Diane GUYOT DE ST MICHEL 

Index War tome 1 2016
Série 80 dessins à l'encre de chine
 

Index of operational and code names - Vol 1 2016
168 pages N/B et couleurs, 200 × 270 mm
Conception graphique : Émilie Segnarbieux
Éditions Immixtion Books
www.immixtion.com

 

Index of operational and code names - Vol 2 2016
inclus 21 dessins à l’encre de chine Jet Lag 56, A5 / 24 pages / 50 ex. Reprographie noir
L’Endroit Edition, Rennes
www.lendroit.org

 

Vous avez entre les mains Index of operational and code names de Diane Guyot de Saint Michel, et nous nous en réjouissons. Quand vous lirez ces mots vous aurez peut être parcouru le livre, consciencieusement, depuis la première page jusqu’à la dernière, rapidement en diagonale, en commençant plutôt par la fin, ou bien vous ne l’aurez pas encore ouvert.
Ce texte a principalement pour but de vous souhaiter une bonne lecture, en profitant de cette occasion pour partager avec nos lecteurs quelques informations facultatives.
Parmi les différents choix effectués lors de la conception de ce livre, l’un d’entre eux a été de ne pas y faire figurer de texte critique ou explicatif. Plusieurs raisons à cela, découlant toutes du fait que si « Index of operational and code names » est exclusivement constitué de reproductions de dessins issus de la série Index War, renvoyant par là à des objets qui existent physiquement en dehors de ce livre ou, comme le suggère le sous-titreVolume 1, qui n’existent pas ou du moins pas encore au moment de son impression, il ne s’agit pas pour autant à proprement parler d’un catalogue. Ce livre a été pensé comme une œuvre à part entière, à la fois autonome et liée à un projet, un processus et un protocole dans lequel elle s’intègre, et dont elle rend compte d’une certaine manière, projet et processus qui se poursuivent donc au-delà de la clôture de ce premier volume. Dès lors, imprimer un texte « critique » ou introductif dans l’ouvrage revenait pour nous à inféoder l’oeuvre au commentaire, ce que par principe, et indépendamment de l’utilité que les commentaires peuvent avoir parfois pour la réception et le fonctionnement des œuvres, nous préférions éviter. Une autre raison, moins dogmatique et plus décisive, tenait à la mécanique du livre lui-même, de ce livre en particulier. Comme tous les livres, « Index of operational and code names » est une machine, dont le fonctionnement repose sur l’agencement d’un contenu (essentiellement constitué d’images) et de divers éléments de paratexte, ici réduit à un titre et un index. Le titre fournit des indices, tandis que l’index est le véritable instrument qui régit les différentes possibilités et l’expérience de lecture propre à ce livre. Un texte intégré au début ou à la fin de l’ouvrage aurait nécessairement revêtu une fonction de mode d’emploi interférant avec la fonctionnalité de l’index.
En feuilletant le livre, on se doute qu’il y a une logique d’ensemble, que ces dessins graphiquement très divers doivent être connectés par autre chose que leur traitement à l’encre de chine. A la fin de l’ouvrage figure un index, qui reprend un document trouvé sur Internet constitué d’une liste de 437 mots anglais classés par ordre alphabétique et accompagnés de brèves indications concernant les opérations militaires pour lesquelles ces mots ont servi de noms de code. Orientés ou arbitraires, cet ensemble de mots a inspiré à Diane Guyot un protocole simple consistant à produire un dessin pour chaque mot de la liste. Pour ceux des dessins reproduits dans le livre, un numéro de page est indiqué à côté du mot correspondant. La question originelle - presque bête et méchante - était : sous quels gros titres nous battons-nous ? Par extension, à quoi ressemblerait cette iconographie guerrière ? Les mots sont divers ; certains sont clairement pensés pour la conquête de l’espace médiatique, d’autres sont à usage interne, voir confidentiel.
Le livre « Index of operational and code names » et le projet « Index War » s’inscrivent dans la continuité de la réflexion que l’artiste poursuit au fil de ses œuvres sur la teneur idéologique du langage et des représentations à travers lesquels le pouvoir s’exerce et se dissimule, mais aussi sur la capacité de l’art, et de certains produits de la culture populaire, à retourner les armes, en inventant des formes qui pointent et désamorcent cette instrumentalisation. On retrouve aussi dans ce projet l’intérêt de Diane Guyot pour les enjeux de la communication et de l’information, et notamment pour le concept fondamental de code, dont l’étymologie renvoie du reste au livre, ou plus exactement à la conjonction entre la forme du codex et sa fonction originelle de recueil de règles et de lois.
Un rapide aperçu de l’histoire des noms de code nous apprend que leur usage dans le domaine militaire a été introduit pendant la première Guerre Mondiale et s’est généralisée pendant la seconde, à l’évidence en lien avec le développement des technologies de télécommunication dont l’utilisation décisive pour le partage des informations stratégiques allait de paire avec la nécessité de parer au risque de leur interception par l’ennemi. À la différence de la cryptographie, le recours aux noms de code est un procédé assez rudimentaire et empirique, non systématique ; les différentes méthodes adoptées par les uns et les autres pour le choix de ces noms s’avèrent de ce fait particulièrement révélatrices de leurs idéologies et de leurs présupposés quant au mode de raisonnement de l’ennemi. Cette dimension psychologique explique sans doute pourquoi au lendemain de la deuxième guerre mondiale cette pratique de nomination s’est vue réinvestie sur le terrain de la propagande et du discours, à destination d’une nouvelle cible : l’opinion publique. Depuis plusieurs décennies, les noms de code d’opérations militaires sont devenus des composantes familières du paysage médiatique. À l’annonce du lancement d’une nouvelle opération, les curieux ne manquent pas de commenter le choix de tel ou tel nom et de relever l’incongruité ou la grossièreté du message de légitimation qu’ils cherchent à faire passer. Pour autant, cet usage n’en démontre pas moins une certaine efficacité. Supporterions-nous si facilement l’évocation quotidienne des actions belliqueuses menées en notre nom si les visions douloureuses des atrocités de la guerre qu’elle appelle à notre esprit n’étaient neutralisées par les formules poétiques et les images anodines qui les recouvrent ?
En illustrant de manière littérale les mots ayant servis de nom à des opérations militaires, les dessins de la série « Index War » surcodent le code, et ce faisant accusent le trait et creusent encore l’écart entre une réalité, sa nomination et sa représentation. Une lecture possible du livre « Index of operational and code names », en commençant par la première page, peut consister à essayer de décoder, c’est à dire de deviner le mot illustré par chaque dessin, un peu à la manière du jeu pictionary, qui fait moins appel à la description mimétique qu’à l’utilisation efficace de traits graphiques associés à des références culturelles communes, autrement dit à une iconographie définissant les contours d’un imaginaire collectif. L’index propose une entrée alternative, mais il est surtout la clé d’un double décodage, l’outil qui donne sens à ces images en les inscrivant dans un système permettant en quelque sorte de convertir des données brutes en information.
Sur ces quelques mots, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter encore une fois une agréable lecture.

Camille Videcoq
Editions Immixtion Books

 
Retour