Léo FOURDRINIER 

Vues de l'exposition personnelle La lune dans un œil et le soleil dans l’autre
CACN - Centre d’Art Contemporain de Nîmes, Nîmes (France), octobre 2021 - février 2022
Commissariat Laureen Picaut & Bertrand Riou

 
 
 
Texte d'Elora Weill Engerer
 
Dans La Psychanalyse du feu, Gaston Bachelard soutient que la science tend vers l’avenir tandis que l'imaginaire revisite ses origines. Conjuguer ces deux opposés, c'est-à-dire le futur et le passé, est le défi plastique que relève Léo Fourdrinier. Deux temporalités sont à l'œuvre dans cette pratique qui associe des formes héritées du patrimoine antique à des artefacts technologiques charriant certains mythes issus de la science-fiction… lire la suite

Dans La Psychanalyse du feu, Gaston Bachelard soutient que la science tend vers l’avenir tandis que l'imaginaire revisite ses origines. Conjuguer ces deux opposés, c'est-à-dire le futur et le passé, est le défi plastique que relève Léo Fourdrinier. Deux temporalités sont à l'œuvre dans cette pratique qui associe des formes héritées du patrimoine antique à des artefacts technologiques charriant certains mythes issus de la science-fiction.

Les notions de «poésie scientifique» ou de «science poétique» ne seraient donc pas contradictoires: la poésie peut engendrer une connaissance du monde et, à l'inverse, la science n'est pas productrice de vérités nues, dépouillées de textes et d'images. Peut-être est-ce dans l'alliance des deux que se loge l'accès à un savoir intime et méthodique du sentiment.

Les assemblages de Léo Fourdrinier dressent des portraits d’amoureux, de mélancoliques, de bilieux, en accord avec une théorie des humeurs bien ancienne qui considère que la sensibilité d'une personne peut s’expliquer par le poids, la couleur ou la densité des flux qui la parcourent. Selon les auteurs de l’Antiquité, cette théorie des humeurs s'établit en parallèle avec les éléments de l'univers.

On parle d'étoiles déprimées pour désigner celles qui brillent moins que les autres et le petit Prince de Saint-Exupéry s’adresse ouvertement à des étoiles rieuses. L’être psychique a une réalité cosmique qui puise ses racines dans la profondeur du corps.

Le véhicule, c'est-à-dire tout ce qui transporte des choses, des êtres ou des courants, est récurrent dans le travail de Léo Fourdrinier, assurant le passage de ces émotions universelles à travers les siècles et les dimensions.

L’espoir des cantharides, réalisé à partir de carénages en plastique, rappelle le biomimétisme de l'aérodynamisme, autrement dit l'idée que les vies animale, minérale, matérielle ou humaine sont mues par une seule et même énergie naturelle.

Le front appuyé sur un châssis de scooter en acier, The Sleeper semble utiliser la structure comme une machine à voir. La longue épine qui émerge de son torse rappelle la théorie antique des extramissionnistes qui estiment que les yeux projettent un flux permettant la perception de l'objet par le toucher.

Quant aux LED coiffant le casque de Collision (In Solitude of Memory) Part Ill, elles incarnent autant un chemin de pensée qu'un parcours de météore.

Le processus de vulgarisation scientifique et iconographique que Léo Fourdrinier mène à partir des recherches de l'astrophysicien Arthur Le Saux se fonde sur la capacité d'extension des images communes. L'image élémentaire est si symptomatique, si profondément ancrée dans notre psychologie qu'un seul trait suffit à la révéler tout entière.

Une statue anthropomorphe de couleur claire, bien qu’elle soit en pierre reconstituée (c'est-à-dire en béton), lie inévitablement l’objet à l'Antiquité et à l'idée générale d'un temps passé.

La carcasse dure et froide d'une machine défaite de sa fonction convoque forcément une vision rétro- futuriste de notre époque contemporaine. L'image d’image échappe à une représentation mortifère et réaliste. Elle charrie une imagination dynamique et généreuse.

