Sylvie Réno à 40mCubeLe transfert de pans entiers du visible a toujours été l'affaire de Sylvie Réno, et plus encore s'agissant de ses sculptures en carton. Parmi les artistes que ce rapport au réel intéresse, de Fischli & Weiss à Étienne Bossut, en passant par Pascal Rivet ou Rita McBride, elle occupe cependant une place à part. En reproduisant ainsi des objets de notre environnement, que celui-ci soit domestique et paisible (mobilier, petits outils, appareils, etc.), ou plus violent (les armes), l'artiste marseillaise, mine de rien, soulève des questions qui excèdent largement le seul plaisir du mimétisme et du savoir-faire. Si les problèmes d'échelle ne l'ont jamais effrayée (cf En Route vers la gloire, cet escalator présenté dans l'exposition Buysellf : Import/Export, en 2003 à Montréal), c'est à Rennes, dans cette belle maison bourgeoise (Le Château) qu'occupe en ce moment 40mcube, qu'elle s'affronte pour la première fois à un environnement complet et très cohérent. En résidence pendant plusieurs semaines dans le cadre du cycle Chantier Public qui en est à sa troisième édition, elle y a conçu et réalisé son exposition, qui consiste à investir toutes les pièces de cette demeure promise à la démolition, sous la forme, du coup paradoxale, d'un chantier. Ainsi, de bas en haut : la pièce à l'échafaudage, aux palettes et aux déchets (découpes de ...carton dans les sacs poubelle), la pièce aux étais faisant face à celle des contreforts (IPN) puis à celle des escabeaux, le grenier enfin, lieu du matériel et des matériaux du peintre (pots de peintures, rouleaux et brosses). Pourquoi le taire, tout cela est très beau ! Et plus séduisant encore quand la lumière d'est vient allumer la surface étonnamment sensible du carton. Cet ensemble ouvre deux perspectives, au moins. D'un côté il témoigne de la toujours possible transfiguration du banal, fût-ce ici par le moyen d'un matériau inattendu, ce carton qui sert autant à l'emballage qu'au dessin, et qui s'avère a priori le moins apte à ce sauvetage du réel. Et parce qu'il en est l'enveloppe reconnue, ce même carton fait de la menace une promesse, de la fragilité une force (les étais, quand bien même ils ploient sous le poids des...écarts thermiques). Par ailleurs, les formes que produit Sylvie Réno, une fois qu'elles ont produit l'idée de la ressemblance (plus, il est vrai, que la ressemblance elle-même), se donnent à voir pour ce qu'elles sont vraiment : des sculptures, inscrites dans une histoire et dans une actualité, c'est-à-dire des oeuvres d'art. Les contreforts, par exemple, fonctionnent ici sur le double registre de l'allusion référentielle et de la sérialité post-minimaliste. L'ensemble des pots de peinture, s'il marque le chantier, tient aussi d'une nature morte qui désigne la peinture comme pilier du système des beaux-arts et dont la blondeur subtile adresse un clin d'oeil à Giogio Morandi. Parce que les sculptures de Sylvie Réno sont aussi des images.
Jean-Marc Huitorel
Il y a des périodes, fabriquer quarante kalachnikovs ne lui fait pas peur. Et à la main. Comme ça. Pas forcément parce qu'elle est en colère. C'est sa façon. Elle exécute assez vite ses armes si l'on tient compte du délai de fabrication. Quarante kalachnikovs en quinze jours, c'est raisonnable. En carton les kalachnikovs. ( ... )
La compulsion, l'obsession dans le travail en répétition et le soulagement qui en résulte la mènent à répéter les objets dans une installation. Ça la soulage d'accumuler des pièces identiques (pistolets automatiques de type Browning 7,65mm) qui vont être installées ensemble. Les installations se développent en cours de travail. La pièce s'élabore, se développe, se nourrit au fur et à mesure de son développement. D'autre part, chaque installation est liée à l'exposition à venir. Le matériel ne crée pas toujours la pièce. Mais un lieu peut susciter une pièce à partir du matériel accumulé dans l'atelier. L'atelier est un réservoir de matériel, un trésor. Composer une pièce est aussi désir, réaction, histoire. Une sensation désagréable à New York peut lui faire fabriquer un Browning, puis cinquante, autant que le nombre d'étoiles du drapeau américain. Peu de pensée avant le travail, elle pense en travaillant. Du moins si ça va. Les idées, c'est pour se sortir des impasses. Elle se dit sans imagination.
Jean-Pierre Ostende, extraits du texte
Quarante kalachnikovs? Deux semainesin catalogue Lundi Jamais / Montags Nie, 1998
There are perios during which, making forty Kalashnikovs doesn't frighten her. And by hand. Like that. Not necessarily because she's angry. She makes her weapons rather quickly considering the manufacturing time. Forty kalashnikovs in fifteen days. That seems reasonable.. they're in cardboard. ( ... )
Compulsion,Obsession in repetive work and the ensuing relief drive her to repeat the objects in an installation. Accumulating identical pieces (automatic pisols of the Browning 7,65mm type) which will be installed together relieves her.
The installations are developed during the work process. The piece evolves and is nourished throughout its elaboration. What's more, each installation is related to the one to come.The material doesn't always create the work. But a place can incite a work using the material accumulated in the studio. The studio is a reservoir of material. To compose a work is also desire, reaction, history. A pleasant feeling in New York can inspire her to fabricate a Browning, then fifty, as many as the stars on the American flag. Little thought before the work, she thinks while working. At least if everything's alright. Ideas are needed to get past the dead ends. She says she has no imagination.
Jean-Pierre Ostende, excerpts from the text Quarante kalachnikovs? Deux semaines
in the catalog Lundi Jamais / Montags Nie, 1998