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| Portraits of a Lady Opening night rue Vernier. Ayant poussé les portes grandes ouvertes de la galerie Eva Vautier vous tombez nez à nuque sur une photographie grand format de Sandra Lecoq, de dos. Dans cette photo, Sandra Lecoq, transfigurant son quotidien, s'est mise en scène, en faisant de ses chiffons d'atelier une immense robe nuptiale rapiécée et souillée : la mariée était en crade. Elle y est une sorte de grande perche, cariatide en pleine crise de croissance, Alice au pays des emmerdes envahissant l'espace de bas en haut. Si vous souleviez son jupon, vous la verriez, petite maline, juchée au sommet d'une pile de modules de peinture empruntés à une photo de 2016 : Haut les coeurs et bas de plafond dont Peau d'âmeest une sorte de double inversé. Sur la photo de 2016 qui a servi à l'exposition collective chef-orchestrée par Karim Ghelloussi, Le monde ou rien, elle figurait en tablier, disparaissant sous une pyramide de briques multicolores et équilibristes. La fille en bleu de travail, c'est elle, la poupée de foire à crinoline, c'est encore elle. Ouvrière ou reine, écrasée ou dominant la situation, voici plus de vingt ans que Sandra Lecoq est mariée à son art salissant (robe = chiffon, tableau = palette). Dans les deux photos, la salle de bal est l'humble rectangle carrelé de son atelier – son luxe, dit-elle –, un module en abyme dans un bâtiment où l'on abat de la besogne, une case comme une salle de classe où chaque jour on désapprend. Ce n'est pas l'espace qui est trop bas de plafond mais la tâche qui est immense, ce n'est pas contre les murs qu'elle se cogne mais contre autre chose. Si le temps d'un cliché ou deux, Sandra Lecoq entrouvre sa fabrique, ce n'est pas pour livrer ses secrets ni pour témoigner – son travail n'a aucune visée documentaire – mais davantage pour afficher le lien qui l'unit à un groupe d'artistes, voisins d'atelier, amis, compagnons de route, une petite communauté d'esprit de mousquetaires-artistes. Florent Mattei prend la photo pour Sandra Lecoq, Karim Ghelloussi l'expose et ainsi de suite, une pour tous, tous pour une. Cette économie participative et complice a notamment donné naissance à cette photographie, Peau d'âme et avanti jaddu ! (le coq en sicilien...) qui ouvre la nouvelle mostra de Sandra Lecoq en faisant du peintre le modèle. Un renversement qui est sans doute une clé pour appréhender ce qui suit. Car nous qui entrons, abandonnons toute certitude. Prenons-nous par la main et passons de l'autre côté. Une forêt de portraits, une galerie des glaces, c'est ce que nous allons traverser : trente visages graves qui forment une étrange parentèle. Vous disposeriez tout autour des lambris, un plafond à caissons, du papier damassé, une rampe en chêne vous n'en seriez pas moins dans la cage d'escalier grinçante d'une maison de maître où les gueules d'enterrement dans leurs cadres dorés le disputent aux trophées de chasse. Comment se sont-ils retrouvés ici ? Accrochons-nous à la rampe et avanti jaddu ! L'effet de surprise pour ne pas dire de sidération est multiple. On assiste à une rétrospective de travaux jamais montrés. Seuls ceux qui fréquentent à Nice le quartier du port et ses bouges ont pu en voir quelques-uns sous couvert d'anonymat dans le cadre d'une avant-première qui n'a jamais eu lieu. Quand on demandait au gardien occasionnel de ce musée éphémère : « Mais de qui sont ces toiles ? », le préposé ôtait sa casquette et vendait la mèche : « Sandra Lecoq ». Je vous prie de croire qu'on pouvait lire l'étonnement et l'admiration sur le visage des curieux. Car il faut se souvenir que l'histoire de Sandra Lecoq avec la peinture est celle d'un rendez-vous différé, devenu quasi impossible à force de retard. Que disait l'intéressée ? « Mère Peinture implorée si longtemps m'avait déçue, trop intransigeante, trop dure. » Que disait la gazette ? « Chez elle la couleur se tresse, se coud, se confectionne. Au pinceau se substitue l'aiguille, les bouts de tissus font de bons aplats. » Ou encore : « Sandra D. Lecoq appartient à une génération d'artistes