Elora Weill Engerer

 
 
 
La promesse du soleil 2021
Néon, silicone, scarabée
Dimensions variables
 
 
 
Collision (In Solitude Of Memory) Part III 2020
Casque, pierre, led - 25 x 26 x 33 cm
 
 
 
 
 
Endless question 2021
Iphone, video (1 min en boucle)
90 x 50 x 1cm
 
 
 
Nostalgia for lost futures 2021
Impression sur aluminium, dibond, peinture fluorescente, bois
50 x 35 x 4 cm
Production CACN
 
 
Infinite Us (Fac-similé) 2021
Jeu d’échec en verre, plâtre, peinture à l’huile,
peinture acrylique, béton, bois
150 x 25 x 25 cm
 
Delta Marble Record 2020
Marbre gravé au laser - 50 x 25 x 8 cm (chacun)
Production Le Port Des Créateurs
 
L’espoir des cantharides 2021
Carénage en plastique, béton, acier, dibond, peinture
90 x 44 x 24 cm
 
Rocamadour, Septembre 2018 2021
Impression sur aluminium
100 x 70 x 3cm
 
 
Harmonie mélancolique 2021
Casque moto, statue en pierre reconstituée, pierre, acier, bois, peinture epoxy
185 x 56 x 56 cm
 
 
 
My body is dust but how to deal with it? 2021
Plâtre, plexiglas, peinture acrylique - 157 x 20 x 20 cm
 
Arôme 2018-2021
Casque moto, pierre, mousse végétale
60 x 42 x 40 cm
 
Helios 2021
Impression sur plexiglas, acier, dibond
209 x 140 x 7 cm
Production CACN 
 
Texte de Laureen Picaut
 
 
« Nothing escapes everything can return »
(Mark Fischer, The Metaphysics of Crackle : Afrofuturism and Hauntology, vol 5, numéro 2, 2013)


Comme une parfaite analogie aux réactions chimiques se produisant dans le cœur du soleil, la pratique de Léo Fourdrinier est le résultat de fusions. Son esthétique est imprévisible, déchainée et sans limites. Par les multiples assemblages et les réinventions opérées, les formes évoluent, deviennent fluides, insaisissables.

L’artiste déconstruit, ajoute, déplace. Toujours par combinaisons, il procède par récupération d’objets et de matériaux symboliques à première vue antagonistes. Une pierre trouvée à l’entrée du CACN est utilisée pour réaliser Arôme (2018). La photographie de vases antiques, prise au Musée de la Romanité, est imprimée sur plexiglas puis montée sur une structure en fer provenant d’un chantier dans Helios (2021). Des objets récupérés dans sa maison familiale à Nîmes sont réutilisés et amplifiés dans des compositions. Souvent, l’artiste associe sa fascination pour l’antiquité, pour l’archéologie ou la mythologie à la lecture d’un texte, à un événement, une sensibilité, une image. Si l’interprétation semble parfois se dissimuler sous de multiples collages théoriques et formels, l’équilibre réside dans le territoire auquel les œuvres sont fondamentalement liées.
 
 
 
À gauche : Sévérac-le-Château, Août 2017 (série les nuits) 2021
Impression sur aluminium, dibond, peinture fluorescente, bois
50 x 35 x 4 cm
Production CACN
 
À droite : Nîmes, Juillet 2020 (série les nuits)
Impression sur aluminium, dibond, peinture fluorescente, bois
35 x 32 x 4cm
Production CACN
 
43° 49' 32.952'' N 4° 20' 5.172'' E, la coordonnée gps de l’emplacement du CACN, peut agir comme un indice. Ce système de géolocalisation intuitif fonctionne comme un point de chute à partir duquel se déploient des distances infinies. Ainsi, à la suite d’une rupture difficile, l’artiste débute une collaboration scientifique avec l’astrophysicien Arthur Le Saux. Il assimile la vibration lumineuse des étoiles aux différents reliefs d’une relation amoureuse et tente d’en saisir la matérialité. La photographie du ciel, série Les nuits (2017-2021), prise avec un téléphone et un effet hdr est la continuité de cette recherche. Le dispositif de présentation amène la photographie dans l’espace de la tridimensionnalité, recréant ainsi l’expérience du plein et du vide que peuvent induire les différentes étapes d’une relation amoureuse.
 
 
Amour 2021
Plâtre, bois, peinture epoxy, peinture acrylique, fleurs synthétiques, néon
100 x 120 x 240 cm
Production CACN
 
Poursuite 2021
Impression sur aluminium, dibond, peinture fluorescente, bois
50 x 35 x 4 cm
Production CACN
 
Dans Amour (2021) la matérialité physique des sentiments qu’explore l’artiste trouve son apogée. L’installation composée de deux visages jumeaux desquels prennent naissance des fleurs artificielles évoque la fluctuation de l’expérience amoureuse, son instabilité, induite par l’inclinaison du socle. Elle entre en résonance avec Poursuite (2021), une photographie de statues prise aux Jardins de La Fontaine à Nîmes. Surplombées par la lumière lunaire du néon, les deux œuvres dialoguent et évoquent la dispersion d’un corps fluide et morcelé.
 
