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Au moment où Marseille se retrouve capitale européenne de la culture, il n'est pas sûr cependant que ses édiles et ses gardiens des temples de l'art retienne Marc Quer pour l'honorer de sa présence. Il est vrai que nul n'est prince en son pays. Mais on le regrettera. Parfait iconoclaste donc parfait poète, le créateur déplace toutes les formules artistiques. Parfait enfant des quartiers et des marges, doté d'une trombine à damner les “cagolles”, il n'est en rien, au sein de sa folie créatrice, un de ces artistes marteaux qui achètent leur outil dans un simple Casto sous prétexte qu'il y a là tout ce qu'il faut. Il préfère couper dans le vif de vieilles fringues pour tailler ses manteaux de vision. Il en jaillit comme un peuple en lutte. Son tango argent teint les ruelles. Elles swinguent du valseur par multiplication des mains. L'artiste est autant Fregoli et Grüss. Au besoin il se fait détrousseur de 4 L en rade où il fut jadis trousseur sur leur banquette arrière. Et ce, qu'importaient l'heure et le jour, les mots d'amour et le jeu des pistons. Mais il lui arrive toujours de lutiner en rêve et juste pour l'honneur. Il demeure surtout de ceux qui ne cherchent pas des poux dans la tête des pauvres mais à l'inverse leur redonnent une place dans le désordre de l'univers et sur l'eau-pâques du vieux port de la cité phocéenne. En ce sens, il est le digne fils des sudistes Ben et César. Jouant autant de l'amour des titres que des images, comme eux, il crée des conflagrations en de perpétuels détournements. Une bassine de fer tient lieu de douche. Sur un faux magasin réduit à un mur gicle son slogan « Tout à cinq francs »...
Le travail se fomente en un atelier, repaire d'Ali Baba désargenté, laboratoire d'un docteur Mabuse sans diplôme, cabinet de stockage et de curiosité d'une petite rue de l'Estaque. D'un chaos de ce que d'autres artistes prendraient pour un rebus, Marc Quer tire des associations improbables. En ce capharnaüm, et entre dehors et dedans, il dessine, photographie, sculpte le dehors et le dedans. Ses apparentes improvisations sont bien plus subtiles qu'il n'y paraît. Du bordel surgit un ordre. Il demande parfois un temps long afin que le hasard fonctionne dans une mécanique quantique et une physique floue propres à créer des rapports imprévus mais significatifs. Sous les matériaux les plus dérisoires, la poésie d'un lumpenprolétariat (oui, il existe encore), de diverses immigrations et de tous les laissés pour compte, retrouve — loin de tout folklore exotique — une saveur humaine particulière et grouillante. Un « vrai » Marseille est soudain présent là où l'artiste rappelle de manière esthétique ce qu'on trouve dans le souk près de la Porte d'Aix ou sur les rues adjacentes les jours de marché. Soudain, de ce qui ne vaut rien, émane une poésie qui n'a pas de prix. La vie jaillit sous forme de foirades satiriques et quasi sentimentales. Et ce, quel qu'en soit le « support » et le médium. Par exemple, dans son Monsieur Drame, le créateur regroupe les mails des ruptures amoureuses. Les uns comme les autres sont discutables mais ils font bon ménage avec des images de portes d'hôtels de passe couverts de graffitis. Dans L'entre-sort, une multiplication de papiers perdus et recueillis (carte du Monopoly, numéro d'écrou des Baumettes, étiquettes de prix des fleurs, bribes de copies scolaires ou de lettres) dressent une “carte du tendre ” hors de ses gonds. Tout est touchant, délirant, drôle, parfois pathétique mais toujours poétique. Le travail montre jusqu'où vont les matières (parfois pendues à des patères austères) et comment les pétrir ou les détourner. L'infini se plie parmi les outils de Quer. Ses marteaux et ses perceuses font de la bonne musique. Ils ne cognent et vrombissent pas pour les chiens. Ni pour le gratin artistique. Dans la rue calme de ce coin d'Estaque, d'un coeur mécanique, les engins du créateur parlent haut. Sus aux matrones et gare aux oreilles ! Preuve qu'il faut de la testostérone, du toupet à l'âme, un coeur bien trempé et de la discipline comme celle des bêtes vissées à leurs brancards pour battre le fer pendant qu'il est chaud afin de forger des falbalas aux inoxydables tentations à l'existence.
