Léo FOURDRINIER 

Vues de l'exposition Harmonie et Désir, pal project, Paris, 2023
Avec Curtis Kulig, Aristide Maillol, Yves Scherer
Commissariat Léo Fourdrinier
Crédit photos Romain Darnaud, Quentin Croisard
 
 
Texte de Léo Fourdrinier
 

L’exposition « Harmonie et Désir » réunit dans l’espace éthéré de pal project les œuvres de Curtis Kulig, Aristide Maillol et Yves Scherer, et évoque avec douceur une fascination pour la mécanique des corps, le désir d’être aimé, de l’être aimé(e). Sur le duvet cotonneux qui recouvre le sol de la galerie, les figures voluptueuses de Yves Scherer côtoient les chefs-d’œuvre de Maillol, d’un siècle leurs ainés. Ces corps sont surplombés de touches colorées, tendres et figées, émanant des peintures de Curtis Kulig.

Les peintures à l’huile de Curtis Kulig évoquent la façon dont le monde suit son propre rythme et l’enjeu d'être en phase avec lui. Ses natures mortes de grand format présentent un groupe de différentes espèces de fleurs que l'on peut trouver dans l'État américain dont l’artiste est originaire, le Dakota du Nord. Cette région, qui tire son nom des tribus indigènes Sioux qui ont été chassées du territoire, a fait fortune grâce à la richesse des ressources naturelles - l'extraction et la production de pétrole en particulier. Les compositions de Curtis combinent des fleurs simples qui sont maintenant disposées dans de petits vases en verre avec d'autres fruits et objets de table. Éclairées par des lampes de scène, elles projettent une ombre forte sur les grandes plaines de toile pastel qui les entourent, renforçant leur fragilité. Peintes dans des couleurs sourdes, ces fleurs dégagent une certaine nostalgie et une certaine émotion. Capturées sur la toile, leur mort lente est arrêtée à ce moment précis pour toujours, une allusion à la vie et au mouvement qui se dégage des choses, mêmes inanimées. Dans une autre série le rapport au texte, presque tragique (Death dœsn’t want me; I'm Near you now; Love me) offre théâtralement à l’artiste un souffle, passionné et intime : une incarnation poétique qui tend vers l’universalité.

Artiste pionnier de la sculpture moderne du XXe siècle, Aristide Maillol, par l’unité, la totalité et la synthèse, avait compris ce que la sculpture a mission d’exprimer au début du siècle dernier: la majesté de la matière et la splendeur immortelle de la forme. Créant presque exclusivement des nus féminins aux formes rebondies et à la musculature intense, son œuvre donne la priorité à une relation harmonieuse entre courbe, volume et surface. Ses sculptures denses et lisses rappellent volontairement le bloc dans lequel elles sont taillées. Les figures debout ou assises à l'expression neutre ou intériorisée ne renoncent pas totalement au contenu, mais tissent avec lui de nouveaux rapports. Son rapport au modèle, aussi intime et nécessaire soit-il, évacue toute quête d’imitation de la nature: sa femme Clotilde, son entourage, puis Dina Vierny, avec qui il entretient un lien paternel, sont les muses dont l’artiste saisit la beauté sur des feuilles libres. Ensuite vient la synthèse, qui nécessite une prise de distance par rapport au modèle. La pratique du dessin, sur le vif, puis de mémoire, et le modelage, de nouveau avec et sans le modèle, l'aident précisément à garder l’inspiration pour la simplicité des formes, pour exprimer une sensualité qui naît autant de l'amour que l'artiste éprouve pour le corps féminin que du matériau, la terre, qu'il modèle avec délectation.

Dans un romantisme revisité flirtant avec un monde onirique, Yves Scherer fait appel à la sculpture, la peinture, la vidéo, la photographie, l'écriture pour créer des personnages réels et fictifs à la fois familiers et inconnus. En dupliquant les muses de notre temps, célébrités d’Hollywood et autres protagonistes médiatisés dans des moments de vulnérabilité et d'amour, l'œuvre d’Yves Scherer cristallise les fantasmes de l’identité par la culture paparazzi. Ici, Emma (Watson) est exploré en tant qu’altérité, et associe le désir crée par les médias sociaux au vide séduisant séparant l'image de la réalité. Emma Watson, connue pour son personnage dans la série de films fantastiques Harry Potter, est également une activiste politique fortement engagée en faveur des droits des femmes. Largement objectivée par la culture internet, l'actrice est le symbole d'une affectivité numérique et de nouvelles identifications subjectives. En combinant l'impression 3D à des processus de moulage classiques, Yves Scherer utilise la célébrité d’Emma et la circulation de son image pour mêler intimité fictionnelle et émotions personnelles. Aussi, l’artiste superpose son autoportrait à celui de l’actrice. Dans une observation sur la féminité et la masculinité dépassant le cadre du genre, Yves examine le résultat de la collision entre deux mondes parallèles: ce que nous présentons comme étant notre vie (par exemple, sur les médias sociaux) et ce à quoi notre vie ressemble réellement. La démarcation fluctuante entre réalité et fantasme envisage ainsi de nouvelles formes de confrontation identitaire. En construisant finalement un mythe plutôt qu'une présence réelle, Yves Scherer compose une iconographie de l’absence à l'ère numérique.

 
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