Retranscription de lémission « Radiogramme # 3 », réalisée par Vanina Andréani, avec Pascale Stauth, Claude Queyrel et Christophe Lasserre, radio Grenouille, 29 mars 2003
Vanina Andréani : Depuis le mois de Janvier de cette année, lhôtel « Le Richelieu » accueille un projet de Pascale Stauth et Claude Queyrel, qui consiste à habiller les téléviseurs de cet établissement de housses en tissu brodé, pensées et réalisées selon le décor des chambres. Ce projet sinscrit dans la continuité du travail de ces deux artistes qui questionnent lespace et la fonction dune exposition. En amenant lobjet artistique hors du musée ou de la galerie, ils contribuent à questionner la spécificité de lart.
Pascale Stauth : À loccasion dune exposition quon a faite, au tout début où lon travaillait ensemble- on avait à ce moment-là une galerie associative, on était donc complètement dans les fonctionnements habituels-on a décidé de faire une exposition de notre travail commun, dans un lieu qui était tout aussi important pour nous puisquil sagissait des maisons de nos parents respectifs.
Lidée daller faire une exposition de nos tableaux, -à ce moment-là on faisait de la peinture sur toile- et de lamener dans un univers tout à fait construit, rempli et habité par des objets, des papiers peints, des lampadaires, des façons de se déplacer, etc., cétait une expérience qui nous importait, qui nous intéressait beaucoup. Ça nous a permis de comprendre que dune certaine façon, le mur blanc du musée était tout aussi chargé de contraintes, tout aussi directif et dirigiste que les papiers peints et les bibelots. Ça, cétait intéressant et en fait la phrase rien ne va de soi fonde vraiment beaucoup de choses que lon fait
V. A. : Questionner lart pour le définir cest aussi amener des personnes de lextérieur à intervenir dans le champ artistique.
P. S. : Pour nous, une exposition est un projet, cest une façon de construire une rencontre, mais encore une fois rien ne va de soi
Claude Queyrel : Et ça se discute, on choisissait de retrouver nos familles avec un truc queux ne connaissait pas et cest une attitude assez générale quon a avec les milieux, les systèmes,
P. S. : Quils soient familiaux, sociaux ou les deux dailleurs !
V. A. : Pour Pascale Stauth et Claude Queyrel, ce qui fait uvre, ce ne sont pas les objets pour eux-mêmes, mais ce que leur création inaugure de leur relation aux choses et aux autres, en un mot, leur destination.
P. S. : Je crois à la fois que lobjet est fondamental, parce que cest sur lui que se pose les rêves, les intentions, la façon quon a de procéder mais en même temps, cest vrai quil nest pas important en tant que tel.
Il est important en tant que réponse dans un contexte, dans une situation par rapport à une demande ou par rapport à un désir. Mais il est important quil soit en même temps beau !
C. Q. : Quil y réponde en beauté !
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« La télévision est bizarre : elle nous parle toujours du Pape, et jamais du Christ. »
Délia Romanès
« [
] dans les médias, dune façon générale, les dos ont disparu. Tourner le dos à la caméra est plus quune impolitesse : un crime. »
Serge Daney
« L'homme a le droit de demander les atours d'une reine pour les "objets de son désir" : costumes pour son mobilier, pour ses dents ! et même pour ses gardénias ! Des housses brodées main protégeront l'extrême sensibilité des rails de chemin de fer en mou de veau, ... des vitres colorées avec dessins persans figureront dans le design automobile, afin de préserver de la vilaine lumière crue des paysages diurnes »
Salvador Dali
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V. A. : Comment est né le projet TVCOVER et cette idée de housse comme écran ? Comment perçoivent-ils la télévision, aussi bien lobjet que sa présence et son pouvoir de communication.
P. S. : On a eu des enfants et on sest dit, enfin je ne sais pas si on se lest dit, on a fait une housse pour notre téléviseur. Comme des tableaux, on pourrait dire, qui recouvrent la télévision. Donc, cest en tissu, ça peut se soulever et, en fait, cest un objet qui permet de dire je regarde, je ne regarde pas ou je laisse entrer, je ne laisse pas entrer mais, en même temps quand cest fermé cest encore quelque chose et cest encore quelque chose qui est de notre société, cest-à-dire de notre monde, de notre famille.