qui relève le défi de la peinture du côté de l'objet. S'il n'emploie pas les outils, les supports et les médiums traditionnels de la peinture, son travail procède bien simultanément du dessin et de la couleur. » Il serait faux de dire que Sandra D. Lecoq n'a jamais peint, il suffit de se reporter à la série H de guerre (2007), toiles mêlant écriture (gros mots) et variation sur les gestes picturaux où l'insulte signifiait aussi le combat qu'elle livrait avec la peinture. A l'époque, personne n'aurait imaginé qu'elle franchirait le pas, peindrait sur toile ou sur bois, à l'acrylique et à l'huile, des portraits qui seraient ensuite poncés, cirés, patinés et finalement exposés. Pour autant voici vingt ans que l'idée de la peinture est là. Son portrait-hommage de Gérard Gasiorowki (1930-1986) pourrait être une forme d'aveu. Elle perçoit dans la manière iconoclaste et hétéroclite du peintre ayant fait l'oblation de lui-même à son art, un jusqu'auboutisme dont elle veut se réclamer et qui lui permet aujourd'hui de franchir ce pas. Dans cette vie qui n'est pas toujours un cadeau, il a fallu un geste qui en soit un. Comme un signal de départ. A un être chéri, fasciné par ces tableaux d'ancêtres où l'encadrement vaut souvent davantage que l'oeuvre, elle a voulu un jour offrir un portrait, un beau portrait des familles. Faute de moyens, elle s'y est mise, comme une grande. Amour est un bon guide et, en art, l'intuition peut tenir lieu de technique. Ce jour-là, dans le secret de l'atelier, elle a trouvé l'élan, bientôt suivi du geste de peinture. Oui, elle s'est lancée, puis elle a multiplié les tentatives. A l'exception de deux ou trois portraits nés de son imagination, dont ce type, prétendument inspiré de Florent Mattei, avenant comme un paysan amish façon Grant Wood, Sandra Lecoq peint ses portraits d'après photos, photos de proches ou piquées dans des livres et sur le Net. Une photo, c'est-à-dire un petit morceau d'abstraction qu'elle va révéler. Et c'est ainsi qu'elle s'est jetée à corps perdu dans l'aventure du portrait, à l'instinct, avec sa manière qui pour ne pas être conceptuelle n'est pas non plus tout à fait non-conceptuelle. Pour faire ses portraits, elle n'a pas voulu apprendre la technique du portrait comme elle n'a pas voulu étudier l'histoire du Fayoum à nos jours pour tirer à son avantage un propos intelligent sur l'art du portrait. De toute façon, elle fait tout ce qu'il ne faut pas faire, c'est dans sa nature. Elle dit qu'elle fait et réfléchit après. Que voulez-vous, certains lisent entièrement le mode d'emploi et d'autres préfèrent appuyer sur tous les boutons. Ça ne marche pas toujours mais quand ça marche, quelle fulgurance, quelle fête. Revers de la médaille : la victoire de l'intuition oblige à chaque fois à repartir presque de zéro, à réessayer toujours, soleil qui s'élève le jour pour plonger le soir sous l'horizon, tel est Sisyphe. L'aventure a commencé il y a mettons deux ans et elle n'est pas finie, nous n'en sommes qu'à la première saison d'une nouvelle série. Elle a intérêt à vous plaire car vous pourriez en prendre pour un bon moment. L'oeuvre de Sandra Lecoq ne connaît pas à proprement parler de ruptures, pas d'époques, de périodes rose, bleue, marronnasse, si elle interrompt ses travaux, elle ne coupe jamais complètement le fil et reprend son ouvrage où elle l'avait laissé, sans éclats ni effets d'annonce, sans tralala, elle n'a pas le temps, c'est une bosseuse. Elle se dit sauvage mais elle peut être mondaine, comme vous et moi, elle aime se taire autant que beaucoup parler. Elle est de toute façon trop modeste ou trop immodeste pour se reconnaître une qualité quelconque. Si on se permet ici de parler d'elle, ce n'est pas pour esquisser son portrait mais pour rappeler qu'on n'est pas à une contradiction près et que la contradiction en soi peut être un sujet : les autres. Une famille en noir est un jeu visuel, la télé-réalité de l'artiste, au sens d'une oeuvre de télépathie et de sympathie revenant à dire qu'on est la somme des autres. (Qui en doutait ?) Dans cet Autoportrait des autres – clin d'oeil à