Penelope Painting, montrée au 19 Crac, est issue d’une série (non close) de cinq tapisseries réalisées à partir des centaines de canevas populaires que l’artiste a chinées au fil temps. Véritable assemblage au sens strict, puisqu’elle en prélève des fragments qu’elle va réunir en les cousant, elle compose un vaste panorama où s’entremêlent paysages, scènes de genre, natures mortes, motifs animaliers et allégories en tout genre. La tapisserie « déverse des siècles d’histoire de l’art et d’imagerie populaire sans que l’on sache très bien si la chronologie des événements importe encore »1 : non sans humour, une Sainte-Famille observe la ronde du Printemps de Botticelli vers laquelle approche un chien de chasse à courre présentant un gibier à un lion placide, tandis que plus haut, un paysage bucolique s’entrouvre sur la Tour Eiffel.
La surface frémissante des tapisseries est en effet imprégnée de toute une histoire de l’art : leurs dimensions elles-mêmes, plutôt conséquentes (environ 4 x 2,5 m), les apparentent aussi bien
aux tapisseries anciennes qui venaient orner et réchauffer les murs des châteaux que, plus ironiquement, aux grands tableaux académiques de la peinture d’histoire. La composition sur trois plans – premier plan, plan intermédiaire et arrière-plan - reprend même certaines règles de la perspective atmosphérique (taille des motifs diminuant, paysage et ciel de plus en plus clairs vers l’arrière plan). Les reproductions de tableaux abondent mais également toute une iconographie de la scène de genre « à la manière de », essentiellement issue des tableaux de Fragonard, Millet ou Renoir. On assiste ici au devenir image de la peinture, de sa matière et de sa palette colorée, mais également à son devenir poncif, dans son passage à une technique textile populaire. Si Penelope painting n’est pas sans pointer toute une iconographie stéréotypée développée tant par l’histoire de l’art que par les ouvrages de dames, elle rend aussi hommage à une pratique décorative somme toute aussi « gratuite » que n’importe quelle œuvre d’art, ainsi qu’au pouvoir de désacralisation des arts populaires et à sa liberté d’appropriation des beaux-arts.
L’artiste s’octroie quelques libertés pour rompre la trop lisse unité du canevas : celle, tout d’abord, de montrer la sensualité de l’entrelacs de fils d’un envers, qu’elle apparente à un « croquis »2, soulignant là encore toute la dimension plastique de sa démarche ; celle, également, d’introduire d’autres tissus, en particulier des motifs jacquard, en hommage à la dernière usine de tissage jacquard du nord de la France. Cet entrelacement de fils, de couleurs et de motifs, la fluidité des passages de l’un à l’autre, renouent des liens entre tous les doigts qui ont patiemment réalisé ces ouvrages décoratifs. Aurélia Jaubert est familière des collaborations avec d’autres artistes et, malgré l’anonymat, ici, de son matériau premier, ses tapisseries parviennent à réunir une nouvelle « assemblée », à une échelle inégalée.
Anne Giffon-Selle, Directrice du 19 Centre régional d’art contemporain de Montbéliard
1 Natacha Nataf, « Des femmes piquantes », in Aurélia Jaubert, 3ème âge (le retour d’Ulysse), édition limitée, 2019.
2 Conversation de l’autrice avec l’artiste, 15 mars 2021. |