Le hamac, le livre et le festival, Emilie Renard, janvier 2016
Salut Adrien,
Je t’écris de mon lit. J’aime bien écrire le soir, l’ordi sur les genoux, ça change pas mal de la manière dont j’écris assise à mon bureau dans la journée où je suis toujours disponible à répondre aux autres, toujours très disposée à fractionner mon temps et à ouvrir toujours plus de fenêtres sur mon écran. Surtout, je n’ai pas de wifi dans mon lit, donc pas de ressource, pas de distraction... Et je suis assez fatiguée comme après une de ces journées bien morcelées. Alors j’écris dans cet état-là, avec ce besoin de m’étendre et de penser à une seule chose simple, un peu longtemps, vaguement. C’est sans doute un bon état pour écrire sur (un peu comme si c’était depuis) ces hamacs que tu as créés pour ce festival du livre d’art à Copenhague, en réponse à une commande de Theophile’s Paper d’un mobilier destiné à présenter ses éditions.
C’est sûr, je ne suis pas la seule à n’avoir que des bons souvenirs de hamacs et de livres et de jardins : ombres, chaleur, été, siestes, balancements, feuilletage plus que lecture, une solitude heureuse, suspendue au dessus du sol... Lire dans un hamac, dans un festival du livre d’art où les sources d’information dépassent largement la capacité d’attention d’un être humain, j’imagine que c’est une sensation bien différente. Proposer de s’installer dans ces formes souples, c’est peut être une invitation à accepter de ne pas tout voir, ni tout lire, c’est peut-être même faire de cette partialité une sorte de privilège, en invitant à se retirer, à se cacher en plein milieu de cette situation dense et débordante. Ces longues bandes de tissus cousues entre elles à grosse couture et accrochées à leurs extrémités se substituent aux meubles solides, plus fonctionnels et adaptés pour présenter des livres, faisant vriller les plans d’une table, d’une assise, d’une étagère dans les plis de formes souples et enveloppantes. Un livre est aussi un objet relié dont la couverture ou les pages ouvertes cachent ce qu’il y a dedans, avant ou après. Vu depuis mon lit, et c’est peut être aussi le cas depuis un hamac, le hamac et le livre semblent assez similaires dans leurs structures pliées, dans leurs jeux d’exposition et de disparition, et par cette proximité, ces deux formes semblent être accueillantes l’une envers l’autre.
En fait, cette détente que je ressens et que j’imagine a déjà commencée bien avant cette rencontre d’un lit, d’un ordi et d’une chambre ou d’un hamac, d’un livre et d’un festival. C’est d’abord la détente que tu as fait subir au matériau lui-même car les tissus de ces hamacs sont en fait des toiles relaxées au double sens du terme : elles sont à la fois délivrées et relâchées. Elles ont échappé au châssis sur lequel elles étaient destinées à être tendues. Elles sont donc passées d’un projet de tableaux à l’objet d’une expérience physique d’un tableau plissé, d’une structure porteuse plane à un enchevêtrement de tissus juste suspendus à deux bouts. C’est un tableau qui à la fin, ne se laissera jamais voir en entier, à plus ou moins grand distance, parce qu’il peut annuler cette distance de l’observation pour envelopper son regardeur et le cacher aussi. Tu as fabriqué ces toiles à Noisy-le-Sec, dans la résidence du centre d’art où je travaille le jour surtout. C’est là que tu as cousu différentes bandes de tissus de couleurs pastel, roses, jaunes, bleues. Cette photo que tu as prise des tours d’habitation dans une lumière de fin d’après midi aux alentours de la résidence faisait écho à cette composition horizontale et à ses couleurs. Puis plongées dans une décoction dont tu as le secret, avec des feuilles ramassées dans des plates-bandes, elles prenaient tout à coup, une dimension très locale. Il fallait que ce projet se métamorphose avec ce voyage à Copenhague pour devenir fonctionnel : de compositions horizontales, ces toiles se sont plissées, libérées de toute structure porteuse, pour remplir la fonction d’objets assez simples et accueillants, des formes au repos.
Bonne nuit et à demain,
Emilie
The hammock, the book, and the festival, Emilie Renard, january 2016
Hi Adrien,
I’m writing from my bed. I like writing at night, with my computer on my knees, it’s so different from when I’m at my desk during the day, always available, reachable, always prepared to divide my time and continually open new windows on my computer screen. But most of all, I don’t have wifi in bed, so no other resources, no distractions… And I’m pretty tired, like after a busy day. So as I write in this state, I feel the need to extend and focus on one simple thing, for a while, vaguely. It’s probably a good state for writing about, as if it were since, those hammocks you made for the art book fair in Copenhagen, where Theophile’s Papers’ commissioned furniture to present its books on.
I know I’m not the only one who has fond memories of hammocks, books, and gardens: the shadows, heat, summertime, naps, swaying, flipping through pages, not really reading, a happy seclusion, hanging above the ground… I imagine that reading in a hammock, in an art book festival where the sources of information are far too rich for anyone’s attention span, must be quite a different feeling. Maybe offering flexible structures to settle in is also an invitation to accept not to see everything, nor read everything, maybe to the point of turning this subjectivity into a privilege, a welcoming retreat, where one can hide in the very midst of a dense and bustling situation. These long strips of fabric, sewn together with bulky seams, hanging from each end, stand in for the robust furniture that is more adapted and functional for showing books, as the surface of a table, a chair, a shelf twist into
the folds of these enveloping and supple forms. A book is also a bound object, its content concealed by its cover or successive pages. Seen from my bed, and probably also seen from a hammock, a book and hammock seem very similar with their folded structures, their plays of showing and hiding,
and this closeness makes these two shapes inviting to one another.
Actually, this relaxed state that I am in and am imagining started long before the convergence of a bed, a computer, and a room or a hammock, a book, and a festival. Firstly, it’s the way you relaxed the material itself, because the hammock’s fabric is actually loosened canvas: both untightened and released. It has escaped the frame onto which it was meant to be stretched. The fabric has shifted from the project of a painting to the object of the physical experience of a creased painting, from a flat
supporting structure to a tangle of material hanging from two ends. It is a painting that ultimately refuses to be seen entirely, whether it be up close or far away, because it can undo the eye’s distance by wrapping or hiding its beholder. You made these canvases at the residency in Noisy-le-Sec, in the art center where I work mostly during the day. This is where you sewed the different strips of pastel pink, yellow, and blue. The picture you took of the towers surrounding the residency, right before dusk, echoed your vertical composition and its colors. And then, immersed in a decoction only you know how to make, with leaves that you picked from a flowerbed, it suddenly took on a very local dimension. Your trip to Copenhagen transformed this project, allowed it to become functional: from horizontal compositions, the canvases creased, freed from any supporting structure, to become simple and welcoming objects, shapes at rest.