Vues de l'exposition TLNux Festival, galerie l’axolotl, Toulon, 2021
Arthur Tramier & Tom Schneider, Clément Davout, Marie Lelouche, Onformative, Sabrina Ratté
Commissariat Léo Fourdrinier et Stéphane Boudet Santamaria
Texte de Léo Fourdrinier
Pour sa nouvelle édition, le festival TLNux transforme son habituelle programmation musicale en propositions visuelles et sculpturales au sein de deux expositions, rythmées par les créations de Arthur Tramier & Tom Schneider, Clément Davout, Marie Lelouche, Onformative et Sabrina Ratté. Les œuvres s’éveillent en chœur et ont en commun un regard concerné par les mutations contemporaines de l’écosystème, la relation qu’entretien l’individu avec son environnement, la dimension sociologique du paysage et l’équilibre fragile de la nature.
Ces préoccupations se reflètent dans les gestes des artistes, dont la conception des diverses situations incorpore un instant de lâcher prise et une autonomie des matériaux influençant la stabilité des œuvres dans le temps. À la manière de la profonde douceur avec laquelle ils observent leur environnement, les artistes jouent des prouesses techniques, technologiques et artisanales pour composer des œuvres à la frontière du vivant : les représentations sensibles de la nature n’en paraissent que plus vibrantes.
Marie Lelouche
Au Port Des Créateurs, l’exposition de Clément Davout et Marie Lelouche enracine les souvenirs d’un présent intime en dévoilant les mécanismes rhizomatiques de la mémoire.
Inspirée par l’expression publicitaire d’une célèbre marque de téléphones, la série d’œuvres de Marie Lelouche, intitulée « You Have a New Memory », met en lumière nos comportements actuels liés à l’augmentation de nos capacités, par l’utilisation quotidienne d’outils technologiques, de l‘intelligence artificielle et des progrès de la biologie.
Les sculptures habitent l’espace comme trois nuages flottants, pourvus d’une identité qui leur est propre: prénommées Andrea, Yuma et Ellis, elles semblent contenir une complexité d’informations visuelles fragmentées, à la limite de l’effacement, se complétant par leur superposition. L’enchevêtrement des formes suggère les connexions neuronales actives dans la construction des souvenirs. L’artiste travaille à partir d’enregistrements, d’images de morceaux d’architectures et de mobiliers urbains collectés et sortis de leur contexte qu’elle manipule dans une logique proche de la pratique du remix. Au-delà de la simple représentation d’un stockage de données, les sculptures / personnages dialoguent entre elles via une application de chat installée sur trois téléphones. À travers l’écriture, elles s’interrogent sur la nécessité de la mémoire et remettent en perspective la fiabilité de nos propres processus mémoriels.
Clément Davout
La peinture de Clément Davout procède elle-même d’un écho, construit en couches successives, de la sensation colorée d’un instant.
Il fixe sur ses toiles la représentation d’un paysage intérieur en utilisant les plantes d’espaces domestiques comme modèles. Dans un rapport sociologique, celles-ci relèvent d’une histoire collective liée à la circulation et la commercialisation des végétaux. Son processus de création accouple plusieurs sens : après avoir photographié les plantes observées l’artiste les traite dans différents outils numériques - dont Instagram, pour générer l’espace coloré du dégradé présent dans ses toiles. L’espace privé y est à nouveau suggéré, celui du stockage de données, d’identité, de fenêtre présent dans nos téléphones connectés. Dans la série des cinq tableaux le rapport au touché et à la surface apparait dans les formes organiques des plantes réduites ici a des courbes dynamiques et minimales, frôlant l’abstraction. Dans son diptyque le même palmier apparait à deux reprises, comme deux perceptions décalées d’un même espace. Sa peinture, dénuée de présence humaine, émancipe les plantes de tout contrôle et ramène au premier plan la sensibilité vitale des végétaux à la lumière dans une temporalité qui nous est étrangère : une croissance lente nous imposant une certaine humilité.
Sabrina Ratté
À l’étage, l’installation vidéo « Floralia » de Sabrina Ratté se présente comme un diorama en mouvement, où des spécimens de végétaux disparus sont conservés. Conçus en images de synthèses, les végétaux ne sont alors que l’archive recomposée d’une nature effacée, dont la seule trace résiderait dans un espace digital. Cet espace de conservation infini -dans sa durée comme dans ses proportions - permet l’éclatement des espèces végétales, devenant elles-mêmes paysage : l’œuvre extrapole la renaissance de cette végétation à travers les différentes périodes de croissance. Le cycle biologique se mue en ballet explosif et technoïde qui, en l’absence de gravité, suggère l’inaccessibilité à une nature évaporée.
Arthur Tramier & Tom Schneider
Le dialogue des œuvres du duo d’artistes Arthur Tramier & Tom Schneider et du collectif Onformative plonge la galerie l’axolotl dans un environnement sauvage où les résidus d’une nature en constante évolution côtoient la formation d’organismes invasifs surnaturels.
Le dispositif « Minajerie » conçu par Arthur Tramier & Tom Schneider à la galerie l’axolotl est la synthèse entre objet utilitaire, la table, et un environnement autonome pourvu de la totalité des interconnexions biologiques nécessaires à sa croissance. Conçu avec des éléments organiques, synthétiques, industriels, l’œuvre permet l’interaction du vivant et du non-vivant dans une même réalité. Elle dévore, absorbe, dans un acte délibérément cannibaliste pop et sauvage, les éléments liés à sa survie. Inspirée par la silhouette du plancton -premier maillon de la chaîne alimentaire marine, parée de palmes industrielles et recouverte d’un latex artisanal tendu comme une peau, l’œuvre reconfigure par analogies les capacités d’adaptations d’une espèce et la technicité biomimétique, connecte l’univers sportif et animal, sexuel et sophistiqué, dans une toxicité des formes associée à la typologie d’objets domestiques. L’univers raconté par Arthur Tramier & Tom Schneider est un point de tension, viral et parasite mais terriblement glamour, kinky comme la tessiture vocale de Nicki Minaj où la fragilité du vivant s’exhibe, provocante, dans les compositions florales issues de cueillette sauvage en collaboration avec des producteurs locaux.
Onformative
Le collectif Onformative présente « Meandering River », une installation audiovisuelle composée d’images en temps réel générées par un algorithme et de musique composée par une intelligence artificielle. Cette œuvre d'art numérique rend le changement perceptible en créant une conscience unique du temps. S'étendant sur plusieurs écrans, l'œuvre réinterprète les comportements changeants des rivières en visualisant et en sonorisant leur impact sur la surface de la terre. Basé sur un algorithme sur mesure, le mouvement d'ondulation et d’oscillation examine le rythme des forces naturelles. Au fur et à mesure que les modèles évolutifs de « Meandering River » émergent, le spectateur éprouve un sentiment de respect face à l'imprévisibilité du changement et à la beauté de la nature.