STAUTH & QUEYREL 

DCPM, EN VRAC...
Par Karel Alafia

Pour autant que les costumes sont « des réceptacles d’éclats » 1, il se pourrait qu’ils couvent également des rumeurs. Par ouïe-dire ou en direct, par allusion scripturaire ou par contagion orale, la nébuleuse qui a pour titre « Des Costumes Pour Marseille » ne manque pas de susciter en effet quelque rumeur. De bon ou de mauvais aloi, qu’importe. Pourvu qu’elle croisse en puissance et qu’elle affecte d’une exponentielle le débat, le différend dont DCPM se veut l’étendard perpétuel, sans cesse en cours de déploiement ou d’explication, d’exposition et d’exportation...

Car il y va de la rumeur comme des clichés ou de la Fama 2. Bien ou mal intentionnés, de source sûre ou hypothétique, de bon ou de mauvais goût, ces derniers n’ont pas d’origine identifiable et ne se laissent pas assigner à une fin comme tels : ce sont des milieux réfringents par excellence. Leur intensification, leur exaspération ou leur envenimation restent dès lors les seuls moyens capables, sinon de les épuiser ou de les exténuer, du moins de les excéder.

C’est précisément au beau milieu de la rumeur que la présente colonne s’installe désormais, comme un œil de cyclope au centre mouvant d’un cyclone.

Certes, il nous faut concéder d’emblée que c’est là une tâche exorbitante, excessive, digne d’un titan.

En quoi nous tomberons d’accord avec l’une des rumeurs relative à DCPM : ce projet serait « prétentieux ». Autrement dit, démesuré. En effet. C’est là l’occasion de rappeler au bon souvenir des fauteurs de cette objection péremptoire qu’il n’y a pas d’artiste d’envergure qui ne se signale - en droit - par une ambition disproportionnée, excessive quant aux moyens dont il dispose - en fait. C’est celle-là même qui faisait dire à Malévitch, en 1919 : « La couleur bleue du ciel est vaincue par le système suprématiste » ; conclusion : « J’ai vaincu la doublure du ciel coloré après l’avoir arrachée ; j’ai mis les couleurs dans un sac ainsi formé et j’y ai fait un nœud ».

Faut-il rappeler ce que le Douanier Rousseau annonçait à Picasso ? « Nous sommes les deux plus grands peintres de l’Europe, toi dans le genre égyptien, moi dans le moderne ».

Voyez encore Schwitters, en 1930 : « Je sais que je suis un facteur important dans l’évolution de l’art et que je le resterai de tous temps. Je le précise pour qu’on ne dise pas plus tard : le pauvre homme ne savait pas du tout combien il était important. Non, je ne suis pas idiot et je ne suis pas timide non plus ».

Dans un autre registre, Gertrude Stein déclare en 1946 :
« Dans La fabrication des Américains 3, (…) en essayant de faire une histoire du monde, mon idée était d’écrire la vie de chaque individu qui aurait pu vivre sur terre. J’espérais réaliser cette ambition. »

Rien que ça. Mais arrêtons là une liste aussi considérable que le ciel étoilé au-dessus de nous.

C’est vaille que vaille l’une des raisons pour lesquelles, à Marseille, il se sera trouvé par exemple, Queyrel et Stauth pour, ni vus ni connus, s’emparer à brûle-pourpoint du « costume » comme Prométhée l’avait fait du feu et, en leur temps - en vrac - Jacob de l’ange, Persée de Méduse, Zeus d’Europe, Flaubert de Bovary, Baudelaire du Spleen, Leibnitz de l’Optimisme, Schopenhauer du Pessimisme, Nietzsche de l’Éternel retour, Rude de La Marseillaise, Kandinsky de l’abstraction, K. de Kafka, Duchamp de l’air de Paris, Beuys du silence de Duchamp, Artaud de la cruauté, De Gaulle de la France, Buren de l’in situ rayé, Gorbatchev de la Pérestroïka, etc.

Dès lors, avant de jeter la pierre ou des fleurs à DCPM, convient-il de s’interroger sur la présence et la persistance de cette passion prométhéenne, de cette passion à l’œuvre chez nous tous autant que nous sommes… en tant que, toutefois, nous nous regardons sans autre tenue que celle d’Ève ou sans autre costume que celui d’Adam.

Une autre rumeur apporte un commencement de réponse : DCPM serait politically correct. Est-ce le mot peuple qu’on lit sur l’affiche-manifeste reproduit en couverture du premier numéro des bulletins de DCPM qui aura effarouché ? Quoiqu’il en soit, l’usage systématique et fort répandu de ces deux vocables d’importation outre-Atlantique paraît constituer une aubaine chez tous ceux qui s’acharnent à phantasmer un monde (ou un art) privé de toute dimension politique. Ne résistons pas à la tentation d’y voir un avatar postmoderne - ou post-muros - de l’anti-communisme primaire et larvaire qui, il n’y a pas si longtemps encore, sévissait de ce côté-ci du mur de Berlin. À cette objection, on se contentera d’opposer ici la simple colère, en tant que « sentiment politique » par excellence : « En elle, en effet, il s’agit de l’inadmissible, de l’intolérable et d’un refus, d’une résistance qui se jette d’emblée au-delà de tout ce qu’elle peut raisonnablement accomplir. » 4.

Aussi, par-delà ce qu’il reste encore à accomplir par DCPM - l’exposition du FRAC notamment - , peut-on raisonnablement se poser la question de savoir pourquoi la rumeur dont cette proposition est l’objet a été une objection d’emblée politique. Sans doute pour la raison que son projet s’est délibérément mis dans une situation asymptotique, au regard notamment des distinctions, des limites et des conventions (institutionnelles entre autres) à l’abri desquelles tel ou tel « milieu » entretient la frilosité d’un pouvoir impavide car largement usurpé. Il ressortit donc au dit projet que la médiocratie ambiante se soit sentie visée, celle-ci étant par nature inaccessible à toute colère et, partant, à toute remise en cause.

(à suivre.)

1- Selon l’expression de J.-C. Agboton-Jumeau, dans un texte paru dans le bulletin n° 4 de DCPM.
2- Nous renonçons à traduire du latin ce terme qui signifie mais également , qu’elle soit négative ou positive. Les mots français et gardent quelque chose de son ambivalence native.
3- Écrit en 1906 -1908.
4- (c’est nous qui le soulignons). J.-L. Nancy & J.-C. Bailly, La comparution (Politique à venir), Paris, 1991, p. 58.

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