Monique DEREGIBUS 

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Jean-Pierre Rehm

Hotel Europa est d’abord l’affirmation d’une matière. Roche contre roche ici, proue de pierre taillée ailleurs, Laocoon et ses reptiles esseulés sur une place, hautes barres d’immeubles dressées à la verticale un peu partout, maisons en couches, strates et bris, routes de macadam zigzaguées ou rectilignes, etc. A l’exception de très rares portraits, tous en extérieur, et qui semblent davantage s’immiscer dans cet ensemble pour rendre plus manifeste encore la règle générale, le paysage sur fond de ciel uniment bleu que déroule Hotel Europa se trouve soumis tout entier à la loi de la pétrification. Cette insistance minérale n’est cependant pas neuve dans le travail de Monique Deregibus. Ses premières séries (de 1989 à 1999), prises dans les zones arides du Nouveau Mexique, se construisaient à la recherche d’un panorama, fabriquaient le spectacle au sublime mat d’une nature en dur, mutique. Noués pêle-mêle dans la pelote d’un nuancier de gris, plusieurs motifs s’y reconnaissaient : la songerie de l’origine – celle du monde autant que celle de sa photographie, la séduction sèche d’une Arcadie lunaire peuplée encore du souvenir de natifs disparus, le voeu d’édifier un monument, « calme bloc » dédié à l’Histoire d’avant l’Histoire. En bref, se présentait « l’invitation au voyage », typique de ces années de pérégrination volontaire, métamorphosée, protégée aussitôt par l’argentique, en aplats de « rêve de pierre. »
Mais ces étendues rocheuses ne sont pas toutes entières retenues dans cet onirisme. Délivrées de leur allégorisme flagrant par la grâce de l’entêtement, elles jouent aussi un autre rôle, plus décisif en l’occurrence : celui d’une base proliférante, assise sans hiérarchie, poussée endémique d’un all over photographique. Le pictorialisme (cette tradition photographique, entendue en un sens élargi, qui, bien au-delà de sa phase historique, continue de converser avec la peinture conçue comme matérialisation d’une représentation unifiée et du monde promis qui s’y déploie) s’y corrompt, il délaisse son attache à l’image close pour rejoindre le flotté radicaldes aquarelles cézaniennes. Réalisme à l’envers, qui dérive par le milieu. Ce qui importe: non plus faire monde, et, à renfort de cadrage, cerner à traits soulignés le tracé de ses bords enéquilibre, mais avancer le monde comme fabriqued’intensités, capteur de reflets, maçon de cet édifice dont parle Deleuze au sujet du Bartlebyd’Herman Melville. C’est d’abord unmonde en processus, en archipel. Non pas même un puzzle, dont les pièces en s’adaptant reconstitueraient un tout, mais plutôt comme un mur de pierres libres, non cimentées, oùchaque élément vaut pour lui-même et pourtant par rapport aux autres: isolats et relations flottantes, îles et entre-îles, points mobiles et lignes sinueuses, car la Vérité a toujours des«bords déchiquetés.» C’est de cette manière que ces paysages américains mélangent l’ancien et le nouveau, qu’ils dessinent le sol accidenté à partir duquel vont s’ aventurer d’autres images,d’autres registres, d’autres généalogies. De cette manière: autrement dit, c’est l’acte de naissance du maniérisme propre –si l’on peut dire, et pour autant que ce terme puisse échapper à sonanathème moderniste– au travail de Monique Deregibus. L’origine ici est un tour, qui en appelle d’autres: l’origine est libre de l’origine, elle est un jeté, moellon recueilli, calle provisoired’un mur ajouré. On connaît, souvent cité par Go d a rd, le fameux conseil d’ Ernst Lubitsch aux apprentisopérateurs: «commencez par apprendre à filmer des montagnes avant de vous attaquer aux acteurs.» À cette recommandation d’allure élémentaire, Monique Deregibus s’est pliée. Maisque signifie cette injonction? Pourquoi des découpes rocheuses seraient-elles le vecteur idéal en direction des visages, des corpset de leurs gestes? En vertu de leur immobilité? À causede leur ressemblance avec des acteurs débordant par avance le cadre? S’il importe de ne pas épuiser le caractère énigmatique qu’emporte avec elle toute parole adressée, ce qu’indiquesans doute Lubitsch n’est autre que l’apprentissage d’un art diffus: l’art de la politesse. Une telle science, joueuse à en voir les films du pédagogue, n’est pas à la recherche du point devue embrassant la belle totalité, traquant sous la singularité le sceau de l’universel, elle est plutôt combinatoire de tact, de fulgurances ou de précautions, elle est pesée de la juste distance.Exemplaire de cette affabilité infinie, expert en report au point de l’auréoler d’un messianisme comique est, comme on sait, la figure de Bartleby.
