Florian SCHONERSTEDT 

Vues de l’exposition personnelle Méta-archéologie, Musée Archéologique de Cimiez, Nice, 2019

 
 

Au premier plan
87785s 2019
Carnet à dessin, taille crayon, boîte en fer, bocaux en verre et reste de crayon, dimensions variables
© ADAGP

Au second plan
Bucologie (29/01/19-04/02/19)
Dentifrice solide, papier Hahnemühle aquarelle 425g/m2, 24x32 cm
© ADAGP

 
 
 
 
 
 
MOTO 2019
Dessin de Tobias Schönerstedt, sac Minigrip, vidéo 16/9 en boucle, dimensions variables
© ADAGP
 
 
Fragmentologie 2018
Vidéo HD en boucle
© ADAGP
 
Ré-invention 2018
11 tirages sur support transparent, 25x25 cm
© ADAGP
 
 
Pseudomorphose 2019
Anciens contenants de fouilles archéologiques, dimensions variables
© ADAGP
 
 
Fragmentologie 2 2019
Sac minigrip, tesson de terre sigillée, 2 écrans, vidéo HD, 15min38
© ADAGP
 
 
Les Cabanes 2019
Vidéo HD, 17’00’’
© ADAGP
 
© Florian Schönerstedt, ADAGP
 

 
Florian Schönerstedt
Archéologue du quotidien

Texte de Maurice Fréchuret, 2019
 
L’archéologie moderne en tant que discipline dotée de méthodes, ayant des objectifs précisément définis et les capacités réelles d’analyse est relativement récente. Elle coïncide sensiblement avec la découverte de Pompéi au XVIIIe mais va bientôt, avec la découverte et l’étude des sites préhistoriques, devenir un axe de recherche fondamental. Mettre au jour, établir des récolements, classer, comparer, étudier, archiver deviennent ainsi des gestes, des techniques et des moyens qui vont imprégner de nombreux champs d’expérimentation… lire la suite

Florian Schönerstedt
Archéologue du quotidien



L’archéologie moderne en tant que discipline dotée de méthodes, ayant des objectifs précisément définis et les capacités réelles d’analyse est relativement récente. Elle coïncide sensiblement avec la découverte de Pompéi au XVIIIe mais va bientôt, avec la découverte et l’étude des sites préhistoriques, devenir un axe de recherche fondamental. Mettre au jour, établir des récolements, classer, comparer, étudier, archiver deviennent ainsi des gestes, des techniques et des moyens qui vont imprégner de nombreux champs d’expérimentation. La pratique artistique va, elle aussi, se montrer sensible aux apports de l’archéologie, à ses méthodes, à sa philosophie. Au-delà des ruines romaines ou médiévales que nombre d’artistes au XVIIe siècle et après ont aimé donner à voir dans leurs œuvres, au-delà des figures antiques auxquelles bien d’autres ont fait place dans leurs tableaux, c’est la démarche archéologique elle-même qui a su véritablement inspirer les artistes. Les œuvres de Daniel Spoerri, de Raymond Hains, de Jacques Villeglé, de Christian Boltanski, d’Annette Messager témoignent toutes de cette propension à prélever, réserver, récolter les éléments de la réalité dont ils entendent restituer l’histoire ou, pour le moins, montrer de quoi elle était constituée. Cette tendance s’est particulièrement renforcée au cours de la deuxième moitié du XXe siècle et reste aujourd’hui encore d’une belle actualité.