Je crois que ça a beaucoup à voir avec des idées de rituel.
Mais cest exactement comme daller faire une exposition chez des gens, ça permet de voir dans quel monde, dans quel espace on se situe quand on est dans une galerie, dans un centre commercial ou je ne sais pas où
Là, cest un peu pareil, arriver à incarner cet objet complètement spectral, magique, en lui mettant un drap. Arriver à faire dun spectre un fantôme, lui mettre un drap et donc savoir quil est là! Pouvoir ouvrir la paupière, la baisser, cest aussi lui redonner une présence, un corps qui est aussi une possibilité de ritualiser un geste.
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Nous, nous battions des paupières. Un clin dil, ça sappelait. Un petit éclair noir, un rideau qui tombe et qui se relève.
Jean-Paul Sartre
« Donc encore, ça augmente chaque jour, partout, la maladie de la télévision. Le poste est sale. Il devient un objet ménager, une vieille casserole, un évier, mais vieux et sale »
Marguerite Duras
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C. Q. : Ce nest pas une invention non plus, ça sinscrit aussi dans un usage que certaines personnes ont de cet objet, la télévision.
En fait, le déclic, on va dire, est venu, il y a quelques années, lorsque me promenant avec mon fils dans une campagne ardéchoise, on sest arrêté parce quil avait envie de boire un coup ! Dans un petit village, je suis allé taper à la porte dune maison, deux personnes âgées mont fait entrer chez eux. Bien sûr, ils nous ont donné un verre deau et jai vu dans leur salon le poste de télé qui était recouvert dune nappe.
Cest vrai que jétais avec mon fils, cétait des personnes âgées -moi au milieu- je me suis dit quil y avait une certaine civilité, un certain savoir-vivre
Là-dedans, cétait moi le sauvage par rapport à eux
Je voyais cette toile cirée sur le poste et je savais que cet objet, cétait en même temps un rituel. Je me disais à 13 heures, ils doivent louvrir puis le fermer, mais ils se préservent de ça le reste du temps.
P. S. : Ce qui est très beau là-dedans, enfin ce qui est important cest la part dhumanité, dans le sens dans le sens de ce que lon a en partage. Cest de la civilisation, des civilités, tu peux à la fois baisser pour, lorsque tu reçois des gens, que ce truc-là ne te voit pas
Ça rejoint plein dhistoires : de Big brother à la Méduse et aussi à lidée de se protéger de cette chose
Ce seuil, cet endroit où, entre une chose qui te menace et que tu protèges, entre une chose que tu vénères et dont tu te méfies ! Tout cela fait partie des choses que lhomme, de tout temps, dans toutes les civilisations, va ritualiser.
Et lart a à voir avec tout ça.
Diffusion de la chanson de Charles Trenet « Papa pique et maman coud »
V. A. : La couture, le travail de broderie est souvent long et délicat. Quelles sont les étapes de réalisation et quelle est la matière première à partir de laquelle lidée va pouvoir se concrétiser ?
P. S. : Ca part du dessin. Comme le disait Claude par rapport à lidée de linvention, on ninvente pas, on croise des choses souvent. Ce sont des petites choses ténues qui se tissent et se trament. Par exemple à un moment donné, on en est arrivé à quelque chose qui, pour nous, était comme une révélation -pas dans le sens religieux du terme- que la télé cest la Méduse ! Cette chose qui te pétrifie, même son reflet te pétrifie
Et cest un aller-retour qui produit la housse. Aller regarder des Méduses, lire des choses -cest toujours loccasion daller fouiner- puis on dessine, on cherche, on regarde et cest aussi plastiquement le geste de la main et le dessin à lordinateur. Après, il faut passer à lacte et cest là où on retrouve lidée de lobjet.
