On se rend sur le lieu...
Des jeunes hommes et jeunes femmes travaillent consciencieusement.
Leurs gestes sont précis et précieux : accroupis sur le sol ils grattent, entaillent, ouvrent, tamisent, fouillent, caressent la terre, à la recherche des restes de corps. Long processus qui conduira à la reconstitution patiente du squelette d’un disparu. Plus tard le travail de reconnaissance du corps se poursuivra dans les laboratoires situés aux abords de l’aéroport désaffecté de Nicosie, sous protection de l’ONU.
Quand l’identité de la personne retrouvée ne fera plus aucun doute, on la restituera à sa famille qui l’accueillera et lui offrira une sépulture décente.
Afin que le réel de l’absence puisse s’aborder,
toujours oui hélas oui,
toujours la même histoire,
et « on se repasse le plat de sang ».
Ceux-là que je rencontre en ce jour de début de doux printemps 2011
travaillent coude à coude, repliés sur le sol.
Ils recherchent pour les familles turques et grecques les restes enfouis des défunts.
Plus d’une cinquantaine d’années s’est pourtant écoulée.
Ce faisant ils oeuvrent pour la vie, ils oeuvrent pour la paix simplement,
pour la réunification de l’île... Jeunes archéologues turcs et grecs, tout juste sortis de l’université,
ils participent au sein du Comité des personnes disparues à l’ouvrage sans doute le plus essentiel ces jours sur l’île :
pour en finir avec la haine ravageante des temps passés,
de la guerre, des violents conflits et des ripostes partagées.
Quadrillant le sol avec rigueur, ils opèrent un lent et long travail de fourmi,
corps souvent cassé en deux,
genoux qui raclent, ça souffre aux articulations,
répétition infinie du geste,
qui coupe une racine,
qui tamise,
qui à l’aide d’une truelle et d’une pelle met l’oeil à l’épreuve du « trésor »,
qui caresse doucement la poussière rouge à sa surface.
Ce faisant ils parlent, se racontent des futilités sans doute,
en turc, en grec et en anglais...
Les langues opèrent à elles seules le miracle fugitif.
La tour de Babel semble ici vaciller sur sa base. |
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We go to the place…
Young men and women are working conscientiously.
Precise and precious is the way they move their hands: squatting on the ground they scrape, hack, open, sift, rummage, stroke the ground, searching for the remains of bodies. A long patient process leading to the reconstruction of the skeleton of a missing person. Later, the work of recognizing the body will be done in the labs near Nicosia’s abandoned airport, under the protection of the UN.
When there is no longer any doubt about the identity of the person whose body has been found, the corpse will be returned to its family who will welcome it and then give it a decent burial.
So that the reality of absence can be dealt with,
always yes, oh yes,
always the same old story
and we end up passing each other the same old bloodbath…
The guys I met that sweet early spring day in 2011
were working shoulder to shoulder, doubled up on the soil.
They were looking for the buried remains of dead people, for Greek and Turkish families alike.
Over fifty years have gone by.
Yet by doing this they were working on behalf of life, purely and simply for peace,
for the reunification of the island… Young Turkish and Greek archaeologists, all straight out of university,
taking part, in the ambit of the Committee on Missing Persons, in what is probably the most essential task on the island these days: to have done with the devastating hatred of the past, of war, of violent conflicts, of mutual acts of revenge.
Squaring off the ground meticulously, they undertake a long, slow, mouse-like task,
bodies often broken in two,
knees scraping,
joints aching,
repeating the same action endlessly
cutting a root
sifting
using a trowel and a shovel to put their eyes to the treasure-hunting test,
gently stroking the red dust on the surface.
And while they do this they talk, probably tell each other tales of futility, in Turkish, English, Greek…
Languages perform the fleeting miracle on their own.
Here the Tower of Babel seems to be wobbling on its foundations |
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