Simplexity (From Him to Eternity) 2021
œuf, câble d’iPhone trouvé, plâtre, bois, peinture acrylique, peinture epoxy
250 x 60 x 100cm
 
Dans Simplexity (From Him to Eternity) (2021) dont le titre emprunte au concept de « simplexité » ( la simplexité est l’art de rendre accessibles des notions complexes ) et au titre de Nick Cave, le corps a quasiment disparu. Le câble d’un chargeur d’IPhone côtoie un œuf posé dans la main d’un bras sculpté. Un socle monumental - ou un vaisseau spatial - renforce la dystopie de la pièce, l’érige en tant qu’oracle d’une société future.
 
 
 
Until Astral Rave 2021
Neon - 130 x 130 x 5 cm
 
Au sein de l’exposition, l’atmosphère se délite au grès des fluctuations lumineuses induites par les néons. Pour l’installation Until Astral Rave (2021), l’artiste récupère les néons cassés, brisés et éparpillés d’une enseigne de magasin. L’espace plongé dans une lumière chaude et solaire bouleverse l’orientation : est-il midi ou bien minuit ?
 
Morning (skin crawling) 2021
Os, tissus, bois - 40 x 30 x 15cm
 
En face, à même le sol, une chemise et les restes d’une colonne vertébrale de dromadaire témoignent du corps absent. L’œuvre Morning (skin crawling) (2021) fonctionne à la fois comme une ruine et une prophétie. Elle évoque une nostalgie du futur, explore l’expérience de la lassitude face à un système capitaliste en perte de sens. Entre dystopie et vestige, l’autoportrait The Sleeper (2021) en est la parfaite interprétation. Ici, un humanoïde voit sa vie qui défile. On assiste à la naissance d’un alter ego, à un big bang corporel entre des matérialités augmentées, anticipées. Le châssis de scooter fait disparaître le corps et sa précarité. Il rend caduque sa fin certaine, l’entraînant ainsi dans des temporalités inespérées. En opposition à la pérennité du matériau utilisé pour représenter le corps, le visage de l’artiste moulé dans le plâtre pourrait à tout moment s’effondrer.
 
The Sleeper 2021
Chassis de scooter en acier, plâtre, pierre, peinture epoxy, néon
180 x 145 x 150 cm
Production CACN
 
 
I’ll Fly With You 2021
Impression sur aluminium, gravure par électrolyse, peinture acrylique
37 x 29 x 7cm
 
L’exploration de l’univers de la mécanique amène Léo Fourdrinier à évoquer la sensualité des courbes d’une moto dans I’ll Fly With You (2021). Le schéma d’un moteur de moto se décompose en arrière-plan et se confronte à la musculature de deux bras en image de synthèse. La surface lisse et séduisante d’une plaque en aluminium rose nacrée et la référence au hit de Gigi D’Agostino déconstruit l’archétype viriliste et biaisé d’une définition unique de la masculinité.
 
 
Don’t Cry Baby, it’s a Movie 2019
Vidéo : 8’ en boucle
Production GENERATOR / 40mcube - esaab - Self Signal
 
Enfin, comme pour rétablir l’équilibre, Léo Fourdrinier s’attarde sur la figure féminine. Le film Don’t Cry Baby, it’s a Movie (2019) est un tuto make-up pour reptilien humanoïde qui adopte les marqueurs du récit science fictionnel. Dans celui-ci une reptilienne tente de se dissimuler sous des couches successives de maquillage pout répondre aux diktats et injonctions de notre société. Tout en relatant un récit complotiste, sa singularité et son âme s’évaporent.
Mater
(2017), est l’image violente d’une femme sanglée. Proposée en écho à la pièce de théâtre « Stabat Mater Furiosa » de Jean-Pierre Siméon dans laquelle une mère raconte l’expérience de la guerre et de la perte, l’œuvre est un hommage à la puissance féminine.
Si les œuvres de Léo Fourdrinier agissent comme les spectres d’une époque révolue, comme des présences fantomatiques, elles sont aussi des prémonitions et des alertes, elles rendent visibles les maux de notre siècle. Au sein de « La lune dans un œil et le soleil dans l’autre », les œuvres-artefacts entrent dans l’histoire d’un nouveau monde qui déjà, se consume.
 
 
Mater 2017
Sangle, statue en pierre reconstituée, bois
190 x 36 x 130 cm
 
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