Il s’appelait Eugène

Eugène Atget, photographe français de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, est reconnu pour avoir documenté les rues de Paris.
Ce qui rend ses photographies si singulières, c’est l’absence totale de présence humaine : à l’époque, les temps de pose étaient si longs que les passants en mouvement disparaissaient de l’image.
Dans sa série Paris pittoresque, Atget s’intéresse également aux figures marginales, notamment les clochards parisiens.
Fasciné par ce travail, j’ai voulu, à mon tour, photographier les rues d’une ville vidée de sa foule, et répertorier les seuls êtres immobiles : les sans-abri.

Pendant des mois, j’ai expérimenté diverses techniques afin d’obtenir des poses très longues en plein jour, suffisamment longues pour effacer toute trace de circulation ou de mouvement.
Après de nombreux essais, j’ai enfin trouvé le procédé qui me permettait d’atteindre cet objectif.

Puis, un événement mondial bouleverse tout : la France entre en confinement.
Soudain, les images que j’avais en tête depuis des mois apparaissent devant moi, presque irréellement.
Les rues sont désertes ; les seules silhouettes que l’on croise sont celles des personnes sans domicile.
Face à cette réalité inattendue, j’ai d’abord envisagé d’abandonner mon projet.

Mais un sentiment de responsabilité m’a poussé à le repenser : mon skate, mon appareil photo en bandoulière, je suis parti à la rencontre de celles et ceux que tout le monde semblait oublier.
J’ai décidé de répertorier, avec humilité, la présence de ces invisibles.
Je ne disposais que d’une seule pellicule 24x36.
Cette série est le fruit unique de ce rouleau, traversé par une ville figée, habitée uniquement par ceux qui n’ont jamais cessé d’y être présents.