Or, comparable politesse anime Hotel Europa, qui détourne, page après page, la formule de Bartleby, chaque image avançant, têtue mais sans brusquerie, un « je préférerais ne pas. » S’y succèdent et s’y chevauchent ainsi : « je préférerais ne pas » faire la relation comptée d’un périple, « je préférerais ne pas » voyager, « je préférerais ne pas » me trouver au coeur des villes, « je préférerais ne pas » faire d’étude sociologique, « je préférerais ne pas » prendre en otage de mon objectif les êtres et les choses croisés, « je préférerais ne pas » croire en l’autonomie de l’image (celle-là, image cible, une découpe de casse-pipe de fête foraine l’a envoyée par le fond1), « je préférerais ne pas » différencier Marseille, Sarajevo et Odessa sous couvert de pittoresque, « je préférerais ne pas » confondre Marseille, Sarajevo et Odessa au prétexte de globalisation, « je préférerais ne pas » oublier les utopies passées visibles encore dans les rues, « je préférerais ne pas » m’aveugler sur le travail du temps à l’ouvrage sur les architectures, etc. Aussi ferme que le séisme invisible qui laisse secouées sur leur plateau quelques maisons au bord d’une courbe, aussi net que ce mouvement où la mer devient terre et un bateau le bâtiment à quai, semblable fausse indécision bouscule la composition des images, brouille aussi bien l’attirance sérielle que le refus du narratif, trouble, en un mot, les délimitations. S’offre ainsi une clef à la prédominance minérale : c’est la résistance des frontières. Là où les premières séries exposaient l’extériorité sans revers des paysages américains, écrans filtres à lumière, Hotel Europa fait défiler des territoires tout aussi disponibles à la lumière du plein jour, mais leurs configurations, leurs obstacles sont d’une autre nature : ce sont des zones.
Que nous apprennent les photographies sur ces zones ? Trois traits semblent les particulariser.
1. Elles sont des espaces limitrophes. Vallée entre des flancs de montagne, maigre étendue entre mer et terre, frange entre deux trottoirs, terrain vague entre quartiers, périmètre de transfert, etc., leur identité est portée par leurs contiguïtés multiples. Entre-deux qui leur donne de l’une à l’autre un faux air de familiarité, elles s’appartiennent moins pourtant qu’elles ne s’ajoutent, supplément chaotique, à d’autres lieux aux confins clairs. C’est pourquoi le regard s’y perd, et c’est peut-être pourquoi tel groupe de garçons accroupis paraît à l’étude d’une carte, pour quitter la zone, ou y parvenir.
2. Ces parages du milieu génèrent pourtant une substance. Cette substance, c’est l’attente. Et tous les signes, signaux, placards, affiches, bâtisses, façades, dépôts, véhicules paraissent participer à ce purgatoire, devenant les éléments sans échelle d’un large décor. En d’autres mots, la zone est théâtrale. L’heure y sonne toujours midi, sa profondeur est celle d’un trompe-l’oeil, et ses accessoires sont interchangeables. Un assemblage de containers peut devenir un groupe d’immeubles ou un amas de cageots, une salle de musée ou un hall de cinéma ressemblent à un hangar, etc. Là réside sa photogénie, d’être malléable aux effets du fantastique de la contamination.
3. Privé d’action, ce théâtre de l’attente l’est aussi d’acteurs. Et quand des personnages y sont saisis, c’est souvent par grappe ou assemblée immobilisée en écho aux groupes sculptés. Quelques passants exceptés, la zone est vide, inhabitée ; non pas vierge, mais désertée. Ce n’est plus le photographe qui se déplace souverain, ce sont « ses sujets » qui ont pris la route, figures désertant leur fond.