Gertrude Stein où Lecoq-Toklas s'efface et se démultiplie pour mieux partager sa chambre d'échos – on est libre d'admirer sans entrave, de rendre hommage, célébrer, libre d'aimer sa famille ou de s'en choisir une autre, d'appartenir à un tout, de s'y fondre ou de lui dire merde. Le cerveau est une malle pleine de gens. Les autres sont dans la tête de l'auteur et les visages peints un jeu de reflets de la conscience. Résultat : une trentaine de tableaux presque tous nimbés de noir, une enfilade de portraits saturniens qui barrent d'une ligne sombre des parois que la blancheur défend. Trente médaillons qui, sur leur quant-à-soi, se toisent, roulent des yeux et dans leur nuit se parlent. Trente glorieux et glorieuses, il faudrait toutes et tous les nommer, on ne va pas le faire, ils ne sont désignés ici que par leur matricule. Après tout, de quoi est-on le nom ? Lecoq, Elle le sait au cul (2007), ça vous parle ? Parmi eux, certains sont nés au xixe siècle, tel le père de la psychanalyse (SF 0056) ou encore l'auteur de La Traversée des apparences (VW 0082), le plus jeune a 17 ans, c'est le fils de l'artiste (LD 099). Or sur chacun de ces portraits poudroie la lumière d'un temps incertain. C'est un portrait de groupe disloqué : autour de la table, les époques, les âges, les sexes, les races se sont fixé rendez-vous par la seule volonté du peintre. Ne pensez-vous pas que les hommes en noir d'un Fantin-Latour ont davantage à se dire séparément qu'ensemble ? (D'ailleurs voit-on jamais ses tableaux en entier ?) Les portraits sont des miroirs qui approfondissent la perspective aussi bien spatiale que temporelle. Leur juxtaposition en nombre fait qu'on échappe à linéarité du temps, c'est davantage une somme accidentelle d'univers, de territoires et de destins. On passe ainsi des vivants aux morts, de l'imaginaire au réel. Ces portraits réalistes, reprenant même pour certains des représentations iconiques et galvaudées (Lacan, Kahlo, Cassavetes, Woolf, Pasolini), sont, par la force des choses, une entorse au réel, le peintre peint ce qu'il voit. Cela vient aussi de ce que les miroirs, appelons-les portraits, de Sandra Lecoq sont des instruments de désir – Eh oui ! l'éternel combat (perdu d'avance) entre Eros et Thanatos. Il en ressort une érotique en habit très particulière, surtout pour celle qui, par ailleurs, n'a jamais craint de montrer son truc très doux (2008), des Penis Carpets (des années de pratique !), l'interpénétration mouvementée de Phallus et Vanité (2008) ou tout le folklore du Vit en rose (2007) qui valut à la coupable d'être censurée. Le miroir des autres est l'occasion d'un retour sur soi, d'une introspection, d'une prise de conscience. Une conscience politique aussi bien. Il y a Simone Weil (SV 027) : l'avortement. Cédric Herrou (CH 079) : le paysan de la Roya, passeur et symbole de l'aide aux migrants. Leoluca Orlando (LO 047) : le maître de Palerme ouvrant sa porte aux réfugiés dans une Europe fermée. Il y a Pasolini (PPP 022). L'Orestie africaine de Sandra Lecoq se situe au Cameroun où elle est née en 1972 et emprunte les traits tragiques de Ruben Um Nyobe (RUN 013), assassiné en 1958 (45 ans) par l'armée française, et Félix-Roland Moumié (FRM 025), assassiné en 1960 (35 ans) par les services secrets français, deux figures de la lutte pour l'indépendance. Ces leaders salement éliminés, elle ne les a pas plus connus que la jeune morte Eva Hesse (EH 036) ou la quasi centenaire Louise Bourgeois (LB 011) mais ils sont aussi son histoire. Ce portrait de groupe ou ce groupe en portraits, c'est enfin l'occasion, dix ans après, de décliner une expérience qui avait frappé les esprits à Nice, l'exposition du Dojo : Délicieux cadavres exquis ou l'histoire d'une sainte famille recomposée. Un événement salué en ces termes par Jean-Marc Réol : « Nulle trace ici d'un exposé thématique sur une question de l'actualité de l'art, nulle interrogation socio-historique sur le rôle politique des artistes, mais plutôt l'expression, tour à tour enjouée et enthousiaste, d'un désir d'exposer le lien qui unit un groupe d'artiste, sur un mode