Ian SIMMS 

(dis)location 2014
Vue de l'exposition Au Pressing, La Seyne-sur-mer, 2014
Exposition sur une proposition de Marie Adjedj


« (DIS)LOCATION OU LE PRINCIPE DU BON VOISINAGE »

L’un des ressorts essentiels de la démarche artistique de Ian Simms est de qualifier l’art comme producteur de connaissance. C’est à ce titre que le Pressing l’a invité à concevoir une œuvre qui engage sa bibliothèque personnelle. Une partie du fonds de Ian Simms a ainsi été délocalisée au sein de l’espace d’exposition, puis augmentée par d’autres ouvrages, de sources extérieures, mais dont la présence s’est imposée comme nécessaire au fil de nos discussions. L’organisation des ouvrages repose sur un principe d’ « affinités électives », écartant les systèmes de classification traditionnellement en vigueur.

Cette bibliothèque est intégrée dans une installation qui actualise l’économie du studiolo, petite pièce privée réservée aux activités intellectuelles, fort répandue au XVe siècle dans les cours italiennes. Ce cabinet de travail avait pour spécificité d’articuler œuvres picturales et littéraires, afin d’accompagner et de nourrir l’étude. « (dis)location ou le principe du bon voisinage » emprunte au studiolo la mise en dialogue des textes et des images ; mais surtout, elle procède des modalités d’émergence de la connaissance sous-tendues par ce dialogue, et l’expérience d’un espace de pensée qu’il suppose.

Relevant d’une logique citationnelle, l’installation convoque Aby Warburg, J.G Ballard, Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Samuel Beckett et Harun Farocki, qui constituent le socle de l’œuvre et sa matrice visuelle. A ces figures tutélaires répondent d’autres artistes, écrivains, philosophes, scientifiques, parmi lesquels Léon Trotsky, Günther Anders, Hanna Arendt, ou Michel Foucault. Chaque visiteur-lecteur, à travers son usage particulier de l’installation, opère des agencements dont les possibilités sont incommensurables. Cette ouverture sémantique est un pivot de l’œuvre et de la démarche de Ian Simms, qui privilégie les formes de la connaissance à celles du savoir. La frontière semble mince entre les deux notions, mais elle est fondamentale. Là où le savoir renvoie à l’autorité et à la stabilité des concepts énoncés, voire enseignés, la connaissance relève davantage d’un processus d’analyse fondé sur l’action et l’expérience.

Cette mise en évidence de la connaissance, conjointement aux penseurs convoqués, découle du positionnement intellectuel de Ian Simms qui interroge les échecs d’une modernité héritée des Lumières. Cette modernité, tendue vers l’émancipation des individus, avait pour cela appelé de ses vœux le règne de la Raison et placé sa foi dans le Progrès. L’histoire du XXe siècle en a révélé les écueils et apories : Raison et Progrès ont abouti à une réification et une aliénation des individus. Ce mouvement à rebours du rationalisme moderne ne passe pas par un refus ou un contre-pied qui s’inscriraient dans une logique binaire d’opposition. Afin de pouvoir penser et investir le contemporain, Ian Simms privilégie les seuils, les passages, les basculements, qui sont autant de vecteurs de l’émergence d’un troisième terme qui dialectise les oppositions.

« (dis)location ou le principe du bon voisinage » est une oeuvre résolument liminaire qui se fonde sur des maillages. A l’instar des porosités entre l’intérieur et l’extérieur du Pressing que l’installation aménage, nous pouvons la caractériser comme relevant de l’ « informe », tel que théorisé par Georges Bataille : « Un dictionnaire commencerait à partir du moment où il ne donnerait plus le sens mais les besognes des mots. Ainsi informe n’est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser (…) »

Marie Adjedj in Documents, N°7, décembre 1929, Paris

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