La zone, c’est l’empreinte élargie à la taille d’une migration. En attestent la récurrence des moyens de transport : routes, ponts, ports, berges, voies ferrées, avenues, mais aussi passages cloutés, tunnels, chemins, mais aussi bus, wagons, voitures, camions, bateaux, poussette pour enfant, qui traversent ou structurent presque chacune des images. Si, en dépit de la défiance à s’exhiber, le motif du voyage reste décisif, la zone lui a fait changer de signe. Le voyage ne fait plus bouger, il ne bouge plus lui-même : l’invitation au grand départ elle-même s’est pétrifiée. Pourquoi ? Parce qu’elle ne traduit plus l’aspiration d’un seul, mais connecte en creux les traces de multitudes contraintes. La zone, c’est l’espace saturé de marques laissées par des foules évanouies. C’est pourquoi, cette zone occupe moins un lieu qu’un temps : la durée intermédiaire entre un passé proche et un futur imprévisible. Aussi ne peut-on transformer la zone en monument, ni la dresser en mémorial, tout au plus peut-on lui assigner, comme le bélier juché sur les hauteurs de Sarajevo, le rôle d’un pense-bête, mémento déplacé, « unité d’hébergement d’urgence » dispersée au gré des topographies urbaines. Quelconque, sans relief dans sa précarité, chacune pourtant singulière laisse entendre un écho d’autant plus unique : les migrations méditerranéennes à Marseille, la fin du communisme soviétique ou le souvenir de la révolte de 1905 à Odessa, les années de siège à Sarajevo.
Voilà, peut-être, qui aide à entendre le sens de ce très beau titre, décollé d’une image, Hotel Europa. Loin de pointer un repli sur l’Europe, feed back tardif d’une domiciliation avérée après l’exode vers les grands espaces outre-atlantique, ou de fantasmer une union déjà fédérée dans ses zones, cette enseigne distribue quelques uns de ses lieux et leurs images comme autant d’éléments d’un agencement possible. Film à monter soi-même, Hotel Europa héberge les vignettes fixes d’un théâtre de mémoire à animer à la vitesse de l’Histoire récente. Et ses clichés empruntent autant les couleurs d’un « 3615 G Envi » bégayé en jaune et noir au-dessus du blason de cuisses cuirassées, dernier appel d’offre du « Capital », que celles de l’hôtel d’Odessa face au fameux escalier des massacrés du Potemkine d’Eisenstein. Dérobant leur consistance à des images déjà existantes, à des chroniques, à des souvenirs, à des fictions, voire à des hallucinations telles que Benjamin en avait fait l’expérience à Marseille justement, les refaisant circuler à l’encontre de toute sidération, Hotel Europa ne se veut pas album d’illustrations, mais système de correspondances. On y voit Marseille se diviser par ses bords, mais aussi se raccorder à Odessa, à Sarajevo. Si Hotel Europa est un livre, c’est-à-dire non un rapport, mais un projet, revient à chaque regard d’y imprimer ses légendes. La souveraineté photographique y perd peut-être en surplomb, y relâche le cadre austère de son assurance descriptive, mais de telles images, nageant entre deux eaux, abritent une communauté lacunaire, dont la discrétion est prise ici en charge par une forme de récit dont Benjamin prophétisait le maintien : « La narration, cela restera. Point dans sa forme éternelle, avec sa chaleur secrète, splendide, mais sous des formes insolentes, audacieuses dont nous ne savons encore rien. »

1 Dans l’exposition aux Ateliers de la Ville de Marseille où cette série était présentée, cette image, clin d’oeil au pittoresque dix-neuvième, jouait presque le rôle d’un frontispice, placée à l’entrée d’une pièce où Monique Deregibus avait choisi de montrer en boucle la scène de l’escalier de Potemkine.