essentiellement affectif et ludique. A cette « sainte famille » appartenaient Noël Dolla, Roland Flexner, Philippe Mayaux, Pascal Pinaud, Philippe Ramette, Olivier Bartoletti, Karim Ghelloussi. ND 045, RF 044, PM 061, PP 064, PR 061, OB 073, KG 077 : on les retrouve tous ici en peinture dans cette conversation piece. La commissaire de l'exposition de 2006 a trouvé en 2017 l'art et la manière de réunir à nouveau son petit monde. Soir de juin, après un verre du jaja de Ben, la température monte d'un cran. Ces cartons d'invitation 15 x 21 sont des éventails bien pratiques : au recto, une photo de l'artiste de dos, le dos de l'artiste s'est fait toile et châssis, son plus jeune fils lui dessine à même la peau une poulette, à moins que ce ne soit un coq, tandis que le fils aîné prend la photo. Le tout est un autoportrait de l'auteur réalisé en famille. Le noir s'est changé en or. FM 067
Si tous les Gérard étaient des Gasiorowski, Véro ne serait pas coiffeuse. Et si j'avais lu Machiavel, j'arrêterais de lire mon horoscope...
J'ai toujours eu peur d'avoir des comptes à rendre à l'histoire de la même manière que les amnésiques chroniques m'exaspèrent. Arrêter de me salir les doigts et les petites tenues peu conseillées pour une pratique d'atelier m'a fait croire un instant que j'échappais à l'histoire. Détendue enfin et faussement seule je baignais dans un sentiment délicieux et illusoire: le travail était orphelin, mère peinture implorée si longtemps m'avait déçue, trop intransigeante, trop dure. Née sous X l'avenir se présentait sous de meilleurs auspices. Artiste, peintre, hétérosexuelle, mère de famille, athée et peu diplomate. Manque de drogue et de rock and roll. Pas de passé de prolétaire pas de quoi faire de misérabilisme ni de mythe. Une naissance en Afrique mais métissage loupé: père breton mère flamande et bien trop honnête pour jouer sur le continent noir. Pas un loby, pas un réseau, aucune croyance. Pas assez belle pour être idiote. Pas assez intelligente pour être moche. Profil d'une grande banalité. Autant gravir l'Everest en tongs.
Si tous les Gérard étaient des Gasiorowski, Véro ne serait pas coiffeuse.
Me voilà en train d'écrire sur la peinture en en ayant plein les doigts. Situation embarrassante. Moi, qui ai passé des années à penser que je venais de la peinture, la pratiquant par substituts, je pensais me substituer du même coup et d'une certaine manière à son histoire. Se dire peintre, c'était une chance d'appartenir à une famille. Ne pas se salir les doigts, c'était s'offrir le luxe de ne pas lui rendre de comptes. Elle est morte! Ce sentiment dépressif pourrait m'obliger de m'excuser de vivre. Et pourtant, entre nous, pour une forme soi-disant morte, mes journées d'atelier ressemblent plus à des rounds de boxe qu'à des veillées funèbres.
Élève à la Villa Arson, jusqu'en 1996, année de l'obtention de mon diplôme, je découvre avec excitation un champ d'expérimentation qui confirme définitivement mon désir d'être artiste. «Elle appartient à une génération qui relève le défi de la peinture du côté de l'objet. S'il n'emploie pas les outils, les supports et les mediums traditionnels de la peinture, son travail procède bien simultanément du dessin et de la couleur. Dans le souvenir des gestes analytiques de déstructuration du tableau initié par Supports-Surfaces, elle tresse et coud ses chiffons d'atelier puis très vite des tissus multicolores en lieu et place du châssis et de la toile, qui donnent à ses pièces l'allure de tapis mormons qui auraient pris la tangente.» «(...) les nattes sont si longues, qu'inlassablement, elle les enroule sur elles-mêmes. Courbes, volutes, spirales y dessinent des formes phalliques tapies sur le sol. (...) Ce sont des tableaux qu'il faut voir posés, juste déroulés. Leur présence marque comme une géographie du pas si tendre.» Cartographie érotico-fantasmée pleine d'humilité, ma peinture est à vos pieds. Le temps de la pratique est indexé sur le temps de la vie. À l'époque, Loupio mon premier fils a un an. Les complications inhérentes à ce nouveau statut de mère agissent sur moi comme un catalyseur.