Ainsi, des artistes comme Florian Schönerstedt s’inscrivent pleinement dans cette manière de penser et de pratiquer l’art. Tout comme ses aînés, eux-mêmes instruits des méthodes de l’archéologie, l’artiste délimite un terrain de recherche, établit un protocole, empile les données, les sauvegarde et en organise la restitution. Le programme peut varier selon les projets mais reste fidèle à une certaine méthodologie qui implique au minimum cueillette et traitement de cette dernière. Pourtant, point de bifaces ou autres éclats de débitage, point de fragments d’os humains, de dents d’animaux préhistoriques ou de tessons de poteries, mais des emballages des produits commercialisés et consommés par lui et sa famille : telle est la quête quotidienne minutieusement suivie par Florian Schönerstedt. Ce n’est pas dans les chantiers de fouille de la grotte du Lazaret, de Terra Amata ou de Grimaldi, situés à quelques encablures de son atelier, qu’opère l’artiste mais dans sa cuisine, attentif à récupérer pots de yaourt, canettes de bière, packs de jus d’orange ou de lait et tout autre emballage que la société multiplie à l’envi et qu’elle nomme sans s’en rendre compte mais très opportunément : conditionnement. Le réflexe de récupération des boites de matière plastique, de verre ou d’aluminium n’est pas né d’une longue fréquentation des sites archéologiques mais d’une observation personnelle qu’est peut- être venue renforcer un regard critique porté sur une société si prolixe en objets de consommation et si déterminée à assurer leur diffusion massive.

Archéologue du quotidien [1], Florian Schönerstedt construit une œuvre qui s’inscrit dans une filiation déjà riche des apports des artistes qui ont su porter un regard sur ce réel déclassé dont les formes ont, un temps seulement et avant qu’elles ne deviennent éléments de rebus, suscité notre envie et enchanté notre regard. Les morceaux de papier, de carton ou autres objets que Kurt Schwitters agençait dans ses compositions ou que Raymond Hains et Jacques Villeglé, transposaient tels quels de la rue à l’espace d’exposition, Schönerstedt en fait un vaste récolement, en établit la liste exhaustive, photographie chaque élément [2] et accumule toutes ces images dans des montages qui, bientôt, vont circuler à toute allure sous les yeux du spectateur. La minutie avec laquelle l’artiste a mis au point son protocole – véritable programme, appliqué avec rigueur et détermination – trouve son pendant dans le traitement même de toutes ces choses. De sorte que, déchues et comme rétrogradées dans le processus marchand, elles font l’objet d’une certaine réhabilitation et figurent à nouveau dans ce que nous pourrions nommer une nouvelle « économie du regard ». En ce sens Florian Schönerstedt réitère le geste de nombreux artistes qui, au cours du XXe siècle, ont redonné forme à des objets trouvés au hasard de leurs déambulations et qui, délaissés, brisés, rétrogradés, allaient ainsi bénéficier d’une seconde existence. Ses installations, ses vidéos, toutes ces images qui, en boucle, se succèdent à grande vitesse, croisent les œuvres de Ben et de Martial Raysse, celles de Jim Dine et de Robert Rauschenberg, celles encore de Jean Tinguely ou de Tetsumi Kudo et entreprennent avec elles un dialogue fructueux [3].

Nous évoquions le patient et opiniâtre travail fourni par l’artiste et faisions allusion au protocole établi par lui. C’est révéler son attachement à une autre famille d’artistes dont l’œuvre se constitue elle aussi en fonction d’un programme poursuivi un temps comme chez On Kawara ou une vie entière comme chez Roman Opalka, artistes auxquels Schönerstedt voue une grande admiration et qui restent pour lui des exemples très inspirants [4]. Présentation du travail Une proposition comme Les Cartes du champ de bataille, établie du 1er janvier 2016 jusqu’au dernier jour de la même année, s’inscrit dans cette filiation, même si l’iconographie – les emballages des marchandises – est plus proche de ce que les pop’ artistes européens ou américains ont choisi de traiter. Les boites de soupe Campbell ou des tampons à récurer Brillo d’Andy Warhol, celle contenant des mouchoirs en papier de James Rosenquist, celle d’Arman provenant de son atelier et exposée telle quelle, la boîte de conserve de pâté de jambon Ham qui précède toutes ces dernières et que Richard Hamilton place, en 1956, au milieu de son fameux collage Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing ? (Qu’est ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui si différents, si séduisants ?) sont les figures centrales et stables dans les productions de ces artistes alors que les emballages de Schönerstedt s’éclipsent aussi vite qu’apparus. Leur passage furtif les réduit au mutisme le plus total quand les boites de Coca Cola de Warhol ou les bombes aérosol de Roy Lichtenstein caracolent tant et tant, poursuivant sans relâche leur facétieux bavardage. Ici, les objets ne font que passer, peinent à imprimer leur image dans notre mémoire, s’évanouissent quelques fragments de seconde après, accélérant le processus d’obsolescence dans lequel ils ont été engagés. Le défilé dense et rapide de ces clichés ponctue l’écran de formes qui se dissolvent les unes dans les autres, de couleurs qui se superposent, de signes qui s’entrecroisent, le tout aboutissant à un ballet mécanique et syncopé tout à la fois [5].