 
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Jean-Pierre Rehm

Hotel Europa is, first and foremost, the affirmation of a substance: here, rock againstrock, there a prow of set stone, Laocoon and his reptiles alone on a square, blocks of flats rising high all around, houses forming layers, strata and jags, zigzagging or straight tarmacroads, etc. With the exception of the very occasional portrait, always outside, and always apparently more bound up with the ensemble and thus making the general rule even moremanifest, the landscape unfolded against its uniformly blue sky by Hotel Europa is wholly governed by the law of petrifaction. Not that this insistence of the mineral is new in the work of Monique Deregibus. Her first series (1989–99), taken in the arid lands of New Mexico, was constructed out of the search for a panorama, and created the sublimely mattspectacle of a hard, silent nature. Tangled at random into a bundle of grey shades, several themes can be made out here: the dream of origins – both the origins of the world and of its photography, the dry charm of a lunar Arcadia still peopled with memories of natives now gone, the wish to build a monument, a “calm block” dedicated to History before History. In short, here was that “invitation to the voyage” typical of those years of voluntary wandering metamorphosed and also protected by gelatin-silver into flat “stone dreams”. But these rocky expanses are not wholly contained by this oneirism. Freed of their flagrant allegorism by insistence, they also play another role, one that happens to be more decisive: that of a proliferating base, established without a hierarchy, an endemic outbreak of photographic allover. Pictorialism (the photographic tradition that, understood in a broader sense, well beyond its historical phase, continues to converse with painting conceived as amaterialisation of a unified representation and of the promised world that unfolds within it) is corrupted here, abandoning its ties to the closed image and joining the radical looseness of Cézanne’s watercolours. A reverse realism, adrift through the middle. What matters is not to make a world and, by means of framing, to edge with emphatic strokes the line ofits balanced edges, but to put the world forward as a maker of intensities, a sensor of reflections, the mason of that building described by Deleuze in his discussion of Herman Melville’s Bartleby: “It is primarily a world in process, an archipelago. Not even a puzzle whose pieces could be fitted together to form a whole, but more like a dry-stone wall,without cement, in which each element stands on its own and yet in relation to the others: isolates and floating relations, islands and inter-islands, moving points and sinuous lines,for Truth always has ‘jagged edges’.” It is in this manner that these American landscapes mix the old and the new, that they sketch the rough ground from which other images, other registers and genealogies will venture forth. In this manner: in other words, here in lies the birth of the mannerism – if I can use that term, and in so far as it can shake off its modernist anathema – that characterises the work of Monique Deregibus. Here, the origin is a trick, which leads to other tricks. The origin is free of the origin; it is a lap, a foundpiece of rubble, the makeshift support of an opened wall. We are familiar with Ernst Lubitsch’s famous advice to budding cameramen, as often quoted by Godard: “Start by learning how to film mountains before you go on to actors”. Monique Deregibus has taken this recommendation of an elementary phase. But what does the injunction actually mean? Why might rocky profiles offer an ideal vector towards faces and bodies and their actions? By virtue of their immobility? Or of their resemblance to actors who have always already exceeded the frame? While it is important not to neglect the enigmatic quality carried by any spoken word, what Lubitsch is referring to here is nodoubt the diffuse art of politeness. This savoir-faire, a playful one judging by the master’s films, does not aim for a viewpoint that embraces a fine totality, or seek the sign of the universal behind the guise of singularity. Rather, it is a combination of tact, suddenness and precaution, a weighing of the right distance. And the figure of Bartleby is, as we know, exemplary of this infinite affability and expert in the art of deferral, to the point of crowning him with the halo of a comic messianism. Now, a comparable politeness is at work in Hotel Europa, which, page after page, adopts Bartleby’s own words, each image stubbornly but not brusquely proffering its “I would prefer not to”. And so, in succession and overlapping, there is an “I would prefer not to”offer the detailed account of a journey, “I would prefer not to” travel, “I would prefer not to” be in the centre of a city, “I would prefer not to” undertake a sociological study, “I would prefer not to” let the lens take the people and things hostage, “I would prefer not to” believe in the autonomy of the image (that one, the target image, was sent sinking by the profile of a shooting gallery in a fairground1), “I would prefer not to” differentiate between Marseille, Sarajevo and Odessa, under cover of picturesqueness, “I would prefer not to” mix up Marseille, Sarajevo and Odessa, under the pretext of globalisation, “I would prefer not to” forget the past utopias of which signs still linger in the streets, “I would prefer not to”be blind to the effects of time on buildings. Etc. As strong as the invisible seism that shakes on their 1 In the exhibition at the Ateliers de la Ville de Marseille, where this series wasp resented, this image, a knowing nod to the 19th-century idea of the picturesque, was placed at the entrance to a room where Monique Deregibus had chosen to show the Odessa steps sequence from The Battleship Potemkin. foundations a handful of houses on the edge of a curve,as clear as that movement in which the sea becomes land and a boat a building alongside the quay, this kind of false indecision shakes up the composition of the images, blurs both the attraction of the series and the refusal of narrative. In a word, it undermines delimitations. And here we have a key to the dominant minerality: the unyieldingness of frontiers. Whereas the first series showed the (unlined) exteriority of American landscapes–screens filtering light– Hotel Europa brings before us territories that are just as receptive to broad daylight, but their configurations and obstacles are of another kind; they arezones. What do the photos tell us about these zones? They seem to share three characteristics. 