Jean-Baptiste GANNE 

Specchio 2007

Answering a question of Maja and Reuben Fowkes about my connection to the 68 movement.
After forty years, the leaders of the French sixty-eight movement are more or less ruling the country, in the mass media, in advertising, as much as in politics itself. The French minister of foreign affairs was a sixty-eight leader and "Dany le Rouge' (Daniel Cohn-Bendit) is now "Dany das Grüne", leader of the european green. Cohn-Bendit said something very interesting about the 68 movement, he said that it was the taking of power by a generation. That’s what they did, they bring to power a generation of baby-boomers who now still overrun the system of communication. The most interesting parts of that moment in western europe were in fact marginals to the movement, the situationists proposals, the questioning of the idea of work, and the raise of "desire" as a goal (and later on the analysis of Deleuze). In a way, this sixty-eight generation used the situationist idea of “détournement” (roughly translated by “diversion”) as a tool for advertising. The so-called “spirit of 68” became the biggest tool to use the principle of desire for consumption conditioning and gave a kind of new deal to contemporary capitalism. Marx analysis of the fetish character of commodities reached his highest level of transparency through this stealing of desire.

 Another recent historical moment I am more interested in is that particular time at the very end of second world war in Italy when “Partigiani” (partisans) were propagandizing for sabotage of the work through “Volantini”. Those small leaflets were sent in the wind anonymously in cities and villages of fascist Italy. In this emergency moment, the tool for fighting the oppression was a “not working” or a “working badly or slowly” attitude. In a leninist way, this attack against the holy idea of work is an exception. Usually Work is pride, Work is honor, Work is freedom. But in those months of forty-four and forty-five, work is the enemy as much as the Nazis.
I look to a lot of those small historical objects with an intense emotion at the Instituto Gramsci and Fundazione Basso in Rome. On one of them, I read "Disòccupati ! " (“Make yourself not busy !") instead of "Disoccupati!" ('Unemployed !'). In fact the difference is only in the position of the accentuation when you say it. The italian verb “Disoccuparsi” is for me the symbol of that beautiful position. There is no real translation in french or in english of this. My computer roughly translate as “to vacate itself”, maybe something like “to make oneself not busy” is closer. Somehow the “Fare Niente” is a more complex thing than the “Ne travaillez jamais”. It’s a real activity to “make yourself not busy”. In Italian, grammatically, it’s an active form.
As an artist, I don't think it is necessary to add objects to the world. I don't believe on an artist as a "producer". I have an activity which sometimes will end in an object and some times not. Anyhow, I do believe that the artist activity should lead to questioning the idea of Work itself, or at least, include that problematic. Somehow I search how can I des-occupied myself. All of this is not so much about Revolution but about the desire of Revolution and so on,, its impossibility. Desire and Revolution have the same color, the read of a lipstick on my mirror on an hangover morning.
Jean-Baptiste Ganne, Feb 08.
Published in “Revolution I Love You, 1968 in Art, Politics and Philosophy”, MIRIAD, Cornerhouse, Manchester, 2008.



En réponse à une question de Maja et Reuben Fowkes au sujet de mon rapport avec le mouvement de 1968. Texte originellement en anglais.
En France, après quarante ans, les anciens leaders du mouvement de 68 sont pratiquement à la tête du pays, qu’il s’agisse de la direction des médias, de l’industrie publicitaire et même, bien entendu, de la représentation politique. Le ministres des affaires étrangères fut un des meneurs du mouvement et “Dany le Rouge” (Daniel Cohn-Bendit) s’appelle désormais “Dany das Grüne” et dirige le groupe des verts européens au parlement de Strasbourg. Cohn-Bendit d’ailleurs, parle du mouvement de 68 comme de la prise du pouvoir par une génération, et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Cette génération de baby-boomers a pris le pouvoir et contrôle désormais tout de système de communication. En Europe de l’Ouest, ce qui s’est fait de plus passionnant à ce moment là, est en fait arrivé dans les marges du mouvement : les propositions situationnistes, l’interrogation sur la notion de “travail” et l’avènement du Désir comme fin en soi (et ce qui en découle plus tard avec Gilles Deleuze). D’une certaine manière, la génération 68 a utilisé l’idée situationniste de “détournement” pour en faire un outil de communication publicitaire. Le soi-disant “esprit de 68” a, de fait, été le véritable outil pour transformer ce principe de Désir en une machine à conditionnement consumériste, et d’une certaine manière, a pleinement participé au renouveau du capitalisme contemporain. L’analyse de Marx du caractère fétiche de la marchandise en apparaît que plus juste, car rendu si visible par ce vol avéré du principe de désir.
Je suis beaucoup plus intéressé par un autre moment particulier de l’histoire récente. En Italie, à la toute fin de la seconde guerre mondiale, les “partigiani” (les partisans) diffusaient une propagande appelant à saboter le travail au travers de des “volantini”. Ces petits morceaux de papiers volants étaient jetés au grès des vents, anonymement, tant dans les villes que dans les campagnes de l’Italie fasciste. Dans cette urgence de la lutte, l’arme pour combattre l’oppression fut un appel à “refuser le travail” ou encore à “travailler mal et lentement”. D’un point de vue léniniste, cette attaque contre la sainte idée du Travail est presque impensable. Le Travail c’est une fierté, le Travail c’est un honneur, le Travail c’est la liberté. Pourtant, dans ces mois de 1944 et 1945, le Travail est devenu l’ennemi tout autant que les nazis.
J’ai consulté ces tout-petits morceaux d’histoire avec beaucoup d’émotions à l’instituto Gramsci et à la Fundazione Basso à Rome. Sur l’un d’entre eux, j’ai lu “Disòccupati !” (“Désoccupes-toi !”) au lieu de “Disoccupati !” (“Chômeurs !”). La différence entre les deux mots ne tient qu’à la position de l’accentuation lorsque vous prononcez l’un ou l’autre. Le verbe italien “Disoccuparsi” incarne la beauté de cette magnifique posture. Il n’y a pas vraiment de traduction possible, ni en français, ni en anglais. Mon ordinateur traduit assez mal en anglais par “to vacate itself”, là où “to make oneself not busy” semblerait plus proche. De fait, le “Fare Niente” semble bien plus complexe que le “Ne travaillez jamais”. C’est une réel activité que de se “désoccuper”. Grammaticalement en italien, “Disoccuparsi” est une forme active.
En tant qu’artiste, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ajouter des objets au monde. Je n’ai aucune foi en l’artiste comme producteur d’objets. J’ai une activité et il arrive que celle-ci se matérialise en un objet, ou pas. Quoiqu’il en soit, il me semble que l’activité artistique mène nécessairement à une remise en question de la notion de “Travail” ou, tout au moins, inclut cette interrogation. C’est que je cherche probablement juste à me “désoccuper”. Tout cela n’est donc pas tant que ça à propos de la Révolution mais bien plus à propos du désir de Révolution, et donc de son impossibilité même. Le Désir et la Révolution ont la même couleur, le carmin des traces d’un rouge-à-lèvres découvert sur mon miroir un matin de gueule de bois. .
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