Il est frappant de constater que tout dans cette masse iconographique nous parle du temps, de son cours et des séquences qui le constituent. L’œuvre de Schönerstedt se construit entièrement sur lui ou, pour mieux dire, s’édifie en lui et par lui. Les objets auxquels le regard tente vainement de s’amarrer sont autant de parcelles de temps qui fuit. Leur labilité dit de manière opportune la précarité de ce dernier et avec lui, celle de l’existence. Les films, les murs d’images, les installations et autres propositions de l’artiste s’inscrivent dans une période donnée, identifiable par les objets mêmes qu’ils montrent. Mais c’est le temps, dans son acception générale, qui y est à l’œuvre [6]. Un temps que, depuis sa propre nuit, l’homme a cherché à s’approprier dans ses réalisations et ses constructions. Par sa forme et par ce qu’elle nous délivre comme message, l’œuvre de Florian Schönerstedt semble répondre à André Leroi-Gourhan qui, évoquant le travail minutieux des pithécanthropes affairés à façonner le silex, posait cette question cruciale : « Cette régularité, ce surcroît d’esthétisme sur des objets qui devaient être tout tristement utilitaires, cela aurait-il pu être suscité s’ils n’avaient pas marqué le désir de faire quelque chose de bien ? » [7]


Maurice Fréchuret, 2019
Publié dans le catalogue de l’exposition Méta-archéologie (2019)

[1] Archéologue ou botaniste, la démarche de Florian Schönerstedt relève de ces deux professions dont le point commun est tout naturellement l’indispensable collecte d’objets ou de plantes. Rappelons que l’artiste a collaboré avec le scientifique Romain Trachel pour réaliser une installation multimédia intitulée Les Feuilles de l’arbre qui n’existe pas (2017).
[2] Le système de prise de vue est inédit : un scanner A3 posé à plat permet à l’artiste de photographier une face des objets et d’en conserver l’image. Ce procédé a été baptisé par lui : « scanimatographie ».
[3] Le récent montage intitulé Pseudomorphose est un bel exemple de ce dialogue transgénérationnel.
[4] Voir le catalogue de l’exposition L’œuvre en programme, Bordeaux, capc Musée d’art contemporain, 2005.
[5] C’est un processus assez proche qu’utilisent des illustrateurs comme Mathieu Labaye dont son Orgesticulanimus (2008) est une référence importante pour Florian Schönerstedt comme l’est aussi le film While Darwin Sleeps... (2004) de Paul Bush, vaste compilation d’images d’insectes qui défilent sur un rythme très accéléré. On pourra rapprocher de toutes ces sources la récente vidéo d’Alain Biet Grands Canons dans lequel quelque 9000 dessins réalisés par l’auteur se succèdent au rythme de vingt-quatre images par seconde.
[6] Une proposition récente de Florian Schönerstedt, intitulée 87785s dit particulièrement bien l’importance du temps dans son œuvre. 87785 secondes, c’est-à-dire près de 24 heures ont été nécessaires pour parvenir à user les 12 crayons de couleur utilisés pour le crayonnage complet des pages d’un carnet de croquis.
[7] André Leroi-Gourhan, Les racines du monde, Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Paris, Pierre Belfond, 1982, p. 181. Les cartes du champ de bataille

 
 
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