Dalila MAHDJOUB 

 
     
Chez-nous ou un trou pour cacher sa tête 2014
Croquis, encres indélébiles, film transparent, étiquettes, peinture textile noire mate
La plaque de signalétique de la tour V, récupérée avant sa démolition - le 29 novembre 2005 - dans le quartier des Champs-Montant à Audincourt. (SAFC : Société Anonyme d’HLM de Franche-Comté de 1980 à 2006)
 
 
 
 
Image fantôme 2005
Photographie d’écran
 
 
 
 

La maison, le monde
Dessin sur calque _ Principe d’installation pour l’exposition La maison, le monde du 14.06.2014 au 05.07.2014 à La Compagnie, lieu d’art contemporain, Belsunce, Marseille
Câbles inox, pinces à linge en bois, structure d’échafaudage fixée au plafond (dimensions 4 x 4 m), écran textile blanc tendu sur la structure, vidéoprojecteur positionné en partie supérieure de l’écran, carton au sol, corde, scotch

 
 
Vue de l’exposition La maison, le monde à La Compagnie, Marseille
 
 
Nuage
Vidéo réalisée lors de la démolition de la tour V le 29 novembre 2005 sur mini DV, projetée en boucle sur le toit-écran de l’installation la maison, le monde, interrompue brutalement toutes les 15 mn par un son « on est chez-nous » scandé 13 fois lors d’un meeting politique.
 
 
 
 
 
 
mise à l’Honneur #4 / mise à l’Honneur #5
 
 
mise à l’Honneur #6 / mise à l’Honneur #7
 
 
Sol_ cartons récupérés chez les grossistes du quartier Belsunce
 
 
 
mise à l'Honneur #1, #2, #3
Avec Habiba et Youcef devant Peugeot, le 22 octobre 2012
 
 
 
 
Sans nom 2013
Étiquettes "Name" (récupérées sur des vêtements d’enfants) cousues, fil blanc
Dimensions 41 x 10 cm
 
 
 
 
Détail mise à l'Honneur #6 et #7 2009
En verlan « costla » signifie « Lacoste » et en argot « tchun » (écrit par mon frère) signifie « argent » (plus communément écrit « thune »).
Dessin vectoriel reprenant le graphisme d'un code bancaire, imprimés sur papier transfert / étiquette antivol
 
Détail mise à l'Honneur #4
 
Détail mise à l'Honneur #8
 
 
 
 
Sans titre 2013
Détail _ étiquettes « maison », peinture textile noire mate, fil noir, 9 x 3 serpillières gaufrées, usagées, cousues et destinées à être jetées après une journée dans le cadre du travail de l’une de mes sœurs, agent d’entretien pour un groupe de sidérurgie implanté à Fos-sur-Mer
Dimensions d’une serpillière 50 x 50 cm
 
 
 
 
LA MAISON, LE MONDE
 
L’installation-atelier de Dalila Mahdjoub vient donner son nom à cette exposition. Quelle autre expression est aussi vaste, d’une telle immensité, pour dire que l’intérieur et l’extérieur communiquent ? Le monde est-il tout entier déjà là dans la maison, dans l’espace familier ? Le monde est-il une maison infinie, où l’on serait partout chez soi ? Au nom de quoi refuse-t-on à certains de se sentir et d’être légitimement chez soi ? Là, à l’entrée de la compagnie, une structure en échafaudage est suspendue, avec une grande toile blanche où est projetée une image-toit, une image-ciel, une image-démolition. Les pieds de la structure ne reposent pas sur le sol mais sur le plafond, comme si on avait une maison inversée. L’espace se divise, se construit et se rêve, se pense, en une cascade d’effets. Dalila Mahdjoub installe une cabane en tissus, patchwork d’étiquettes made in qui intègre également un monument à son père, immigré algérien ouvrier chez Peugeot. Cette maison délocalisée de chez elle au lieu d’exposition, est aussi un atelier permanent où l’artiste pourra, avec le public, coudre, parler, réfléchir à l’histoire et au politique. La maison et le monde est aussi le titre d’un film de Satyajit Ray de 1984 (inspiré du roman de Rabîndranâth Tagore, où il est question de politique et de sentiments) ; il faut encore évoquer le nom du recueil des textes de Serge Daney paru post-mortem chez P.O.L.-Trafic, La maison cinéma et le monde. L’œuvre de Dalila Mahdjoub refuse la facilité. Des fils sont très nettement tirés d’un côté autour de la place de la femme dans le monde arabe, et de l’autre autour de l’histoire de l’immigration saisie à partir de l’histoire de son père, ouvrier algérien chez Peugeot. Ces deux aspects sont indubitablement présents et centraux. Mais aussitôt, les mots de féminisme ou de communautarisme qui s’associent naturellement à ces problématiques doivent être dépassés. Car l’engagement de Dalila Mahdjoub implique une dimension politique bien plus complexe, plus nuancée et plus radicale. Son installation La maison, le monde renvoie à son atelier permanent, chez elle, dans la cuisine familiale. C’est de là qu’elle relie les rapports d’exploitations qui croisent aussi bien la dimension du genre et de la femme que les rapports de domination entre les nations qui s’expriment plus particulièrement dans l’industrie, automobile ou textile. La structure au plafond où est projetée l’image de démolition du HLM de son enfance est un renversement architectural absolu, avec une image vidéo qui a la délicatesse sombre ou l’audace déconstructive que l’on retrouve ailleurs chez Caroline Duchatelet ou Anne-Valérie Gasc. Nous vivons dans un monde inversé. Les tissus de la cabane qu’elle installe dans le lieu de création La compagnie sont faits principalement d’étiquettes de vêtements où elle met graphiquement en avant les noms des pays nommés après la mention MADE IN… Nébuleuse de noms qui dessine une cartographie kaléidoscopique des pays de productions textiles. C’est aussi un monument à la mémoire du père. La finesse des formes créées par Dalila contient à la fois un charme inouï et une colère urgente ; cela fait retour sur le réel, au plus près de nous, et contact précis avec le lointain.


