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| Avec Camera Calda, Yves Schemoul mène depuis plusieurs années le projet d'une architecture mystérieuse dont les reliefs les plus saillants viendraient apparaître à chaque exposition. Ses oeuvres sont les manifestations d'un édifice mental qui à travers ses couloirs, ses salons, ses portes et ses chambres secrètes semblent contenir une forme de récit crypté. Comme liées par un pacte secret, les différentes pièces font front dans le surgissement de leur territoire. Rouges (pour la plupart), elles sont des matériaux conducteurs et véhiculent ensemble une chaleur jusqu'à l'incandescence. Comme l'image produite par une camera obscura, qui par effet d'optique et maîtrise de la lumière compose une vue inversée du monde, il s'agit ici de superposer au réel un espace renversé empruntant certains de ses signes pour en proposer une lecture déviée. À travers le moule, l'empreinte, le geste, tout semble se livrer à revers. Avant de saisir la nature de ce qui se joue sous ses yeux, le regardeur, dans l'exposition du Pavillon Vendôme, perçoit les articulations d'un langage ouvert, un vocabulaire de formes qui se réfère autant au minimalisme qu'à la figuration, au Caravage, à l'appropriationisme, au tirage de plans, voire, à certains égards, à l'expressionnisme. La facture apparaît comme une fausse piste, c'est dans la nature même des oeuvres (leurs matériaux, leur lexique, leur herméneutique...) que s'érigent les murs du labyrinthe. Mais c'est surtout à travers la paradoxale récurrence d'un corps jamais figuré que tout paraît s'articuler. (...) C'est qu'il est ici question de la charge vitale des objets d'art, de leur capacité à accueillir les projections, à s'animer, à devenir des fétiches. Les oeuvres d'Yves Schemoul sont des portes d'entrée vers un monde dissimulé dans lequel l'expérience avance à l'abri du signe. En littérature, la métalepse est un procédé narratif qui consiste à briser les lignes entre le récit et « celui » qui le raconte au moment même où « il » raconte. C'est une intrusion de la fiction dans la vie autant qu'à l'inverse, la percée du réel dans l'histoire. Et c'est précisément à cet endroit qu'on se trouve dans l'exposition Rouge, dans un sas qui combine un ensemble de signes permettant l'accès à la mythologie d'une insaisissable relation humaine.
Guillaume Mansart « Le château, le désir et la mort », Rouge, Camera calda, 2021, éditions Musées, Ville d'Aix en provence. Voir le texte en intégralité (PDF)
Rencontrer l'oeuvre d'Yves Schemoul et céder à son mystère. Sa camera calda est une chambre des secrets, un secretarium, un espace isolé, séparé du monde commun, où des objets-signes muets retiennent leur sens et se posent en énigmes. En se référant au Locus Solus de Raymond Roussel, il en fait le lieu de tous les prodiges, un paysage en métamorphose tour à tour cabinet de toilette, boudoir, salle de torture, asile, antichambre, tombeau ou salle des poisons. Elle renvoie aussi à l'espace mental qui, des profondeurs de l'inconscient aux confins de la mémoire, a lui aussi ses zones d'ombre et ses angles morts. Y pénétrer revient à s'orienter à l'aveugle et à construire son propre réseau de sens, en associant formes et matières par ricochets ou par échos, en se heurtant aussi à des impasses ou à des résistances. Même reproduite sur plan (Camera calda project), la topographie fantasmatique se prête à désorientation, tout chemin narratif n'y étant jamais que provisoire.
Florian Gaité "Imager le secret, sécréter l'image", Heart is saved, 2020, editions Fondcommun, Marseille Voir le texte en intégralité (PDF)
Une perspective quasi archéologique opère aussi bien dans les formes que dans les métaphores. Le visiteur ressent combien les pratiques sculpturales les plus anciennes - l'empreinte, le moulage - rapprochent une technique et un rite. Yves Schemoul n'est ni alchimiste ni magicien mais il sent combien, apparemment inerte, la matière est mue par le signe et le verbe. Ce sont eux qui l'ensemencent d'un mouvement. Par la fusion de la résine et du verre, mais aussi par les zones de contact entre les matières, de la chair au fer, puis du métal au verre, puis du verre à l'image ou au reflet d'un torse, le courant passe. Les zones de contact des matières et des images, ou des matières et des mots, rejouent la mise à feu de la création. Le geste récent reprend une genèse. Ce qu'il actualise, c'est la mémoire archaïque des gestes premiers qui ont fait, de la forge par exemple, un lieu cosmogonique. Ce titre de camera calda nous y invite dans la mesure où nous y voyons un creuset ou la chambre d'explosion d'un moteur. La passion amoureuse, l'impossible union ou l'impossible incarnation, condense une déflagration refroidie comme le sont le verre, la résine ou la lave.
Frédéric Valabrègue, 2018 "Vulnera", extrait du texte du catalogue Heart is saved, 2020, editions Fondcommun, Marseille Voir le texte en intégralité (PDF)
Agrandir pour appeler ce qui se cache, scanner pour faire monter ce qui se montre à peine, retourner pour mettre à jour ce qui ne méritait pas d'être vu, regarder le presque rien jusqu'à ce qu'il devienne le presque tout, pister l'histoire de l'art la plus ancienne dans ce qui ne pourrait être que du non-art, rendre transparent ce qui était opaque et vice versa, peindre avec ce qui recouvre en général la peinture, redonner aux détails l'importance qu'ils n'ont pas, sculpter dans l'épaisseur d'une feuille de papier, débusquer un épiphénomène plastique et l'interroger sans relâche, voici quelques-uns des actes et gestes qui contribuent à la singularité du travail d'Yves Schemoul.
François BAZZOLI, « Etrusques quand même », mai 2011, Revue Semaine 259
Dans « La muraille et les livres » Jorge Luis Borges fait cette curieuse remarque : « Cette imminence d'une révélation, qui ne se produit pas, est peut-être le fait esthétique.* » C'est là mettre l'accent sur le processus de création au détriment de l'oeuvre et considérer que l'imagination de celle-ci est plus intéressante que sa réalisation, puisqu'elle la contient en puissance. Cependant la remarque de Jorge Luis Borges est une aporie. Comment l'imminence d'une révélation peut-elle être perçue si la révélation n'advient pas, et peut-on envisager de révéler quelque chose sans le manifester ? L'on ne peut parler d' « invu » comme le fait Jean-Luc Marion, qu'après l'avoir vu, et si, depuis l'impressionnisme et le constructivisme cézanien, les oeuvres modernes révèlent volontiers leur mode de production, ce n'est jamais qu'au terme de l'actualisation de celui-ci en oeuvre. Or c'est cette aporie qu'Yves Schemoul entreprend de surmonter.
*J.L. Borges, « La muraille et les livres » dans Autres inquisitions, 1952, Œuvres complètes, La Pléiade, Paris, 1993, p.675
Jean ARROUYE , « Un art entre suggestion et réminiscence », in Yves Schemoul, Ecrans et Vis-à-vis, catalogue monographique, 2009, Lyon, Editions Fage, p.19.
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Techniques et matériaux
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Peinture Volumes (résine, verre, plâtre) Sérigraphie Photographie Dessin Scanning Installation | |
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Mots Index
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Ecran Filtre Traversée Support-substrat Support-substance | |
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repères artistiques
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Le plongeur de Paestum Les Photogenics drawings de W.H.Fox-Talbot Le Tableau de graisse de Joseph Beuys (Fettbild, 1952) L'instant unique de Jean-Pierre Bertrand | |
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