Hatem AKROUT 

La définition de l'Histoire par Schopenhauer pourrait parfaitement s'appliquer à celle de l'Art en général ou même à celle du travail d'Hatem Akrout en particulier : «L'histoire a beau prétendre nous raconter toujours du nouveau, elle est comme le kaléidoscope : chaque tour nous présente une configuration nouvelle, et cependant ce sont, à dire vrai, les mêmes éléments qui passent toujours sous nos yeux». Persuadé de cette évidence Hatem Akrout sait revenir à son essentiel pour se renouveler. Des figures simples issues d'une imagerie personnelle, assemblées, imbriquées dans une sorte d'art du motif. Quelques rappels aussi à des travaux et des techniques antérieurs ainsi qu'une échelle différenciée pour les éléments prépondérants. La cohue qui en résulte est toutefois beaucoup plus ordonnée qu'elle ne le paraît car chaque figure est habitée d'une valeur emblématique ou allégorique et l'agencement précisément proposé des unes avec les autres permet de formuler un récit. Cependant rien n'est dit, tout est suggéré et l'artiste laisse à tout un chacun le soin d'imaginer sa propre histoire en attribuant à chaque figure son propre sens. L'absence de titre est ici contributive de la liberté de figuration donnée au regardeur.
Yves Gnaegy











Une lecture matérialiste de l'oeuvre d'Hatem Akrout.
Serge ROURE.
Hatem Akrout est un peintre du printemps. Mais, dans les jardins d'Hatem, le printemps n'est pas, à l'inverse de ce que nous montrait Boticelli, un temps d'harmonie et d'équilibre. Loin de l'idéal renaissant, Hatem nous plonge en effet dans une réalité réduite à sa matérialité la plus hasardeuse, lieu de luttes et de conflits incessants, où composants et forces élémentaires, dans une danse post- hivernale frénétique, se percutent, s'entrechoquent, s'entremêlent, s'envahissent mutuellement, prolifèrent et pullulent, dégénèrent ou éclatent ou explosent, subissent par milliards des agencements dérisoires, et produisent ainsi du mal comme du bien formé, donc du difforme, de l'informe ou du conforme puisque tout est possible dans cette vaste et vaine agitation moléculaire. Le printemps dans ces jardins darwiniens est ainsi un bordel plus ou moins joyeux d'où sortent des figures incertaines, inachevées - tubercules, alevins, grenouille encore têtarde, oisillon, coquelet, embryon ou foetus... -, peut-être en cours d'achèvement, peut-être déjà inertes et bientôt désagrégées.
Face à ce bouillonnement organique, notre oeil et notre cerveau remplissent leur fonction d'organes : ils tentent de mettre de l'ordre, de trier les données, sans doute mus par un réflexe ancestral et garant de la survie de l'espèce dans d'autres jardins plus sauvages encore. Hatem nous aide parfois dans ce travail de mise au point, notamment au moyen de feuilles transparentes sur lesquelles sont tracés des contours noirs qui donnent sens à des sous-couches colorées et qui, par leur transparence ne sont pas sans rappeler la rétine organisée et organisatrice.
Mais la présence humaine ne se réduit pas dans les jardins hatémiens à celle de notre oeil. Des couples apparaissent. Difficile alors de ne pas songer à l'Éden ou aux Hespérides. Il faut toutefois s'en éloigner aussitôt. Pas plus d'idéalisme dans les portraits d'Hatem que dans ses natures vives et grouillantes. Les traits embrouillés font des visages-puzzles qui, dans leur complexité, expriment à la fois des tensions intérieures et des tensions avec l'autre. Dans les deux cas, et comme à l'échelle microscopique, tout n'est que rapports de forces et affirmation d'énergies nécessairement vivifiantes et destructrices dans le même mouvement. Chacun n'est qu'un champ magnétique, ou une réserve pulsionnelle, qu'importe l'appellation, et la présence d'un autre champ ou d'une autre réserve électrise ou hystérise, qu'importe encore, la relation. On le comprend, l'homme, bien que doué de conscience, perd de sa superbe. Rien d'étonnant dès lors si chacun tient de l'animal, comme l'indiquent ces esquisses de têtes qui évoquent un babouin, un ogre ou des insectes prêts à dévorer leur proie. Ajoutons, pour finir peut-être par le plus important, que ces têtes, en ce qu'elles sont grotesques, montrent combien Hatem vise un réel en partie tragique sans être lui-même dans le registre tragique, mais plutôt dans celui du jeu, voire de l'amusement, un peu à la manière de Michaux dont le grand "Grand combat" raconte ce qui pourrait se dérouler sous n'importe quelle feuille couverte de rosée ou dans la moindre motte d'humus.



