« Il manque quelque chose à l’homme qui ne s’est jamais senti éperdu. »
Le Fleuve Alphée (1978)
Roger Caillois
« Inconnue, elle était ma forme préférée,
Celle qui m’enlevait le souci d’être un homme,
Et je la vois et je la perds et je subis
Ma douleur, comme un peu de soleil dans l’eau froide. »
Paul Eluard
Ce sont les recherches et les études d’Arthur Le Saux, (chercheur à l’Astrophysics Group de l’University of Exeter – Angleterre) spécialisé en astérosismologie qui sont à l’origine de l’exposition PULSE, de Léo Fourdrinier (Galerie l’Axolotl, Toulon, du 1er février au 02 mai 2020).
Toute sa recherche se concentre sur la vibration lumineuse d’un certain type d’étoiles, celles qui présentent une anomalie dans leurs oscillations. On les appelle les « étoiles déprimées », contrairement aux « étoiles rieuses » dont la luminosité varie avec une grande oscillation sur des fréquences régulières. Arthur l’explique lui-même : « Il y a en fait plusieurs fréquences d’oscillations qui présentent des anomalies. Ce sont les fréquences qui correspondent à un même mode d’oscillation. On peut faire ici une analogie avec la musique. Un mode d’oscillation c’est une note d’une octave donnée, par exemple le LA. Mais suivant dans quelle octave on se place le LA peut avoir différentes fréquences, 440Hz ou 880Hz par exemple. Le mode sera toujours un LA mais il en existe différents qui seront plus aiguës ou plus graves. C’est un peu la même chose avec les étoiles déprimées, il y a un mode qui est « anormal » et cela peut s’observer sur différentes fréquences ». Ce phénomène, découvert il y a seulement quelques années questionne les scientifiques. Personne encore à l’heure actuelle ne sait si cette « anomalie » a un lien de cause à effet sur la durée de vie de l’étoile. Il semblerait cependant que ces fréquences d’oscillations manquantes n’apparaissent que sur des étoiles âgées !
Quoi de plus inspirant, de plus sujet aux rebondissements poétiques et aux réflexions philosophiques que le nom de cette nouvelle catégorie d’étoile : déprimée. Alors Léo Fourdrinier compile et grave sur les pavés de marbre composite qui ont servi à rénover la ville de Toulon – qui l’accueille pour cette exposition – les notes référentielles de son projet. Une composition de schémas représentants les différentes oscillations d’émission de la lumière en provenance d’une étoile, la page de garde du Mémoire de recherche d’Arthur Le Saux, la table des matières de la Psychanalyse du feu de Gaston Bachelard, un poème de Paul Éluard, et les graphiques compilant les émissions lumineuses répertoriées de certaines étoiles (parmi lesquelles figurent deux cas d’ « étoiles déprimées »). L’idée étant alors de graver les principes fondamentaux de l’exposition sur le sol qu’il a parcouru durant la production de cette exposition.
En la personnifiant, Léo Fourdrinier intime l’idée de persona pour cette étoile déprimée. De temps à autre, très formellement avec des accessoires humains comme avec les cheveux synthétiques de cette petite étoile jaune figurée par un simple cercle de cuivre, élément essentiel dans la transmission d’énergie. C’est ici que tout commence, ce premier espace de l’exposition, faiblement éclairé, à la lumière jaune de l’étoile adolescente, reprend les bases préalablement gravées dans le marbre et continue son étude d’un phénomène stellaire encore incompris.
En relation directe, sur un socle miroir, une paire de Nike Air MAX 720 siège. L’une est remplie de clous de tapissier, l’autre, sur le flanc, blessée, porte à sa semelle un seul clou planté : à la fois le bijou réparateur de l’ouvrier mais aussi ex voto plein d’espoir. Pourtant c’est également là le geste qui marque le handicap de cette étoile, qui ne fonctionne malheureusement plus aussi bien. Immanquablement nos propres pieds se reflètent dans le socle miroir et nous nous retrouvons projetés avec beaucoup d’affection, mais aussi un soupçon d’amertume, en face de l’adolescent que nous avons pu être, en discussion avec cette jeune étoile déprimée qui cherche à continuer de grandir et à avancer dans le vide spatial. Léo Fourdrinier l’accompagne et comme le pèlerin qui va matérialiser le vœu qui lui est cher, plante ce clou comme on le fait sur un arbre à loques5 et espère faire en sorte que son vœu soit au moins entendu.
