Jean DUPUY 

Le hasard m’a fait cette fois rencontrer le responsable de la compagnie américaine « Celanese Co. » qui fabriquait du plastique. Décidément ! « Celanese Co. », comme beaucoup d’industries aux USA, sponsorisait les artistes. À ma demande, cette compagnie m’a fait don de quelques plaques de polyéthylène. Elle m’a livré au bas de mon immeuble cent quatre-vingts plaques de 200 x 90 x 0,6 cm. Trois clochards ont mis une journée pour les monter au troisième étage. Pendant des semaines, j’ai tout essayé pour donner un sens d’une façon ou d’une autre à ce mille-feuilles de plastique qui occupait le milieu de mon atelier. D’autre part, la charge en électrostatique du polyéthylène était telle – compte tenu du volume que ça représentait ; 3m3 peut-être – qu’elle attirait la poussière, comme un aimant le fer. Ça m’obsédait, alors j’époussetais. Quel échec !
Un soir dans un cinéma, je remarquais grâce à la poussière, les mouvements des rayons de lumière géométriques qui, venant de la cabine et traversant la salle, projetaient sur l’écran les images. J’ai retenu l’observation et j’ai pensé que le seul élément de poids à retenir du tas de plastique, c’était, mais bien sûr ! c’était la poussière. Ouf ! Je respirais. J’allais bientôt imaginer de faire une sculpture de poussière, et la chose la plus simple à faire c’était de suivre les observations que j’avais faites dans la salle de cinéma. J’avais vu la lumière grâce aux mouvements des poussières dans la salle : il me fallait donc un projecteur. Pour la poussière, il fallait qu’elle soit très légère. C’est un ingénieur qui a trouvé un pigment de densité très faible : 1,56. Du Lithol Rubin. Ce qui m’a demandé du temps c’est de trouver le mouvement pour agiter le pigment. C’est par une suite de coïncidences que, finalement, je suis tombé sur le mouvement le plus naturel : les pulsations cardiaques. Bravissimo ! D’autant plus que le Lithol Rubin est couleur rouge sang. J’avais là tout pour faire une sculpture de poussière.
J’ai demandé à Martel, un ami, de m’aider à bâtir l’objet et à l’ingénieur de s’occuper de la partie technique, et j’ai donné le tas de plastique à un sculpteur qui en a fait un dôme, dans le style Buckminster-Fuller. La machine – On voit, à travers une vitre, dans un espace fermé (70 x 60 x 60 cm) circonscrit dans une boîte (180 x 60 x 60 cm), un latex situé en bas de l’espace (il est tendu au-dessus d’un haut-parleur). En haut de cet espace, on voit la lentille ronde d’un projecteur de lumière. Un pigment rouge sang (densité 1,56) est posé sur le latex. Un observateur fait face à la vitre. On va poser le micro d’un stéthoscope électronique au niveau de son coeur, et entendre alors, ses pulsations : elles vont agir sur le latex. Celui-ci, en suivant les rythmes cardiaques, va, en quelques minutes, projeter et remplir l’espace de pigment rouge, que l’on va voir seulement dans le rai du projecteur. Il a une forme géométrique qui ressemble à une pyramide (on croit voir un cône dans la partie haute du rai : trompe-l’oeil !). C’est pourquoi la machine s’appelle Cône Pyramide. Mais j’avais d’abord donné à la machine le titre de Heart beats dust (i.e. « Le coeur bat la poussière ») car en battant la poussière, le son du coeur amplifié électroniquement devenait le principal agent « constructeur » de la sculpture. C’était donner au coeur une deuxième fonction : celle de montrer à un observateur une réflexion directe, vibrante, vivante de lui-même.

Extrait de l'entretien avec Éric Mangion paru dans le catalogue de l'exposition À la bonne heure, Semiose éditions / Villa Tamaris Centre d'Art / Villa Arson Nice, 2008

Cone Pyramid (Heart beats dust) 1968
Techniques mixtes, 163 x 43,5 x 48 cm
Collection Frac Bourgogne
Voir l'anagramme Cone Pyramid

Vue de l'exposition Für Augen un Ohren, Akademie der Künst, Berlin, 1980

Chorus for six hearts (Chœur pour six cœurs) 1969-1971
Concert de pulsations des cœurs de 6 personnes via une machine contenant 6 Hearts Beats Dust, dirigé par Jean Dupuy à partir de la commande des volumes respectifs des amplificateurs.
Lieux où le concert a été donné :
- MoMa, New York, janvier 1969
- Festival Sigma, théâtre de l'Alhambra, Bordeaux, 1970
- ARC, Paris, 1970
- Maison de la culture, Le Creusot, 1971
- Galerie Toselli, Milan, 1971
Vues du concert au Festival Sigma, théâtre de l'Alhambra, Bordeaux, 1970
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