«Pénis carpet» Le titre de ces pièces souvent monumentales affirme l'intention, mais la forme elle-même est parfois tellement peu suggestive qu'elle reste libre de toute interprétation. La série des «penis carpet» implique un temps de réalisation presque dément mais c'est le temps du geste simple et répété. La maison devient atelier avec l'enfant qui joue tout près. C'est le temps béni des contraintes harmonieuses et de la contemplation. Me revient alors le souvenir de cet été passé dans un bureau de poste de l'arrière-pays. L'endroit quelque peu vétuste n'était pas encore équipé.C'était donc à moi qu'incombait la tâche à priori ingrate de tamponner les courriers. Je me suis retrouvée honteuse à éprouver un certain plaisir là où on devrait s'indigner tellement la tâche est bête, mais j'ai adoré la mécanique des mains qui libère l'esprit. Ces «Pénis carpet» sont les fruits de mille rêves éveillés, ceux-là délicieux, dont on décide l'histoire et pour lesquels tout finit toujours bien.
Artiste, femme, mère, fille, soeur, amie, génitrice, reproductrice, putain, fée, sorcière, harpie, méduse, hystérique: «Pénélope la salope ou l'âme de la femelle sauvage».
L'utilisation de certains matériaux comme de gestes domestiques, couture, tricot renvoie inévitablement aux activités considérées comme typiquement féminines.
En 1972, je naissais à Penja au Cameroun. Au même moment à Los Angeles l'exposition «Womanhouse» sous la direction de Miriam Shapiro et Judy Chicago montrait 24 artistes femmes. La maison, espace domestique, devenait espace d'exposition, «Womanhouse» encensait ce qui était considéré comme trivial: les produits de beauté, les tampons hygiéniques, le linge de maison ou encore les bonnets de douches, tout devenait matériau artistique. À ses débuts, la création féministe était militante passionnée et décidée à chambouler l'histoire de l'art. Plus de 30 ans après je profite de cet héritage. Mais si plus haut, je parle de ce désir d'appartenir à une famille, loin de moi la satisfaction d'appartenir de fait à une catégorie ou à un «genre». «Female wild soul» ou l'âme de la femelle sauvage est un texte récurrent dans mon travail. Il signe à sa façon et de manière presque désabusée ce marquage sexuel.
Pour le dire autrement, en énumérant les titres qui forment les différents épisodes, ou les chapitres de l'histoire de ma pratique, déclinés du plus ancien au plus récents on trouverait:
Les «Pénis carpet», décrits plus haut.
La série des «Flacid painting» (peintures molles) se présente sous forme de couvertures tricotées multicolores sur lesquelles je viens coudre des formes de sexes d'hommes, préalablement découpées dans mes chutes de tissus.Phallus ludiques mous, doux et chatoyants, la citation est littérale. On peut y voir une critique comme une célébration, l'effet subversif vient du fond comme de la forme. Ces vieux ouvrages de dames relégués au mouroir des formes kitchs, ringardes et de mauvais goût sont récupérés transformés et magnifiés. La forme récurrente du phallus devient motif, elle disparaît alors dans l'effet décoratif de la peinture pour y revenir avec la force de ce qui est insidieux. Le patchwork des couleurs souvent vives à pois, rayures, petits liberty et paillettes me rappelle le goût fraise artificiel de certains antibiotiques. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Sous ce titre générique de «Flacid painting», on retrouve des pièces construites à partir d'un travail d'écriture sous forme de phrase ou de mots récurrents: «Female wild soul» «OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI OUI » Erotique, politique, hystérique, graphique, le mot dessine. L'utilisation systématique de pochoirs accentue une fois de plus l'effet de signe.
