La montagne et les baigneuses. L’air et l’eau. Un dispositif vidéo fait d'un double écran en pvc translucide dont l'un est à fleur de mur, et l'autre décollé, trouble les images d’une baignade d’adolescentes. Le filtre tendu s’écarte du mur et de l’image nette grâce à des aimants. Le décollement, concave au centre de l’image, répartit plusieurs effets de floculations, comme si le filtre était un buvard qui aurait plus ou moins bu et étalé les couleurs. Au niveau d’écartement maximum situé en bas de l’image, le flou est encore plus dilué. Si le spectateur s’approche de l’image d’une façon latérale, le décollement lui permet de mesurer la différence entre l’image nette de type vidéo d’amateur et celle, pulvérulente, que le filtre propose. Il s’agit là d’un double état de l’image : celui d’une réalité vide et celui d’une intériorité. L’image du dessous est celle de la surface, celle du dessus de l’épaisseur. Inversion renvoyant au geste de l’artiste qui, avec ce dédoublement, nous met dans le bain. Le format suffisant de l’image, serré sur les baigneuses, conserve le caractère intime de l’événement tout en nous englobant. Le bas du filtre crée une sorte d’anamorphose où l’image vient au devant de nous et nous éclabousse. Ce bas est aussi le passage qui nous permet d’entrer. Il efface la limite entre l’image et le spectateur. Les corps jaillissent vers nous et nous sentons dans les scintillations produites par la matière du filtre comme la brillance des gouttes d’eau. C’est vers nous que les baigneuses s’élancent. C’est bien la même eau qui circule entre elles et nous.
Parfois, rarement, le voyageur rencontre l’inespéré. Une offrande aux pays des offrandes. Il aurait été là par hasard. Bande d’adolescentes à la vitalité explosive, un peu volière. La chaleur, l’aubaine d’une vasque, la précipitation des corps à peine sortis de l’enfance et à qui l’attrait de l’eau aurait fait oublier la présence de l’étranger. C’est un événement de joie pure que de voir des corps se donner. Pulsion scopique. Intrusion d’un désir brut, sauvage. Ce n’est pas tout à fait la nymphe surprise, mais ce qui se joue là est immémorial. Toute bouffée édénique nous transporte dans la mélancolie d’un arrière monde qui serait le paradis perdu. Cette scène n’est que présence, quasi absolue par sa commotion de plaisir et de beauté, mais en même temps, elle a été mille fois jouée. Parce qu’elle est archétypique, elle nous plonge dans le trouble d’un contact entre le présent et l’intemporel. Ce par quoi le voyageur serait troublé, ce serait par la simultanéité d’un sentiment de plénitude et de perte, comme si la vie à son point le plus intense aurait été touchée, en même temps que sa fin.
Frédéric Valabrègue
Extrait de Est, in 2 pièces, édition FRAC-Provence-Alpes-Côte-d'Azur, 2009. |
Mountain and bathers. Air and water. A video installation made of a double screen in translucent PVC, one part of which is placed directly onto the wall, the other, hung slightly away from it, blurs the images of adolescents bathing. The stretched filter is pulled away from the wall and from the sharp image by magnets. The detachment, concave in the centre of the image, produces a flocculated effect, as if the filter were blotting paper that had more or less absorbed then spread out the colours. At the bottom of the image, where the detachment is greatest, the blurred image is even more diluted. If the spectator approaches the image from the side, the detachment enables him to measure the difference between the sharp image of an amateur video type and the pulverulent one from the filter. Here is a double state of the image : that of an empty reality and that of interiority. The image below is that of the surface, the one on top is that of thickness. An inversion that brings back to the artist's gesture which, with this doubling up, plunges us in the picture. The size of the image, closing onto the bathers, preserves the intimate nature of the event yet is sufficient to draw us into it. The bottom of the filter creates a sort of anamorphosis where the image comes before us and splashes over us. This lower part is also the passage that enables us to enter into it. It erases the boundary between the image and the spectator. The bodies thrust out towards us and we feel the scintillation produced by the material of the filter like the brilliance in drops of water. It is towards us that the bathers are coming. It is the same water that flows around them and us.
Sometimes, rarely, a traveller meets the unexpected. An offering in the land of offerings. He would have been there by chance. A group of adolescents full of explosive vitality, a little flighty. The warmth, the godsend of a pool, the tumbling of bodies barely out of childhood and for whom the attraction of the water lets them forget the presence of a stranger. It is an event of pure joy to see bodies that are so free. Scopic pulsion. Intrusion into simple, wild desire. It is not quite the nymph met by surprise, but that which is at play here is immemorial. Every edenic burst transports us into the melancholia of a world behind which may be the lost paradise. This scene is only presence, almost absolute in its commotion of pleasure and beauty, yet at the same time it has been played hundreds of times. Because it is an archetype, it plunges us into the disturbing contact between present and timelessness. The traveller is confused by a simultaneous feeling of fulfilment and loss, as if life at its highest peak would have been touched at the same time as its end.
Frédéric Valabrègue
(traduction Caroline Newman & Caroline Duchatelet) |