Vues de l'exposition Vanda, La Junqueira, Lisbonne, Portugal, 2021
Photographie D.R.
C’est cette orchidée aérienne découverte par le jésuite portugais Alvaro Semedo dans un Macao colonisé et déclinant. C’est cette jeune héroïnomane filmée toute une année par Pedro Costa dans sa chambre de Fontainhas, bidonville désormais rasé de la banlieue de Lisbonne.
C’est ce prénom rare (aucune Vanda n’est née au Portugal depuis des années), marqué par l’occupation et le désœuvrement, ou ce début de mot, vandale, du nom du peuple germain qui envahit la péninsule ibérique au Ve siècle, comme tautologisant l’acte même de mutiler une feuille d’agave, que découvre Alice Guittard dans le Parc des Nécessités lors de sa résidence à la Junqueira, à Lisbonne.
Elle s’emploie alors à recomposer, à retisser les trames défaites où se croisent l’abandon à feu doux dans lequel le parc se délite lentement et le geste furtif, abrasif, qu’on vole à l’autorité et au temps qui passe en incrustant sur la feuille la marque énigmatique - Vanda. L’exposition suit un double parcours, celui d’une Vanda fantasmée, réinventée en creux, et celui d’une artiste incarnée, Alice Guittard, inscrivant son propre chemin dans le Lisbonne d’un séjour éphémère qu’elle parsème généreusement de traces aléatoires.
L’enquête confine à la taxonomie.
Un relevé systématique, d’abord, des lettres, bribes, dates inscrites sur les végétaux. Frottée au crayon sur des feuilles de papier, à la manière des archéologues, elles composent sur les murs un panneau de connexions encore à établir, flottantes, renvoyant peut-être les unes aux autres - quelque chose les réunit sans doute.
Table de recherche
Matériaux variés, 76x130x13,5cm
Vera, Ti amo, Vanda,Manuel, Amo a Carina
Marqueterie de marbre, (6x) 30x40x2cm
Impression jet d’encre sur coton, 60x82,5cm
Chave, Amor, Zé
Marqueterie de marbre, (3x) 40x70x2cm
Impression jet d’encre sur coton, 60x82,5cm
Vanda, 2021
Impression jet d’encre sur coton Hahnemüle 305g, 70x95cm
La récolte des débris d’objets abandonnés dans le parc : un médaillon, des trombones, un élastique rompu, autant de déchets fétichisés car empreints d’une vie, d’une histoire, passées : chacun de ces dépôts est confié au parc et, dans le parc, à l’artiste qui prend à sa charge d’en conserver le souvenir.
Un herbier, composé de fragments et de débris, feuilles mortes et fleurs coupées abreuvées d’eau le temps de l’exposition, glissant sur le même plan que les objets trouvés et hérissant les plaques de marbre d’une vie indomptable bien que déjà enfuie : le parc aussi veut sa postérité, puisque lui aussi ne durera pas vraiment.
À chacun sa place, bien rangé, dans l’atlas mémoriel qui doit garder en vie aussi longtemps que possible, ou fossiliser pour l’éternité, une collection d’indices inessentiels renvoyant à une inconnue jadis suffisamment aimée pour que son prénom reste encore aujourd’hui tricoté ostensiblement au sisal à moitié mort d’une agave négligée, dans le jardin de rois déchus.
Jean-Christophe Arcos