1.They are limit spaces: whether a valley between mountains, a slim expanse between sea and earth, a line between two pavements, a wasteland between two neighbourhoods, a transitarea, etc., all have identities forged by multiple contiguities. This intermediary quality gives them a deceptive feeling of familiarity and similarity, yet they do not belong to each otherso much as add themselves, like a chaotic supplement, to other places that have clear limits. That is why the gaze loses itself in them, and perhaps why that group of squatting boys seems to be studying a map so as to get out of, or into, the zone. 2. And yet these middle areas do generate a substance of sorts. This substance is waiting. And all the signs, signals, placards, posters, buildings, facades, warehouses and vehicles seem to be part of this purgatory, becoming the unscaled elements of a giant set. In other words, the zone istheatrical. The time there is always midday, its depth is always trompe l’oeil and its props are interchangeable. An assemblage of containers can become a group of buildings or a clutter of crates, a museum room or cinema look like a hangar, etc. That is what makes it photogenic, its malleability to the fantastical effects of contamination. 3. Devoid of action,this theatre of expectancy also has no actors. And when figures are captured there, it is often in bunches or unmoving assemblies that echo the sculptural groups. Apart from a few passers-by, the zone is empty, uninhabited. Not pristine, but deserted. Instead of the photographer’s sovereign mobility, here it is her subjects who have hit the road, figures deserting their ground. The zone is the trace extended to the size of a migration. Witness the recurrence of means of communication: roads, bridges, harbours, banks, railways, avenues but also pedestrian crossings, tunnels, paths, but also buses, wagons, cars, trucks, boats, children’s buggies, that traverse or structure nearly all these images. If, despite its reluctance to exhibit itself, the travel theme remains decisive, this zone has changed its sign. Travel no longer moves things, no longer moves itself. The invitation to the voyage is itself petrified. Why? Because it does not express the aspiration of a single person, but creates underlying connections between the traces of constrained multitudes. The zone is a space saturated with marks left by crowds now gone. That is why this zone occupies not so much a place as a time: the intermediary duration between a near past and anunpredictable future. This means that the space cannot be transformed into a monument, or elevated to memorial status. At the most, like the ram on the heights over Sarajevo, it may be assigned the role of a reminder, a pense-bête, a displaced memento, an “emergency living unit” displaced across the urban topography. Nondescript, without relief in its precariousness, yet singular, each one is even more unique in its echoes: Mediterranean migrations in Marseille, the end of Soviet communism and the memory of the revolt at Odessa in 1905, the years of the siege in Sarajevo. All of which may help us grasp the meaning of the very fine title, peeled away from animage: Hotel Europa. Far from indicating a withdrawal back into Europe, the belated feedback and confirmed domiciliation after the exodus to the wide-open spaces over the Atlantic, or fantasising about an already federated union in these zones, this sign distributes a few of its places and their images like so many elements in a possible arrangement. Afilm for the viewer to edit, Hotel Europa houses the fixed sketches of a theatre of memory to be set in motion to the rhythm of recent history. And its photosmay have the coloursof a “3615 G Envi”2 stuttered in yellow and black above the crest of armoured thighs, or the last call for tenders from the “Capital” just as much as those of the Odessa hotel facing the famous steps from the massacre in Eisenstein’s Battleship Potemkin.Taking their substance from already existing images, from chronicles, memories and fictions, and even from the kind of hallucinations experienced by Benjamin in Marseille (again), putting these back into circulation free of any kind of fascination, Hotel Europa is intended not as an album of illustrations but as a system of correspondences. We see Marseille divided along its edges, but also segueing into Odessa, into Sarajevo. If Hotel Europa is a book, inother words, not a report but a project, it is for each gaze to print its own captions. Photographic sovereignty may as a result lose some of its loftiness, may drop the austere frame of its descriptive assurance, but such images, floating ambiguously, house a gapped community, whose discretion is taken up in a kind of narrative whose continuation was 2The 3615 is paying number on the pre-Internet French Minitel (telematic) service, and “G Envi” puns feebly on “J’ai envie”: “I want” or “I desire”–TRANS. prophesied by Benjamin: “Narration will remain. Not in its eternal form, with its secret, splendid warmth, but in insolent, audacious forms of which we as yet know nothing.”


1 In the exhibition at the Ateliers de la Ville de Marseille, where this series was presented, this image, a knowing nod tothe 19th-century idea of the picturesque, was placed at the entrance to a room where Monique Deregibus had chosen toshow the Odessa steps sequence from The Battleship Potemkin.
2 The 3615 is paying number on the pre-Internet French Minitel (telematic) service, and “G Envi” puns feebly on “J’aienvie”: “I want” or “I desire”–TRANS.

 
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