Jean-Paul Gavard-Perret, Marc Quer, l'enfant de la sardine, 2013 http://www.lelitteraire.com
© Bruno Suet
... Il n'y a pas un seul usage de l'atelier et celui-ci a évolué avec toutes les définitions récentes de l'art. Celui-ci peut être un refuge, une cellule de moine, un repaire, un espace d'archivages ou de stockage, une place attenante à l'espace domestique, un laboratoire, un bureau, un établi d'artisan, une petite entreprise, une PME et même le fameux atelier du XIXème siècle rempli d'accessoires théâtraux et proche du cabinet des curiosités. Quand on entre dans l'atelier de Marc Quer, garage situé dans une ruelle vide de l'Estaque, village et port adjacents à la ville, on se retrouve devant un tas confus dont peuvent être extraits des éléments pour des ensembles sculpturaux ou des installations. Le tas matriciel débordant et informe laisse le hasard organiser des rencontres et des associations. Tous ces objets, fripes, vieux fanzines, morceaux de carton, inscriptions rudimentaires constituent un lexique pour des phrases dont les modèles sont les étals de rue sous le pont du Cap-Pinède et autour du marché aux puces des Arnavaux. Beaucoup d'artistes sentent la pression d'un dehors qui les appellent sans cesse. Marc Quer qui dessine, photographie, sculpte, danse, invente des publications et des promenades, préfère être dehors. L'atelier lui permet d'accumuler les provisions avec lesquels improviser. Garder l'atelier, c'est se mettre en demeure de passer à l'acte avec tout ce que ça suppose comme ennui et angoisse pour les obsédés de la réalisation. L'atelier, lieu de gestation et parfois de macération, n'est pas toujours un espace agréable. C'est aussi le lieu du doute et du manque de recul. Il est dans le meilleur des cas organisé comme une machine quand la production est bien huilée, mais sa fonctionnalité appartient à chaque artiste, ce qui en fait en même temps une sorte de tanière pour animal en hibernation prolongée. Si l'ancien atelier dans sa version classique n'est plus pour la plupart des artistes le lieu où tout se joue, c'est parce qu'après la révolution picturale du plein air, le désir de se confronter à une réalité incarnée par la ville en générale, non pas dans sa représentation mais dans son rythme de vie et sa culture, les a poussés dehors. Quand la vie quotidienne est devenue l'espace d'investigation et le tremplin, l'atelier a pris moins d'importance. Il est devenu le lieu du rassemblement mais plus tout à fait celui de la recherche. Pour Marc Quer, il est plus important de saisir un rapport de formes et de matériaux dans la rue - rapport qu'il va traduire et mettre en place dans son dépôts - que d'affronter le silence de l'atelier. C'est dans l'instantanéité du regard, dans la restitution du coup d'oeil qu'il tire une sentimentalité acide de choses pauvres mais propices à la rémanence. Il semble que plus ses moyens sont dérisoires et plus leur charge émotionnelle est claire. Il sait que ses matériaux comptent un nombre suffisant d'indices et que leur métonymie rebâtit un environnement populaire rempli de voix et d'inscriptions. Cet environnement, ce serait celui de n'importe quel sous-prolétariat de la planète. Il n'y a pas là de folklore, juste une façon de favoriser une rencontre visuelle ou langagière. Le modèle, ce peut être le geste des métiers, celui du manoeuvre plutôt que du maçon. Ce peut être aussi les marchés du dimanche de la Porte-d'Aix ou de la rue Longue où on étale au sol un mouchoir puis pose une montre brisée et une paire de chaussettes, plus pour la discussion que pour une vente de deux sous. Cette conversation par écrits interposés - affichettes où chacun cherche son chat, tapisseries hirsutes formées par un feuilletage d'adresses et numéros de téléphone - sèment sur les murs un jeu de pistes amorçant une rencontre. Les pièces de Marc Quer contiennent souvent un appel au lien ou font état d'un lien qui se défait. Elles sont remplies de rumeurs. Elles sont des invites à jouer avec la ville. Elles répondent au désir de laisser un signe, inscrire, mar(c)quer. Il y aurait autre chose qui serait le pari du vernaculaire. Marc Quer a vécu son enfance à La Bricarde, une cité au-dessus de l'Estaque. Il possède sur le bout des doigts le répertoire des comportements de la plupart des gens des quartiers. A partir de ses observations, en satiriste bienveillant, le plus en empathie, il tire un type de ces gens et en instaure les lignes et la définition. Ce personnage dont il est aussi le modèle, acteur et moqueur furieux de ses mésaventures et de ses déboires, ce serait le méditerranéen confronté à la confusion de ses sentiments, une rudesse machiste cachant un coeur d'écorché et jouant avec le pathétique de ses contradictions. L'artiste organise la surenchère d'un personnage identifiable du premier coup d'oeil tellement il caractérise le local. Il n'y a pas un mot écrit, pas un objet ni un assemblage de Quer qui n'évoque pas ce type, qui ne soit pas reconductible à sa manière d'être. L'autoportrait de l'auteur et acteur et son autobiographie se dessinent derrière ses réalisations même les plus sculpturales - les installations de parpaings ou les fragments de chantier -. Il n'est pas un moi, encore moins un ego, il est plutôt le dénominateur commun issu d'une géographie, de circonstances socio-culturelles et de particularités langagières. A travers ce type, Marc Quer nous montre une ville collant aux symptômes et y répondant par l'affect. Ici, face à n'importe quel événement, c'est le corps entier de la ville qui réagit sans recul. L'artiste place son vocabulaire de façon à ce qu'il résonne avec le collectif. Il en condense la mythologie. Ce mode de placement local, hauteur de ton et d'inflexions d'une langue densifiée par une économie rigoureuse, est hissé à la hauteur de ce que Baudelaire nommait avec admiration le poncif. Ce vernaculaire reconstruit est immédiatement traduisible et perceptible dans n'importe quelle autre langue. Une publication récente réalisée avec les Editions P de Denis Prisset, intitulée Monsieur Drame, où toute une série de courriels signifiant des ruptures amoureuses plus ou moins navrantes avoisine des images en noir et blanc de portes d'hôtels de passe couverts de graffitis, exemplifie bien la constitution de ce personnage à l'affect attendrissant et catastrophique. ...
Frédéric Valabrègue (extrait, in La Planque, 13 ateliers d'artistes, édition Parenthèses, 2011)
CA VA 2009
Un état d'esprit plus qu'un mot d'ordre.
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