Léo FOURDRINIER 

Vues de l’exposition personnelle Mās/seille: The limits of the Earth, at the end of Paradise, présentée par HATCH
Art-o-rama, Friche belle de mai, Marseille, France, 2023
Crédit photos Margot Montigny. Courtesy de l’artiste et HATCH
 
 
 
Plus vieille ville de France, érigée en -600 avant JC sous le nom de Massalia (Μασσαλία), Marseille se compose d’une multitude de strates archéologiques et se caractérise par sa mixité et son multiculturalisme. La réalité de cette ville se lit à travers la richesse culturelle de son histoire venue de toutes parts, par les marchands grecs qui y ont installé un port de commerce et de passage. Léo Fourdrinier prend comme matière première des objets – reliques symboliques ou imaginaires – à la fois antiques et contemporains, pour dresser un portrait fantasmé de la ville, dont le soleil méditerranéen ne cesse de briller à travers la couleur jaune de ses impressions digitales. Entrer dans le stand de la galerie HATCH à la foire Art-o-rama, c’est pénétrer dans un musée archéologique miniature aux allures de joyeux bordel, hommage bienveillant à la cité phocéenne. Ces œuvres sont à la croisée du passé romain de Marseille avec ses mythes et ses croyances, sa géologie calcaire et les bruits motorisés de son présent industriel.
 
 
 
The Architect 2023
Plâtre, acier, châssis de scooter, peinture acrylique – 91 x 91 x 230 cm
Coproduction CACN – Centre d’art contemporain de Nîmes et HATCH
 
 
Lors de l’édification de la Major, Louis-Napoléon Bonaparte déclama : « lorsque vous irez dans ce temple appeler la protection du ciel sur les têtes qui vous sont chères, rappelez-vous celui qui a posé la première pierre et croyez que, s’identifiant à l’avenir de cette grande cité, il entre par la pensée dans vos prières et vos espérances ».
Cette sculpture se compose d’une tête en plâtre moulée sur un modèle vivant qui, au sommet d’un corps mécanique fait d’un châssis de scooter, observe dans une attitude de prière une sphère suspendue à un tube d’acier.
En s’y approchant de plus près, on peut découvrir le motif rayé blanc et noir, si caractéristique de la cathédrale marseillaise.
 
 
 
Cette image relate le mythe de la fille de Jupiter et de Cérès, déesse du printemps.
Proserpine fut enlevée par son oncle Pluton qui l’emmena aux Enfers pour l’épouser. Sa mère, déesse de la moisson, la chercha en vain sur la terre jusqu’à ce que le dieu Soleil lui dise où elle se trouvait. Dans une folle colère, elle déclencha une sécheresse et une famine parmi les hommes. Pour y mettre fin, Jupiter ordonna à Mercure d’aller chercher sa fille, et décida qu’elle devait passer une partie de l’année avec sa mère parmi les vivants, et l’autre partie avec son époux aux Enfers.
 
 
The end of Paradise #1: Proserpine 2023
Impression sur dibond - 140 x 205 cm
2 exemplaires + 1 EA
 
 
The end of Paradise #2: Hercule 2023
Impression sur dibond - 30 x 42 cm
2 exemplaires + 1 EA
 
 
Fils naturel de Jupiter et de sa belle amante Alcmène, Hercule s’attire les foudres de Junon qui tente de l’assassiner avec des serpents. Marié à la fille du roi de Thèbe, il tua ses trois fils dans un moment de folie provoqué par Junon. L’expiation de cette faute sacrilège justifie les douze travaux qui lui furent imposés par le roi de Mycènes. Le héros vécut de nombreuses aventures avant d’épouser Déjanire qui causa sa mort malgré elle. Dans cette œuvre, on voit le héros de dos, désormais immortel et réconcilié avec Junon.
 
 
Alors qu’il avait osé se battre contre Jupiter au cours de la guerre qui l’avait opposée aux Titans, Atlas se vit condamner à porter sur ses épaules la voute céleste. Marseille, ville monde, s’est construite sur mille et un récits. Comme Atlas, elle s’est vue punir pour son implication dans le mouvement fédéraliste au moment de la Convention : du 6 janvier au 12 février 1794, elle est débaptisée temporairement et officiellement nommée « la ville-sans-nom ».
 