En face, un grand format, zoomé, dans l’ardoise de la photo d’une œuvre antérieure : « Les cathédrales ont la forme d’une prière ». Paradigme à l’œuvre de l’artiste tout en étant le miroir de celui des changements des formes de la lumière pour cette exposition, les différents états de la matière de l’étoile y sont pénétrés par notre regard qui les caresse. En réponse immédiate, le vertige. Rentrer dans la matière comme lorsque la lumière nous nourrit, l’échange peut être parfois enivrant.
Au mur, cinq blocs de ciment dont les failles sont recouvertes encore une fois de clous tapissiers laitonnés. Une nouvelle digression sur la pénétration de la matière ou comment se figurer l’intérieur d’une étoile, via une myriade de petits reflets, dorés, dans lesquels nous ne souhaitons que nous insérer. Nouvelle tentative de l’accompagnement d’un corps céleste déprimé vers la guérison, Léo Fourdrinier tapisse l’intérieur de ses formes, de reflets se démultipliant à l’infini. Alors lorsque nous nous en approchons, l’on se dit que l’étoile n’est pas seule, quand bien-même ses compagnes sont loin, c’est avec la réflexion de leur propre lumière pulsée qu’elles communiquent. Et alors n’est-il pas temps de se rendre compte que même si la lumière est perçue de l’extérieur, elle provient du mouvement au cœur même de l’astre ?
Pièce maîtresse de l’exposition, l’étoile rouge, en pleine force de l’âge. À son coucher sur le relief d’une montagne nipponne, semblable au paysage d’une estampe japonaise. À la fois souvenir romantique et rendez-vous manqué, le piédestal qui vient recueillir les derniers rayons d’un soleil, sa chaude lumière, est un véhicule pour deux personnes. Outil narratif, le bolide propose : « Je t’accompagne ? tu m’emmènes ? », mais la carlingue en se retournant fait un soleil, et fige l’image d’une rencontre dans la lumière d’un souvenir envoûtant qui nous accompagne encore longtemps après que plus rien ne soit éclairé. L’étoile pulsante, écarlate, cœur battant, est figée dans le temps.
Dernière salle, toute en lumière blanche, à l’instar de la pâle étoile vieillissante, nous retrouvons les roches, nouveaux corps célestes résultant de la mort d’une étoile. Très inspirées des réflexions de Roger Caillois et de son Ecriture des Pierres (1970), et de notre fascination pour elles. Fascination qu’il présuppose due au fait que celles-ci nous précèdent. Elles nous précèdent tellement qu’elles sont en fait le conglomérat des résidus d’une étoile morte éparpillés dans l’espace et fusionnés par la gravité … Leur faible rayon de lumière suggère cette ascendance stellaire et la sortie jack, bien que fictive, ne fait qu’ajouter au sentiment d’écoute ou d’autopsie de cet astre mourant, qui nous revoie par sa permanence solide à notre condition impermanente d’être humain mortel.
Enfin Surf Solar, Ecstatic Weakness et Lost Frequency, qui sont les premières pièces produites par l’artiste dans sa réflexion autour de la forme de l’étoile déprimée. Combinaison de cuivre, de clous et d’or pour simultanément représenter l’astre, soigner son état et tenter de créer sa séquence manquante. Mais le plus beau message d’espoir reste cette petite étoile (de mer) qui semble renaître en s’extirpant du radiateur du bâtiment.
Incantation chamanique en même temps qu’une bouteille lancée à la mer, Pulse tente de comprendre et de trouver une alternative au manque. Avec autant d’ex-voto que de clous, Léo Fourdrinier soigne, répare, comble et chaque œuvre est un nouveau séquençage qui vient potentiellement remplacer celui de l’étoile déprimée. Plus qu’un palliatif de substitution, il va jusqu’à nommer chacune de ces œuvres d’après un titre musical, une piste sonore, inspirante, qui dans sa propre écriture pourrait bien elle aussi venir combler la fréquence manquante et faire briller à nouveau l’étoile qui ne brillait plus avec autant d’ardeur.