Paul-Emmanuel Odin, 2014
 
 
 
 
 
 
mise à l’Honneur #0 2016
Étiquettes « Made in », peinture textile noire mate, fil noir, la carte de Médaillé d’Honneur du Travail de mon père sertie dans le textile, dimensions 2,50 x 2,50 m
Vues de l'exposition L’eau textile, La Manufacture, Roubaix, du 03.02.2017 au 26.03.2017
 
 
Point aveugle : Designed in… Made in… ou Le cerveau qui pense… Le bras qui exécute…*

* SALMON, Pierre : « Une correspondance en partie inédite de Patrice Lumumba », pp. 359-368. Bulletin des séances de l’ARSOM (Vol. 20 n° 3 - 1974), p. 365, Bruxelles Belgique. Voir le document

 
La carte de Médaillé d’Honneur du Travail de mon père sertie dans le textile
 
 

… À LA BONNE PLACE 1

Texte, 2016



Deux médailles d’Honneur du travail,
Ré-compenses d’une « mise hors-champ 2 »,
La « mise à l’Honneur » fait suite à la « mise au labeur » de l’ouvrier,
Au soir de son existence 3.

Lorsque mon père est mort 4,
J’ai précieusement conservé ses papiers,
Ainsi que tout ce qui avait à voir avec sa vie d’ouvrier…

Ma mère me raconte ;
Alors que nous préparions notre déménagement de la tour,
Avant sa démolition,
J’ai voulu jeter les médailles de ton père…
Ça sert à rien !

Mon père me raconte son départ d’Algérie,
Son passage par Marseille,
Porte d’entrée pour le travail en France.
Il ouvre fièrement une petite boîte bleue,
Puis une seconde,
C’est pour toutes ces années travaillées chez Peugeot qu’ils me les ont données.

Une médaille comme simulacre de dignité rendue,
Par des puissants,
À des travailleurs exploités, usés.

Chaque année, Peugeot envoyait des prospectus à ses anciens ouvriers,
Leur proposant des remises sur l’achat d’une voiture neuve.
Avec quoi ils veulent que je la paie !
Éructait mon père, en déchirant les papiers.

J’ai longuement examiné ces 2 pièces ;
L’une en argent,
L’autre en vermeil,
La République sur l’avers,
Le nom de mon père sur le revers,
S. Mahdjoub,
1987,
1991,
Un ruban de 27 mm,
Bleu, blanc, rouge,
Une rosette,
Un cartouche rectangulaire,
Deux banderoles,
Deux mots flottants,
« Honneur »
« Travail »
Des feuillages, une torche, un caducée,
Gravure signée Alfred Borrel,
Le tout cintré par les mots « Ministère du Travail ».

Longtemps, j’ai été tiraillé par l’ambivalence inhérente à ces objets hautement symboliques, dont le sens ne cessait d’osciller entre la notion d’ « Honneur » et celle de « Mépris ». Objets encombrants, j’ai eu besoin de leur trouver « la bonne place ». Ainsi j’ai inscrit les ré-compenses de mon père dans la longue histoire de l’exploitation humaine.
Chacune de ces médailles trouve « sa place » dans cet assemblage cousu de millier d’étiquettes « made in ». Bangladesh, China, Indonesia, Thailand, Tunisia, Pakistan, Turkey, Vietnam, Morocco, India, Cambodia, Mauritius, Laos, (…) L’inventaire des pays de fabrication redessine un territoire : le monde – celui de l’exploitation. Et ma fiction d’avoir enfin trouvé « la bonne place » aux « Honneurs » rendus à mon père, me renvoie une aspiration : « la maison, le monde 5 »


1- « Les employés : Aperçus de l’Allemagne nouvelle - 1929 » Siegrfried Kracauer, Édition Les Belles Lettres, Collection Le goût des idées, 14 septembre 2012. Adage « cher » aux Ressources Humaines : « La bonne personne à la bonne place ».
2- « Les médaillés du travail ou l’envers de la médaille », documentaire de Juliette Boutillier et Anna Szmuc, 53’, 08/01/2014. http://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks-14-15/les-medailles-du-travail-ou-lenvers-de-la-medaille
3- « La légende napoléonienne sous le Second Empire : les médaillés de Sainte-Hélène et la fête du 15 août », Sudhir Hazareesingh, in Revue Historique n°627, Édition PUF, 2003
4- Date du décès de mon père : 24 juillet 2008.
5- « La maison et le monde », Rabîndranâth Tagore, Édition Payot, 1921. Titre de l’exposition réalisée à La Compagnie, Marseille du 14 juin au 15 juillet 2014


 
 
 
     
mise à l’Honneur #0 (recto-verso)
Crédit photos David Giancatarina
 
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