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| La quête du tableau
[Extraits]
Entrer dans les tableaux de Nicolas Desplats, c'est s'immiscer dans des espaces que l'on pourrait qualifier de « vides orthogonaux » : des coins de murs, des angles de vue, sortes de grandes boîtes avec plafond, avec sol, avec des passages, des ouvertures. En fait, rien que de plus banal : des représentations de parties d'atelier où se fait et se refait en question le travail de l'artiste : un espace générique. Ici, une toile représente un sol, sur lequel est peinte l'ombre d'un tréteau, une autre toile représente un mur, contre lequel s'appuie l'ombre d'un ou plusieurs châssis, ou, dans une autre encore, l'ombre d'une toile blanche, vierge, vide, absente, éperdue dans sa nudité, est posée contre un mur qui la réconforte, comme un soutien. Le mur comme soutien de la peinture. Le mur qui cache à la vue et recentre le regard vers l'intérieur. Vers soi. Les ombres peintes en blanc, qui ne manifestent que le contour des objets, semblent les avoir vidés de leur substance, ou les faire apparaître dans une élaboration promise. [...] Des ombres blanches qui fonctionnent comme des négatifs. [...] Ces ombres blanches sont des fantômes...! Et tous les fantômes ont une histoire. Ici, serait-il en jeu l'histoire de l'Art, ou l'histoire de la peinture ? Ou quelque chose de plus ténu, il me semble, comme l'histoire du tableau ? « Qu'est-ce que peindre un tableau ? » se demande-t-on... [...] Nicolas Desplats semble mettre à nu (à plat) l'espace de son atelier, l'ombre des tréteaux, l'ombre des châssis, ainsi que des châssis nus, vidés de substance picturale, des toiles blanches immaculées en possible devenir. C'est le motif de son travail. [...] au sens de motivation, ce qui « le » motive, à savoir : le propos, le « propre » du tableau – sa propriété, ce qui le constitue–, ce qui porte et supporte « La » peinture. [...] Le registre de sa peinture fait écho à des savoir faires dit « classiques » : traces du pinceau, balayage de la brosse, coulures, non peints, composition savante, bords affirmés comme limites, superposition de couches de peinture, perspective atmosphérique, glacis, ainsi que l'effacement : sorte de palimpseste d'un espace temporel récurent. [...] la peinture de Nicolas Desplats ne « raconte » pas ce que j'en dis. Elle n'est pas dans la narration du sujet, si tant est qu'il puisse se définir ici comme tel. Rien n'est appuyé. Pas d'insistance. Les objets sont en suspension, comme toute question ; sa peinture est dans le diaphane, l'opalescent, le translucide jusqu'au transparent, elle est toujours dans la lumière : celle qui nous dirige et nous aveugle, celle par qui les formes se révèlent et disparaissent, s'évanouissent. Sa peinture est un « à peine dit », un non finito, une part de vide énoncé comme tel, comme un propre « en-soi » : un accueil ouvert sur un espace à remplir, ou pas. [...] la peinture se saisit de ce qui nous fuira toujours... Se mettre devant « ce motif », c'est accepter un face à face avec tout ce qui engage à la fois notre attirance, et notre crainte.
[...] dans certaines de ses toiles la « figure » apparaît. Du moins ce qui « fait figure ». [...] et que l'on peut nommer « montagne ». Ce mot renvoie au paysage, à un sujet de la peinture classique. [...] Mais la montagne ici n'a d'autre référent que la dimension mentale de la montagne. Pas de représentation d'un espace physique comme une Sainte Victoire cézannienne. Les montagnes de Nicolas Desplats sont une méditation sur la peinture. Sur ce que c'est que peindre, ce que c'est que d'appliquer une trace en tant qu'une pensée-là. La touche se dit et se contredit, s'affirme et se dilue. La montagne coule et s'évente, se perd dans des nuages de tons rompus. Elle émerge, comme toute montagne, et s'engloutit dans le vide blanc lumineux de la toile. [...] le vide fait aussi écho au silence.
Bernard Muntaner
La peinture en fuite
A dire vrai, et bien que nous ne nous en rendions pas compte, tous les tableaux de Desplats sont blancs.
Quand bien même on y verrait quelque chose que l'on pourrait identifier - une montagne, un paysage, des arbres, un lac- il n'y a voir que dans l'instant. Cet instant dure peu. Revoyons-nous les tableaux le lendemain, tout est a recommencer. Ils se sont déguisés. Le détail en bas à gauche, qui nous séduisait tant, nous apparaît grossier, vulgaire, pour tout dire, moche. Dans son essence transitoire la peinture de Desplats est souvent moche, ainsi le veut-il. Elle s'intéresse à autre chose.
