Dominique CERF 

Reine de Saba 2003
Tirage sur bâche au mur
Au sol, pièce de béton bleu, fleurs, éléments divers, dimension variable.
Vue de l'exposition Dialogue avec Jean Claude, galerie Artena, Marseille, 2003

Depuis des années j'ai, sous l'étagère d'une cuisine disparue, une peinture sur verre représentant de manière naïve et efficace La Reine de Saba : elle est sur son trône, le trône est sur le tapis, autour du tapis onze fatma(s) l'entourent, au-dessus d'elle volètent deux espèces d'ange.
Le trône est rouge orné d'un croissant de lune blanc.
Le tapis est vert bordé d'une étroite bande orange.
Les onze fatma(s) voilées sont vêtues de blanc, trois offrent leur profil droit, six offrent leur profil gauche et deux sont de dos.
L'ange de gauche dans sa tunique verte et son gilet rouge a une belle couronne orange et, grâce à ses ailes jaunes, porte dans le ciel son offrande à la reine : une sorte de biberon coussin, sans doute de quoi alimenter et permettre le repos.
L'ange de droite dans sa tunique vert-gazon et son gilet vert-pistache a une belle couronne orange et, grâce à ses ailes jaunes, porte dans le ciel son offrande à la reine : une sorte de galette aux cinq fruits blancs, sans doute de quoi alimenter encore.
La reine a un voile noir brodé d'or et d'argent, une grande tunique blanche brodée d'écarlate : elle lit un livre invisible.
Le ciel est bleu, le désert est sable.
On est en plein orient.

Malgré le quasi anonymat de l'un, cette peinture sur verre, et l'immense célébrité de l'autre, une fresque dans une petite église de l'Ombrie, cette image me rappelle la vierge enceinte "La Madonna del Parto" de Piero della Francesca.
On est en plein occident.

Dominique Cerf a réussi cette prouesse : transformer le sable et le jardin de La Reine de Saba en jardin "à la française".

Dans la pièce en contre bas de la galerie Artena, quatre rectangles parfaits forment un grand rectangle au centre duquel se place l'une des colonnes chères à Dominique Cerf avec, là encore, le mariage de l'Orient (fragments de mosaïques & éclats de miroirs).
Et au centre de chacun des rectangles formant le grand rectangle, une colonne ou sa représentation, son vestige, son résidus, comme une trouvaille d'archéologue :
près des marches qui conduisent au jardin une colonne et fleur d'un coté, de l'autre triangle sur triangle soit deux miroirs superposés comme une fin de pluie, au fond miroir d'un coté et mosaïque de l'autre ; et alors, alors seulement on peut considérer le jardin 3 rectangles de fleurs rouges et un rectangle de fleur blanche (une seule fleur partout tantôt rouge et tantôt blanche : azalée).
Le visiteur va au jardin, ce genre de promenade n'est jamais innocent, il y a mille & un jardins mais le jeu, son travail, consiste à faire un jardin dans le désert. Comme il se doit l'eau est absente, en tout cas invisible mais les fleurs sont fraîches et belles, vivantes malgré le désert évoqué et la pénombre d'un fond de pièce, d'un arrière plan de salle.
et si on regarde l'immense photographie installé sur le mur du fond : un front de mer, la mer, les barques amarrées ;
le jardin c'est déjà le large ...
Alors on peut revenir vers l'entrée : la salle du haut et établir les liaisons
"le Yémen" dit-elle ...
Alors tandis que défile dans ma mémoire et sur l'écran de la galerie toutes ces photographies montées-démontées, toutes ces photographies collées-décollées, ces collages et montages de monuments inexistants, de femmes issues de colonnes et nues au sexe masqué par une grenouille (Marina Mars), les retrouvailles multipliées par trois ou par neuf (la preuve) avec le Palais Longchamps
et, à l'entrée comme une signature, le bois d'un cerf, l'andouiller bloqué dans une de ses colonnes ;
sur un grand mur latéral un montage très réussi :
un mur vierge protégé par des cornes d'antilopes, comme un collage surréaliste des années trente, un autel rituel d'un sorcier des origines, une installation de la fin du vingtième siècle ?
pas du tout :
"c'est réel, c'est au Yémen" dit-elle.

Voilà un essai réussi d'un mariage impossible entre occident et orient, entre eux et nous, entre là-bas et ici,
la ligne d'horizon est en pointillé et le visiteur peut la traverser par les interstices,
et la ramure des antilopes frôle les andouillers du cerf.
"Mais qui est Jean-Claude ?"

Julien Blaine
Retour