Vue d'atelier



« Toujours plusieurs passages pour le fond. D'abord du jaune à l'eau puis du blanc à l'huile et ensuite du rouge à l'eau, un combat racial : le blanc mange le jaune, le rouge mange le blanc. Hatem Akrout peint alors des formes à l'huile ; et il mélange le tout avec un chiffon. Hatem a fait son lit ».
Jean Pierre Ostende, 1990.

« Accomplissement d'un lent travail de plus de dix années pour que naisse son langage dont la trace est la syntaxe, l'émulsion la grammaire et les signes empruntés à ses racines carthaginoises le vocabulaire ».
Dominique Legros, 1997

« La peinture de Akrout se laisse d'abord approcher par les sens. Sans abus de matière, sans effets trop grossièrement démonstratifs, elle attire par sa simplicité : signes élémentaires déclinés en petits formats, scènes plus ou moins figuratives ( corps, baiser ) en formats plus grands, couleurs de terre mélangées d'eau, couleurs primaires posées sur le bois ».
Yves Gerbal, 1996

« ... la peur du vide : il couvre. La peur du fixe : il met en mouvement ( anti-nature-morte ). Et c'est "une peur de la mort" peinte.
Je crois qu'il n'essaye pas d'exorciser ou d'apprivoiser la mort.
Je crois qu'il essaye de peindre ce que nous avons oublié : la surprise, la fraîcheur du galop ».
Jean Pierre Ostende, 1990

Ce que nous narre Hatem Akrout se situe entre l'édification d'un mythe fusionnel constitué de racines éparses et le récit de la création de sa création. Il y a toujours du mythe, pour un artiste et surtout pour un peintre, dans l'élaboration de son oeuvre. Parler de la création c'est avant tout décrypter sa création. Reconstituer de bric et de broc les morceaux de la Chimère, c'est compter les abattis de sa peinture. Chez Hatem, faire de la céramique avec du papier, de la peinture avec du dessin, de la cartographie avec des légendes, du personnel avec du général, est une façon de questionner le monde, celui de l'histoire de l'art et de ses sources complexes qui se répercutent toujours en un point ou l'autre, celui du monde d'aujourd'hui et de ses problèmes sans résolutions immédiates possibles.
François Bazzoli, automne 2000



Vue d'atelier



« Always several coats for the background. First a yellow water-color then an oil-based white after which some red watercolor, a racial combat : white eats yellow, red eats white. Hatem Akrout then paints shapes in oil ; and he mixes everything with a rag. Hatem has made his bed ».

Jean Pierre Ostende, 1990.



« Over ten years of patient work to bring into being his own language where the trace is the syntax, emulsion the grammar, and the signs borrowed from his Carthaginian roots the vocabulary ».


Dominique Legros, 1997



« Akrout's painting is first approached with the senses. Without an abusive use of material, without overly demonstrative effects, it attracts through its simplicity : elementary signs deployed in small formats , more or less figurative scenes ( bodies, kisses ) in larger formats, earthen colors mixed with water, primary colors laid on the wood ».


Yves Gerbal, 1996



« ... fearing the void, he covers. Fearing the static : he sets in motion (anti-still life). A fear of death painted.
I don't think he tries to exorcise or tame death.
I think he tries to paint what we've forgotten : the surprise, the crispness of the gallop ».

Jean Pierre Ostende, 1990


What Hatem Akrout tells us lies between the edification of a fusional myth constituted of sparse roots and the story of the creation of its creation. There is always myth, for an artist and especially a painter, in the making of a work. To speak about creation means above all to decipher its creation. To use odds and ends to put the pieces of the chimera back together, amounts to counting the limbs of one's painting. For Hatem, making ceramic with paper, painting with drawing, cartography with legends, the personal with the general, is a way of questioning the world, that of art history and its complex sources which always reverberate in one point or another, that of the world today and its problems without immediate resolutions possible.

François Bazzoli, automne 2001






Techniques et matériaux


émulsion ( huile, eau et acrylique ) sur papier / emulsion on paper (oil, watercolor, acrylic)
toile / canvas
bois / wood
céramique / ceramic
Mots Index


trace / trace
mémoire / memory
corps / body
émulsion / emulsion
sens, sensualité / senses, sensuality
champs de références


Les écrits de Matisse / Matisse's writings
Le sexe et l'effroi, Pascal Quignard
Livres sur la mythologie / Books on mythologie
repères artistiques


Giotto, Henri Matisse, Pierre Alechinsky, Gustave Courbet, Rembrandt