 
The end of Paradise #5: Atlas 2023
Impression sur dibond - 30 x 42 cm
2 exemplaires + 1 EA
 
 
Les légendes sont nombreuses autour de la naissance de Vénus, déesse de l’amour et de la beauté. Selon Homère, elle est la fille de Jupiter et de Dioné, mais les poètes préféraient le mythe selon laquelle elle était née de l’écume de la mer où Saturne avait jeté les organes sexuels de son père après l’avoir émasculé. Cette sculpture de Venus anadyomène est inspirée de celle peinte par William-Adolphe Bougureau en 1879. Venus épousa Vulcain, le dieu du feu, et pris comme amant le dieu guerrier Mars. Le sentiment d’attachement, d’amour, de connexion émotionnelle est un des thèmes de prédilection de Léo Fourdrinier. Protagoniste d’un grand nombre de légendes, notamment avec ses amours Adonis ou Anchise, Venus est une figure omniprésente du panthéon convoquée par l’artiste. Elle est ici en apesanteur, soutenue par des fils de laiton. Son pendant, une pierre moulée, réalisée en mousse expansive puis peinte, reflète la synergie induite par le travail de Léo Fourdrinier entre le monde minéral et le monde organique.  
 
 
Réalisée pour Art-o-rama, cette sculpture est une reconstitution imaginaire de Janus. Dieu romain des portes et des choix, des commencements et des fins, qualifié de « Dieu le père » et l’un des dieux les plus anciens de la mythologie, Janus incarne le passé comme l’avenir. Il est, pour Léo Fourdrinier, un symbole fort de la ville de Marseille, aux prises avec son passé antique et son présent industriel.
 
 
Janus 2023
Plâtre, acier, plastique, peinture acrylique, feuille d'or - dimensions variables
 
 
Discosoma 2021
Pierre, visière en polycarbonate - 50 x 36 x 40 cm
 
Cette pierre surmontée de trois visières est une référence directe à la géologie marseillaise des Calanques, et le mode de transport utilisé par ses habitants : la moto. S’opère ici une tension entre la pierre – modèle de permanence et d’immobilité – et la moto, symbole de technologie et de déplacement des corps. Le titre de cette œuvre fait écho aux couleurs irisées d’un discosoma, une famille d’anémones de mer.  
 
 
La Venus de Milo (-150 /-125 av JC) incarne l’idéal de beauté antique. Son nom lui vient de l’île de Milo où elle a été découverte en 1820, acquise par le marquis de Rivière, ambassadeur de France en Grèce, avant d’être offerte au roi Louis XVIII, qui en fit don au musée du Louvre.
Chef d’œuvre du musée, elle est reproduite massivement, devenant l’incarnation du produit dérivé surconsommé, comme en témoigne cette copie de copie.
 
 
My body is dust but how to deal with it? 2021
Plâtre, plexiglas, peinture acrylique - 157 x 20 x 20 cm
Production CACN
 
 
Imagine into existence (I) 2023
Résine, pierre calcaire, laiton, plexiglas, bois - 36,5 x 59 x 24,5 cm
 
 
Créature bienfaisantes imaginées comme de belles jeunes filles habitant des bosquets luxuriants, les Nymphes passent leurs journées à tisser ou à filer, et se consacrent à la danse et au chant. Cette statuette – copie de la Baigneuse d’Etienne-Maurice Falconet (1757) - peut être celle d’une Néréide, nymphe de la mer, et par conséquent de la Méditerranée.
 
The limits of the Earth, at the end of Paradise 2023
Néon, plexiglas - 144 x 60 x 10cm
Unique
 
Dans la continuité de l’œuvre Minds and senses purifed, ce néon fait référence au lieu où se trouverait le dieu Janus. Placé en haut de l’échafaudage, il connecte l’espace terrestre et l’espace cosmique, et apporte aux œuvres une forme de narration poétique, en écho aux récits mythologiques des autres pièces.  
 
Léo Fourdrinier – Mās/seille:- The limits of the Earth, at the end of Paradise
Texte de Joséphine Dupuy Chavanat, 2023
 
Léo Fourdrinier est un de ces artistes qui manipulent sciemment le temps. Grand habitué de la réappropriation de sculptures antiques, copies chinées, remoulées, puis augmentées d’éléments contemporains, il n’est pas étonnant de retrouver sur les murs de cette reconstitution fantasmée d’un musée archéologique la figure de Janus. Dieu romain des portes et des choix, il est représenté avec deux visages opposés : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. Alors qu’il a grandi à Nîmes, entouré d’un patrimoine antique exceptionnel, Léo s’interroge constamment sur la manière de façonner les formes et les matières pour se connecter aux histoires et aux objets antérieurs qui nous dépassent. Héritier passionné et fidèle de l’histoire de l’art, il digère les figures anciennes pour réaliser des œuvres chimériques qui concentrent en elles les histoires du passé et l’anticipation de potentiels futurs… lire la suite

