Clovis DESCHAMPS-PRINCE 

Je campe. Je glane.

Je marche dans le paysage, je cherche des choses à transformer, à tripoter, à manger, à alchimiser. Je cherche de l'argile micacée et des fleurs de romarin au goût de miel amer, je cherche la solitude. La forêt moire son excès d'informations, je n'y peux distinguer qu'une ou deux plantes que j'ai déjà rencontrées dans des livres. Je ne sais pas lire la forêt. Dans son vert vrombissant je guette l'éclat rouge de la bonne terre, la douce terre. Quand je l'aurai trouvée, je la mordrai avec mes doigts.

La nuit, je dors : le piquet de ma tente devient l'axe d'un mini-monde entre le sol rouge et le ciel implacable. Le jour, je fais la sieste : le vent a soif de l'eau de mon corps et la poussière argileuse a faim du gras de mon corps. Ce qui reste de ma chair s'ajuste entre les cailloux. La lumière fait pousser des cristaux de sel aux coins de ma bouche et de mes yeux.

Et puis au bout de quelques jours mon visage disparaît. Il s'est érodé dans l'étreinte inconfortable des choses minérales et ligneuses, alluvionné en dépôt marneux au bord de la rivière.

Glissé dans les interstices du paysage, j'arrive à lire son alphabet abstrait : les fissures racontent qu'on peut changer la texture du monde en officiant des rituels astringents ou dilatants entre les strates de matière. C'est une histoire d'argile, d'eau et de feu que mes mains connaissaient déjà. Pour le moment, mes mains se sont dissoutes dans une veine d'argile.

Le monde se plie et se déplie comme une toile de tente au rythme d'une randonnée colossale. Un bosquet de sauge et de thym plante ses racines dans le sol bolaire et commence à le digérer : c'est la même histoire racontée sur un mode aromatique.

Après avoir bien décanté dans le paysage, je reprends forme. Je marche, je rentre à la maison : je façonne des récipients pour partager nos histoires et nos infusions tanniques imprégnées de symboles, pour faire la fête sieste et habiter le présent.