Elle est méchante aussi, impolie et prête à en découdre avec notre regard. Cela même dans les derniers travaux, semble-t-il plus séducteurs, plus conciliants. Ils mentent. C'est qu'elle n'en a rien à foutre d'être ici, et ne tardera pas à se tirer ailleurs. En attendant son heure, elle se laisse coincer dans l'espace du tableau.
Ainsi le projet de Desplats -puisque tout artiste est supposé en avoir un- serait de retenir la peinture jusqu'à sa prochaine et inéluctable fuite. Soit, il lui faut peindre et dans le même temps surtout ne pas. Pour ce faire il ne se légitime d'aucune autre source d'inspiration que de la pratique assidue du ratage. Il faut. Mais au moment où le pinceau, l'éponge ou le chiffon - c'est selon - approchent de la toile, à cet instant précis il ne faut surtout plus. Tout convenait et puis soudain plus rien ne tolérerait d'apparaître.
Il veut et ne veut pas que ça peigne. Aussi tout tableau commencé sera, effacé, gratté au tampon, lavé au pommeau, recouvert, abandonné, quelques fois plusieurs fois et souvent tout cela ensemble et à peine successivement.
Il peint ce qui ne doit pas être. Comme si la peinture était, en fait, interdite.
II peint comme nous défierions une voiture lancée à contre sens sur l'autoroute. Sinon que lui ne l'évite pas. Il peint jusqu'à la catastrophe. De plus, puisque manifestement cela ne suffit pas, chaque toile fait partie d'un ensemble dont la croissance est exponentielle : chaque toile appartient à une série, dont il est difficile de l'exfiltrer, série elle-même qui se soumettra à la dure loi de l'installation et à la torture des tasseaux, quelques spécimen photographiés et exagérément agrandis, seront enfermés dans une cage afin d'exposition pastorale. Comme si l'oeuvre, loin du tableau, loin de l'image ne pouvait se concevoir que dans le mouvement incessant des transformations de ses composants. Desplats bouddhiste? Conceptuel?
Pourtant ce qu'entreprend Desplats à chaque étape de son geste, c'est paradoxalement d'abolir l'image, pour que n'insiste - temporairement- que le tableau, son essence, qui renoncerait à être une image. Et qui, partant, renoncerait aussi à être un objet d'art. Qu'est-ce alors? La vie qui passe en désignant quelque chose d'absent, quelque chose de blanc.
François-Michel Pesenti , Avril 2015
Texte de Pierre Baumann, La pensée de midi n° 30, « De l'humain nature et artifices », mars 2010,
éd. Actes Sud, rubrique « Carnet d'artiste » sur Nicolas Desplats
La peinture de Nicolas Desplats s'inscrit en toute discrétion dans le sillon d'une peinture qui fut portée par les idéaux spatiaux de la Renaissance, une façon d'aller voir à travers la surface du tableau pour déloger les profondeurs transparentes de nos atmosphères. Ainsi on saisira tout le ressort des perspectives que tisse Desplats dans ses images : elles reviennent sur les principes fondamentaux d'une perspectiva artificialis dont le programme est bien l'édification de la profondeur à l'appui d'un processus géométrique et conceptuel. La peinture est projet/projection. Elle conspire aussi avec régularité sur les impalpables transmissions de couleurs, éthérées par la profondeur de ses volumes d'air, et l'oeil n'a plus qu'à se tenir là où la peinture accepte de délivrer quelques mystères inavoués. On est ici au coeur de cette perspectiva naturalis chère à Léonard où le paysage n'est pas le pays de nos contemporains mais celui primitif immémorial où l'historia a pris naissance. S'il est un enjeu fort dans cette pratique picturale, même si on admet bien évidemment qu'elle s'immisce dans l'indicible et l'indescriptible, c'est bien la quête persistante de faire parler les dimensions entre de la peinture : en cela les vrais motifs de sa peinture (au sens de ce qui motive le peintre à faire ceci), c'est une hypothèse bien sûr, ne sont pas ceux évidents, montagnes, tableaux, tréteaux ou coins de pièces, mais ce qui se trouve « moulé » par ces choses de quelque consistance : le coin d'air au coin d'un mur, l'espace vide qu'occupait des peintures, l'atmosphère entre les montagnes, l'ombre et la lumière, le carré d'air dans le creux des tréteaux, mais aussi des choses (au sens de cause) prise en partie dans ce qui définit la peinture même : la dimension mince entre l'acte graphique instaurateur du tableau et l'acte pictural, qui par la couleur, de celare, cache en partie l'édifice ; mais par ce qu'elle cache elle trahit aussi les transfuges du médium, échappée du cadre, cadre dans la montagne, cadre dans le cadre, cadre dans l'angle de l'image, évanouissement du motif. À ce titre, les peintures de Desplats n'ont en apparence rien de subversif il est vrai. Elle ne font appel à aucun motif qui puisse poser problème