Dans la réalisation, il y a très peu de différences sinon la maladresse de la machine à coudre, enfin de lusage de la machine, le rapport à des couleurs qui nous sont données puisque cest comme les couleurs qui sortent des tubes. On utilise des tissus dameublement, la couleur est normée et plate pourrait-on dire, on ne fait pas de coloration savante, on se sert de ce qui existe. Mis à part ces paramètres qui sont techniques et pragmatiques, il y a très peu de différence entre le dessin auquel on est arrivé sur lordinateur en passant par le papier, et lobjet final.
V. A. : Avant de nous laisser guider par Pascale Stauth et Claude Queyrel pour une visite des chambres de lhôtel, je vous propose découter Christophe Lasserre, gérant du Richelieu, qui nous explique pourquoi ce projet la intéressé.
Christophe Lasserre : Ça permet tout simplement douvrir lart au plus grand nombre peut-être en donnant loccasion aux artistes dexposer et de montrer leur travail.
V. A. : Est-ce que cest une première initiative pour lhôtel ou est-ce quil y avait déjà eu des précédents ?
Christophe Lasserre : Il y avait déjà eu un précédent dans la mesure où on a une artiste qui expose plutôt des toiles dans différentes chambres et dans les communs de lhôtel. Donc ce nest pas une première, mais pas loin !
V. A. : Est-ce que vous avez eu des retours de clients, comment les gens perçoivent de lextérieur un projet comme celui-là ?
C. L. : Ce qui revient, cest surtout le mot original. Ça permet de personnaliser létablissement, de le rendre plus chaleureux, je pense. Enfin les clients sont très sensibles à ça. Ça leur permet de voir autre chose.
V. A. : Cest rare de trouver un hôtel où les chambres sont personnalisées
C. L. : Cest ce que recherchent aussi les gens. Je crois que le standard, tout le monde en a un peu marre et ça permet de montrer des choses différentes, tout simplement.
V. A. : Le projet TV COVER est bien sûr inspiré par la personnalité de cet hôtel, lattention particulière portée à la décoration mais également la situation de cet établissement en façade maritime. La collection de housses conçue, sinscrit pour cela dans le genre pictural de la marine . Les modèles sont créés à partir de deux bateaux qui se font face et de ce rapprochement naît une autre image, celle dun masque.
P. S. : Le principe même du sur-mesure fait que lon préfère faire un essayage pour être sûr des ajustements.
Ici, lidée de proue contre proue , ce sont deux avants de bateaux se faisant face sur la partie avant de la housse, cest-à-dire la partie qui recouvre ou découvre lécran selon le choix du téléspectateur. Ces deux images « nez à nez » si on peut dire, fabriquent par leur symétrie un visage. Nous avons fait en sorte que deux objets liés à cette situation de lhôtel sur la mer -on a vraiment limpression dêtre sur un bateau- nourrissent limagerie des housses. On a par exemple, deux avants de jonques, dinspiration japonaises, que lon trouve dans des gravures dHokusaï ; la plus célèbre étant celle de la grande vague avec le mont Fuji au fond où lon voit des barques très allongées qui vont se faire engloutir. Nous avons repris ce motif de lavant pointu, avec en fond, centrale, une image du Fuji et en double symétrique, la vague pour fabriquer le contour du visage.
Dans la suite n° 05, il y a une petite frise beige et blanche qui donne un air un peu arabisant à la chambre ; ça nous a fait faire une housse quon a appelée « Mirage ». Elle est construite avec deux avants de cargos dont la ligne de flottaison se reflète à la surface dune eau noire, beige et blanc cassé. Leurs reflets fabriquent une espèce de mirage qui est comme le toit dune mosquée dans leau. Entre les deux bateaux, un croissant de lune figure le nez du masque et les yeux sont deux signes qui auraient à voir avec une écriture arabisante, comme sil sagissait du nom de chaque navire se renvoyant lun à lautre. Cest une espèce de jeu de miroirs et de croisements : des éléments hétérogènes fabriquent un élément unique qui serait un masque un peu bizarre
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