«He draws I do» Si la représentation du phallus à son origine était portée par une symbolique de vie qui en faisait un signifiant du désir, le Christianisme a fini par le restreindre à l'acte sexuel le classant alors comme obscène. (cf «Le sexe et l'effroi» de Pascal Quignard) De la meme manière, la vanité sous la forme d'une tete de mort, surexposée dans un contexte historique qui fantasme l'éternité se voit réduite au statut de simple motif (bijoux fantaisies, sweats à capuche, pyjamas 3-6 mois, housses de couettes...) Dans cette série, je travaille à partir des dessins de squelettes et de têtes de mort réalisés par mon fils. Sa préoccupation d'enfant, pour l'imagerie de la mort, à la fois amusée et inquiète devient mon répertoire de formes. Découpés, agrandis, recomposés, je les réinterprète à mon tour.
«Le vie en rose» La série est un ensemble de grandes aquarelles à composition complexe qui mêlent dessin réalisés de la main gauche, transfert de photos de famille, sexes, vanités et le «fuck» doigt impudique comme le geste mimétique du phallus. Ces dessins sont comme des instantanés étranges d'inconscients perturbés.
«Elle le sait au cul» L.E.C.O.Q Les collages de papiers peints parfois arrachés rejouent sous une autre forme l'idée de patchwork initié par les pièces en tissus. On y retrouve à nouveau l'ensemble du vocabulaire développé plus haut. Les pièces photographiées sont agrandies et tirées sur bâche PVC. L'effet de matière est annulé, lissé par l'image. La toile cirée à caractère domestique prend des allures de grande peinture.
«Monotypes sans titres» Cette série d'autoportraits est un appel à la mélancolie où il s'agit de taches plus que de figures... Les formats sont petits (50 x 65 cm) et la couleur inexistante. C'est avec l'acrylique noire, diluée à l'excès, que je fais apparaître le dessin.
«H de guerre» J'ai voulu une magistrale vendetta picturale sous la forme de listes d'insultes en tout genre. C'est à ce moment précis que les doigts se salissent. Bad painting / dripping / compo néo-géo / paillettes kitch... L'histoire revisitée me rend follement généreuse. Pour Freud, «Le premier qui a lancé une insulte à la place d'une pierre est le fondateur de la civilisation».Peut etre que «Wild» deviendra «Quiet»... J' attaque de front ,en accrochant au mur un format de 200 x 200 cm, de quoi matifier un vernis social sclérosant d'hypocrisie. Insulter l'amant infidèle, le voisin raciste, le grand-père autoritaire, l'amie jalouse, le vieux pervers, l'idiote de service et le jeune arriviste.
Les différentes facettes de mon travail réinterprètent des souvenirs de la peinture (fond, forme, dessin, couleur) qui pourraient être assez classiques mais je n'oublie pas l'aventure violente que la modernité a imposée à ce médium (des papiers découpés de Matisse, des collages en tout genre, de la déconstruction ...) Par ailleurs, au-delà d'une réflexion sur la problématique du tableau et des substituts de la peinture qui forment le fond de mon lexique formel, je suis particulièrement sensible aux questions de la spatialisation de mon travail. En effet, la dimension des pièces, leur matériologie particulière se prêtent à un travail de recherche sur la topologie de leur présentation. Je suis souvent amenée à me confronter à des problèmes d'espace qui confinent parfois à ceux de l'installation ou de la sculpture.
Sandra D. Lecoq Nice, le 22 septembre 2008
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Techniques et matériaux
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Tissus, couture, tricot, tressage, toile, bâche PVC, miroirs, acide, trichloréthylène, Collage, vidéo, photo, dessin. Peinture dans tous ses états. | |
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Mots Index
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Genre Tautologie Icones Porosité Eros / thanatos | |
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champs de références
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La micro histoire, le principe de réalité, le sentiment amoureux, la porosité des frontières, le hasard, la vitalité / nécéssité, l'écriture, les signes, la psychanalyse, Freud, l'inconscient, le refoulé, les reves, les dessins d'enfants, Pascal Quignard, Georges Bataille, Charles Bukowski, Jonas Mekas, John Cassavettes, Serge Daney, Robert Guédiguian, PJ Harvey, Erik Satie, Claude Debussy, Pina Bausch, Pino Danièle, « L' art de la joie ».
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repères artistiques
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Gérard Gasiorowski, Jessica Stockholder, Tracey Emin, Sarah Lucas Robert Rauschenberg, Martin Kippenberger, Alighiero e boetti, Polly Apfelbaum, Support surface, Picasso, Matisse, Magritte, Mayaux, Rothko et bien d'autres... | |
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