Léo Fourdrinier est un de ces artistes qui manipulent sciemment le temps. Grand habitué de la réappropriation de sculptures antiques, copies chinées, remoulées, puis augmentées d’éléments contemporains, il n’est pas étonnant de retrouver sur les murs de cette reconstitution fantasmée d’un musée archéologique la figure de Janus. Dieu romain des portes et des choix, il est représenté avec deux visages opposés : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. Alors qu’il a grandi à Nîmes, entouré d’un patrimoine antique exceptionnel, Léo s’interroge constamment sur la manière de façonner les formes et les matières pour se connecter aux histoires et aux objets antérieurs qui nous dépassent. Héritier passionné et fidèle de l’histoire de l’art, il digère les figures anciennes pour réaliser des œuvres chimériques qui concentrent en elles les histoires du passé et l’anticipation de potentiels futurs. La mythologie occidentale est ainsi faite de récits universels qui sans cesse se répètent et se constituent en une succession de métaphores pour expliquer les origines des phénomènes et des relations humaines. Comme dans les sculptures de Léo, le microcosme et le macrocosme s’y rencontrent, dans une tentative de reconnexion avec l’harmonie du ciel, des astres et des constellations. En voulant relier les contraires et les forces opposées, on retrouve notre Janus à deux visages, qui, selon le bénédictin défroqué, alchimiste et illuminé Antoine-Joseph Pernety (1716-1796), « signifie la matière de la pierre philosophale faite et composée de deux choses ». La transformation de la matière, Léo Fourdrinier en est familier : dans My body is dust but how to deal with it ?, la tête et une partie du buste de sa Venus de Milo ont été broyées puis placées à leur emplacement initial dans un réceptacle en plexiglas. « Rien ne se perd, tout se transforme ». Dans son Traité élémentaire de chimie, Antoine Lavoisier (1743-1794) soutient également que « rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature ». Sculpteur, Léo serait donc un transformateur de matières : de poussière, sa Venus redevient poussière1. Dans toute son œuvre, l’artiste récupère, découpe, assemble et combine des objets et des images pour former un nouveau tout, à l’image d’un cadavre exquis antico-futuriste. Hercule, Atlas et Proserpine se retrouvent ainsi modélisés en 3D sur des fonds psychédéliques aux allures de frises ornementales byzantines, comme pour signifier l’image altérée et fantasmée que nous pouvons avoir de l’Antiquité. Par l’appropriation d’images de synthèse, Léo souligne l’espoir que suscite les nouvelles technologies dans la reconstitution, la conservation et la diffusion des œuvres archéologiques, et le plaisir apporté par une communauté de passionné.e.s qui mettent à contribution des outils pour (re)construire une histoire collective. La ruine est ici à lire comme une pensée désireuse d’un futur à ériger collectivement. Un futur qu’il sera nécessaire d’envisager en synergie avec la nature, mais aussi avec l’industriel, le digital et le minéral. Avec Discosoma, une pierre aux allures d’un visage surmonté d’une visière de moto, Cosmic moments of ecstatic communion, où la statuette de déesse en apesanteur est en écho avec la silhouette d’un caillou, ou Imagine into existence, une nymphe dont le visage a été transfiguré en roche, Léo insiste sur la connexion que nous pouvons avoir avec le monde minéral. Alors que la poussière d’étoiles compose non seulement le cosmos, mais aussi nos paysages, nos corps et nos organismes, Léo envisage l’homme au même niveau que les éléments de l’univers et place la pierre comme le prolongement de notre être. Celle-ci devient ainsi un modèle de permanence auquel se confronte l’homme, qui – face à elle – se perd dans la rêverie et les divagations de l’esprit. L’écrivain et poète Roger Caillois (1913-1978), grand collectionneur de pierres, soutenait que « l’homme leur envie la durée, la dureté, l’intransigeance et l’éclat, d’être lisses et impénétrables, et entières même brisées.».2 À l’image de ces pierres, Léo Fourdrinier fait émerger dans ses œuvres d’énigmatiques merveilles, sous la tension créatrice que suivent les yeux opposés de Janus dans les cycles indisciplinés du temps.

Joséphine Dupuy Chavanat


1 — Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris est une locution latine qui signifie : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière ». Livre de la Genèse (Gn 3,19)
2 — CAILLOIS Roger, « Pierres. (extraits) », Diogène, 2004/3 (n° 207), p. 112-115. DOI : 10.3917/dio.207.0112. URL : https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-112.htm
 
 
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