media) Archives Document Son | |
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Mots Index
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Territoire Cartographie Topographie Identité Lieux-non-lieux Temps Mémoire Processus | |
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champs de références / repères artistiques
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Cinéma: Chris Marker et Artavazd Pelechian Littérature: Samuel Beckett, WG Sebald, James Joyce La chose politique: William Hogarth Esthétique des données: Hans Rosling | |
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