Driss AROUSSI 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
HLM du stade 2012-2015

Les fragments d’une construction
L’exposition présentée à partir de la mi-mars par l’Espace d’art Le Moulin résulte d’une commande passée par la Ville: un travail photographique confié à Driss Aroussi autour de la construction de la résidence Lucien-Bourgeois. Il s’agit de la transformation d’un quartier de 26 maisonnettes à loyer modéré (HLM), construites dans les années 50 en réponse à l’appel de l’Abbé Pierre. Cet appel sur les ondes faisait suite au décès d'une femme, le 1er février 1954, qui venait de mourir de froid dans une rue de Paris. L'appel rapportera 500 millions de francs en dons. le message fut aussi entendu par l’État, et le 4 février 1954 l'Abbé Pierre obtint 10 milliards de francs affectés par le Parlement pour la construction de cités d'urgence.
En 5 ans, de nombreuses communes répondirent à cet appel par la construction de petites cités qui sont devenues archétypales d'un mode de vie communautaire. À l’époque, La Valette a soutenu activement cette entreprise à vocation sociale en mettant du foncier au service de cette urgence nationale. Elle réitère cet engagement en participant à la rénovation qui transforme les 26 maisonnettes originelles en 42 logements confortables, et toujours à loyer modéré - la résidence porte désormais le nom de Lucien Bourgeois, maire d’alors et porteur de la volonté première.
Ainsi la ville a-t-elle offert pendant deux générations le cadre de l’émancipation sociale, et renforcé par là même le sentiment d’appartenance à la communauté des Valettois.
Accueillis dans ces premiers logements de l’Abbé Pierre, ils y ont déposé les signes consacrés de "l’être ensemble", et cet "acte bâtisseur" a, de façon prémonitoire, associé l’acquisition d’un toit à la construction de l’estime de soi.
Au fond, le plus grand impact de ce lieu partagé a certainement été de "prendre place" dans la cité, car cet habitat a surtout donné à ses habitants les moyens de s’accomplir, grâce à la formalisation de cette belle utopie sociale.
Car l’acte d’habiter participe à la fabrication des "manières de faire ensemble", vécues comme moments indispensables pour que le logement devienne habitat.
Aujourd’hui, Driss Aroussi a suivi et observé les derniers temps investis et les moments de démolition. Il les célèbre en poète à la manière de Michel de Certeau et, comme on présente un appartement témoin, il choisit d’en relayer des images témoins. Mais, à la différence des appartements témoins sans âmes et formatés, ces "micro-narrations" nous montrent, grâce à leur modestie et leur générosité, comment l‘art peut se mettre à converser avec la sociologie.
Il nous offre en partage des "souvenirs-écrans" qui gardent, dans le respect des singularités, l’humanité en repère.
Ses photographies sont simultanément indices et icônes, tantôt saisies davantage comme les décors dans lesquels on apprécie de façon réflexive la douceur du quotidien, tantôt comme les mouvements du corps au travail qui permettent de transmettre aussi ce qu’aura toujours été l’esprit du lieu.
Car si ce cadre bâti a offert des conditions confortables de logement, ces maisonnettes ont aussi stimulé des actes d’appropriation et, aux dires des derniers occupants, ont toujours procuré la sensation de vivre un moment de ressourcement dès que l’on rentrait chez soi.
Habiter n‘est pas une pratique comme les autres: c’est appréhender son existence dans l’intime et dans le collectif. Ainsi les photos de Driss Aroussi ne sont pas des images comme les autres.
C’est bien dans cet espace-là que Driss Aroussi a rendu visible et a interrogé ce passage, si subtil, du logement à l’habitat. Si le logement s’enfile comme un habit de vie, les photos, elles, se faufilent, re-marquent les lieux symboliques et racontent les différentes manières de s’être enraciné dans l’histoire sociale de La Valette.
Ces photos restent en mouvement et sauront parler à tous les Valettois comme autant d’espaces/temps emblématiques d’une époque. Elles ne seront pas reliques puisqu’elles nous proposent de faire un voyage dans le domicile de l’autre, entre familiarités et étrangetés, et trouvent le juste équilibre entre dessins, arrêt sur images et trajectoires de vie.
Il ne s’agit pas ici de représenter le monde ou de donner une forme à un imaginaire qui parle d’autres anonymes.
Le travail photographique de Driss Aroussi s’inscrit dans le déploiement d’une pensée où l’invention, le transitoire, et peut-être l’inconnu, refigurent le monde sans jamais le citer comme révolu.
Sans mélancolie, ni nostalgie, Driss Aroussi ne laisse pas échapper ces petits riens qui font la richesse du hors-champ de notre monde contemporain.

Florence Morali
Architecte, sociologue, enseignante en Design à l’École Supérieure d’Art et Design Toulon Provence Méditerranée Février 2015

 
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