Isthme : trois intervalles sur la crête 2021
Installation, chantier naval Borg, Marseille
Carte blanche proposée par l’association Voyons Voir - Art contemporain et territoire
Montage : Thelma Garcia
Isthme : langue de terre qui joint une presqu’île au continent ou qui sépare deux mers. Une passerelle centrale, séparant deux bâtiments, devient ici un espace de respiration ouvrant sur la mer. Trois propositions, en tension sur la crête des vagues, jalonnent cette langue de terre, aiguillant nos perceptions, révélant certaines qualités interstitielles du paysage.
1/ En arrivant au chantier naval Borg, l’espace du ciel se dessine. Une ligne verticale surgit face à nous, tendue sur le toit, mouvante, en tension, prenant sa force dans le ressac des vagues et des marées. Cette passerelle aérienne s’équilibre des deux côtés, balancier plongeant au niveau zéro de la mer, pris dans une résistance physique. Au sol, au centre de la rue, vers la porte principale du chantier, une trace circulaire indique un emplacement privilégié pour découvrir cette installation, prenant comme point de repère les fils électriques quadrillant le ciel, dont un en particulier que le poids suspendu à la ligne verticale traverse lorsque le vent souffle à 30 km/h par marée basse - soit une force moyenne à l’échelle de ce lieu.
2/ À la jonction entre terre et mer, une traverse de 35 cm sépare le couple de bâtiments du chantier naval. Un espace invisible, encombré, entravé avant l’intervention in situ qui cherche à lui redonner sa profondeur, en dialogue avec le corps, afin d’offrir une juste perception de cet espace de jonction, fenêtre entrouverte sur l’étroit paysage dévoilé avec réserve. Le regard, discipliné par le tissus tendu, s’élance vers un court horizon.
Comment la contrainte physique peut-elle ouvrir sur un nouveau point de vue ? Ce mince espacement est une invitation aux corps téméraires et aux regards curieux de ce qui ne peut être vu. Il est possible de rester à l’entrée de la traverse et de simplement passer la tête dans le couloir, en appuyant sa carrure sur l’encadrement de bois creusé pour que les épaules s’y reposent. Plongée dans la pénombre et pris dans le son transmis par le couloir, cette posture permet déjà d’entrer en contact avec l’installation. Une autre possibilité est de s’y aventurer physiquement, en entrant de biais dans la traverse. Au fur et à mesure de la progression, la sonorité aqueuse réactive l'ouïe, tandis que les pas s’enfoncent dans la sciure fraîche et odorante, ouvrant vers une fenêtre d’eau salée, microenvironnement dont les nuances varient selon les jours, la lumière, le vent, l’humidité, les marées et les tensions des cordes de bateaux. Alors que le corps choisit son degré d’engagement dans la parcelle, une veduta* s’ouvre sur la mer.
* Veduta : «ce qui se voit» , «comment on le voit». Vue urbaine peinte très détaillée - panorama vénitien dont les limites de projection se dilatent, historiquement au travers d’un verre poli, verre utilisé ici par l’artiste pour produire la vidéo.
3/ En progressant dans la rue vers le second bâtiment d’un bleu délavé, une fenêtre horizontale se découpe dans la porte en bois, où l’on peut glisser son regard. Une danse aquatile s’y révèle : un détail capté en marée basse, au plus proche de l’eau, se soulève.
Le regard et le corps naviguent entre ces trois intervalles, de l’horizon à la verticalité, du niveau de la mer à l’espace du ciel, à l'affût des lignes de tensions mouvantes. Il s’agit ici de garder du jeu, de la souplesse, l'œil et le corps aux aguets, pour s’orienter d’une intervention à l’autre et percevoir sous un nouveau jour l’horizon du chantier naval.