Stéphanie NAVA 

L'un derrière l'autre et continuellement, 2017-20
Série de dessins au carbone sur papier, chacun 18x24 cm
Vue de l'exposition Lutte permanente du fond avec la surface, Galleria Riccardo Crespi, Milan, 2017

Naviguer dans la baie d’Halong, c’est s’enfoncer dans une forêt de rochers élancés, d’icebergs de pierre plantés dans des eaux lisses. À certains moments, peut advenir l’impression troublante que le ballet des îles que l’on croise les unes après les autres ne cessera plus, que cet espace est sans fin ni issue. On passe un rocher, derrière lui encore un autre, puis un suivant et quelque chose de sisyphéen se dégage de ce déplacement. Parcourir cette forêt de rochers en glissant doucement sur l’eau c’est faire l’expérience de l’avancée continue de l’arrière-plan vers le devant de la scène. On a beau avancer vers le fond du « décor », il y a toujours un nouveau « fond de scène » qui surgit derrière. Et si l’embarcation est bien motrice, l’impression qu’elle est en fait immobile et que c’est le décor qui est en mouvement autour de soi est très forte.
Le paradoxe de ce décor est aussi de conjuguer l’extrême singularité formelle de chaque rocher avec le sentiments que l’espace est en tout point équivalent où que l’on se trouve. Quand on y pense, c’est un espace sans hiérarchie: ce qui est derrière peut passer devant sans que cela modifie fondamentalement les lieux. On pourrait dire que sa profondeur est sans fond ou sans objet: elle ne peut être effacée par le déplacement et elle perdure au fur et à mesure qu’on en fait l’expérience. C’est une profondeur permanente, « plate » en quelques sortes.
Alors que le pittoresque éculé de ce paysage envahit toute représentation, il n’en reste pas moins que produire une image de ces lieux, c’est aussi s’attacher à penser ce chassé-croisé des plans, cette question vieille comme l’art de comment travailler avec le plat et la profondeur, comment cohabite la profondeur de l’image avec la surface de la feuille? Ainsi, si ce qui motive et constitue le cœur du récit que portent mes travaux est souvent d’un tout ordre (comment dire la communauté, la ville, l’habiter, le langage...), toute fabrication d’image butera immanquablement sur ce nœud qui nécessite résolution. Aussi, lorsque je dessine une ville, un espace domestique, un personnage dans un lieu, chaque fois, la tension entre le fond et la surface posera question et demandera qu’une décision, qu’elle soit formelle ou conceptuelle, soit prise.

 
 
 
 
 
 
 
 
L'un derrière l'autre et continuellement, 2017-20
Série de dessins au carbone sur papier, chacun 18x24 cm
 
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