d'iconicité. Ils sont d'ailleurs peu nombreux ces motifs initiaux : montagnes, appartements, cadres, peinture dans la peinture, tréteaux ou éléments d'atelier ; c'est à peu près tout. Il semble que l'enjeu de la peinture de Desplats se situe plus dans cette quête d'un espace imaginaire : la maison appelle l'espace, la montagne appelle la mer, l'intérieur l'en-face et l'en-face des images qui ne sont pas celles qu'on voit, mais celles qui se construisent dans notre imaginaire pour édifier l'espace de l'autre rive. Je dois un instant parler en mon nom, car ce que construit en moi la peinture de Desplats contribue malgré moi à désigner ma façon de voir les paysages d'une Méditerranée que je ne connais pas, paradoxalement celle qui pense le désert comme le lieu privilégié de la sensation : un orient de fiction qui me porte dans la territorialité minérale de ses espaces, sèche et de poussière. Alors, quand je contemple l'azur de ses peintures, le ciel au loin je ne pense pas à la couleur bleu, mais au broyage extrême du minerai dans son mortier, celui du lapis lazuli, lazurwad en arabe, qui contribue à l'incarnation en finesse de la peinture. La peinture de Desplats, en prenant des motifs qu'on dira immuables traverse et renverse avec tact (de toucher) un temps contemporain dans l'art de peindre qui s'inscrit véritablement dans la durée, ce projet persistant de viser l'autre rive afin de penser le mystère et l'immatériel feutré par l'atmosphère de la peinture. Le carnet inédit que propose ici Nicolas Desplats prend à partie l'espace du livre afin de composer un parcours en image dans son travail, ou chaque image raconte un peu de la peinture qui la porte, mais aussi de l'espace qui nous conduit à elle par renversement permanent du tableau dans l'ombre et les absences feutrées de l'atelier. Nicolas Desplats est peintre, mais il peint aussi avec des tréteaux, des murs défraîchis, un bout d'atelier dans une rue de Marseille et l'air ambiant. Et c'est dans cette mise en abîme, semble-t-il, que l'autre rive délivre la magie de sa matière broyée.
http://www.pierrebaumann.com
Texte d'Emmanuel Loi sur l'exposition "Paysage chavirés" - Voyons voir à Grand boise, en Juin 2010
Nicolas desplats à construit sous forme de panneau publicitaire qui macule l'entrée de la plupart de nos agglomérations un photogramme panoramique du point de vue. Théme double de la duplicité barré et souligné d'un RIEN NAIT A SA PLACE, la planche contact d'une partie du réel est agrandie. On y voit et est représentée la vallée de Puyloubier et Pourrières qui marque les contreforts de la Sainte Victoire. Montage subtil qui déroge à la perception binoculaire classique. Incité à lire le paysage, à décryper le message-slogan, le pèlerin s'interroge sur le mystère jubilatoire de surlignage (commentaire, dédiscalie, incantation). En effet, quelle est la place de la naissance du regard, d'où je vois ? Puis-je avoir été là et mesurer la migration ? Focus sur le cheminement, la déambulation et la perspective. Peinture des monts et du cadrage de la montagne, Desplats a serti là un sécatif, chaque explorateur éprouve au sommet d'une butte ce sentiment sur une crête dominant la jungle. Incitation au voyage sur place, occassion de dérive. Lui reste à parcourir ce qu'il a déjà effectué, il ne peut nullement simuler l'effort par une transaction psychique : tout se ressemble, tout se répète et il faut pourtant y aller. Le lieu de naissance du plaisir est-il pile poil lieu de la naissance du regard ?
Lire l'entretien réalisé par l'artothèque Antonin Artaud, Marseille
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Mots Index
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Peinture-Espace-Absence/présence-Mur-Vide-Montagne-transparence-abime-intérieur-Cadrage | |
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champs de références
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Lecture-référence 2012
- George Didi-Hubermann
L'homme qui marchait dans la couleur
Ce que nous voyons ce qui nous regarde
- George pérec
Espèce d'espace
-Voltaire
Candide ou l'optimisme
-Marguerite duras
L'amour
-Pascal Quignard
Sur le Jadis
Les ombres errantes
-Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète
-Edouard levé
Autoportrait
suicide
-Georges Bataille
L'histoire de L'oeil
-Daniel Arasse
On n'y voit rien
Anachronisme
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repères artistiques
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La représentation de l'espace - depuis la naissance de la perspective de Piero Della Francesca à Sigmar Polke - et du paysage, en peinture, en photographie tout comme en architecture. | |
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