Ymane FAKHIR 

Humanoïde 1998-2002
Série de 30 photographies
Tirage argentique, contrecollé sur l'aluminium 40 x 40 cm

Quand elle évoque Humanoïde, Ymane Fakhir renvoie volontiers à la lecture de Jean Baudrillard, et plus précisément à son analyse de la vitrine, « cet espace spécifique (...), ni intérieur , ni extérieur, ni privé, ni tout à fait public, qui est déjà la rue». Mais qu’importe au fond de savoir que La société de consommation est pour elle l’ancrage théorique de sa démarche ou sa justification a posteriori. En tout état de cause, en recherchant les vitrines et leurs scénographies «toute prêtes», son regard s’est livré à un détournement captivant en s’intéressant moins aux stratégies commerciales qu’aux mannequins eux-même pour interroger ce que disent de nous, de notre société, de l’air du temps, ces humanoïde aux corps glabres, détenteurs d’un idéal de beauté, d’élégance, et quelques fois d’érotisme. Au fil de sa quête, de boutiques en grands magasins, elle a constitué une collection tout en prenant soin de gommer tout repère spatial, de faire abstraction de tout contexte. La vitrine qui isole ces «micro-théâtres» de la rue est elle-même le plus souvent imperceptible, de telle sorte que cette unité de lieu artificiellement créée par Ymane fakhir suggère on ne sait quel nouvel empyrée. Elle met au jour un monde parallèle où siègent dans leurs expressions la plus pure le stéréotype et la norme, un univers ouvertement factice et pourtant éminemment troublant.
Par le truchement de son objectif, elle nous propose un mirage dont il est difficile de se déprendre. Car ce qu’elle met également en jeu dans ses images, c’est notre relation au portrait photographique et, plus au moins consciente, la croyance un peu magique qui voudrait que subsiste de la personne représentée « quelque chose qu’il est impossible de réduire au silence et qui réclame avec insistance le nom de celle qui a vécu là, qui là est encore réelle et qui ne passera jamais entièrement dans l’art» (Walter Benjamin). Dans Humanoïde, il n’y a pas, à proprement parlé, «âme qui vive» et pourtant une illusion persistante d’existence, un malaise que Rolland Barthes, évoquant le caractère «horrible» d’une photographie de cadavre, explique par la confusion entre le concept de vivant et celui de réel : le «portrait» de cadavre est celui de mannequin ont en commun d’être ainsi «l’image vivante d’une chose morte».
Cette impression de vie rendue par ou travers la photographie n’est certes pas nouvelle. Les statues grecques habillées par Herbert Bayer notamment, comme les bustes d’empereurs romains photographiés par Patrick Faigenbaum, procèdent du même effet.
Mais Ymane Fakhir l’exacerbe délibérément en envisageant ses photographies de mannequins comme une matière à fiction qu’elle organise selon les modalités du récit photographique. Elle dispose pour cela des ressources du cadrage, qui lui permettent d’isoler un geste, de souligner une attitude, des différents angles de prise de vue et des associations d’images. Mais de même que ses personnages ne parviennent pas tout à fait à s’affranchir de leur statut d’humanité postiche, de la narration Humanoïde n’a que l’apparence mimétique et son dispositif ne fait que renforcer un climat de sidération généralisée. Le terme «suite» lui même par affinité sémantique avec la musique, la danse, suggère davantage quelque chorégraphie mystérieuse qu’une histoire intelligible. Non un roman-photo en somme — son ébauche peut-être — mais plutôt une passerelle que ces images jettent par delà la séduction consumériste, un songe tel qu’a la lettre «M» René Crevel l’a ainsi consigné dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme : « Sur le globe de l’œil, la grande mannequin glisse en robe de voie lactée».
Christophe Berthoud

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