| Pour George Dumézil, un aspect important de l'histoire culturelle de l'humanité concerne les transformations par lesquelles les mythes, d'essence religieuse et sacrée, sont devenus des récits profanes et laïques (Mythes et contes p30). Le mythe étant considéré par Antoine Faivre comme des représentations collectives à caractère envoûtant ou obsédant, qui se rejouent aujourd'hui telles quels ou se diluent dans des histoires qui nous semblent plus proches que celles la Grèce antique. Et c'est bien la déchéance d'un monde privé de ses dieux qui se joue dans les dernières oeuvres de Laurent Perbos. Des statues hellénistiques versent les larmes d'un monde déchu, d'un ciel creux, dépourvu de ses fastes (Niobé). Déréliction des personnages d'une histoire où les arcs-en-ciel se sont brisés, la chute des éléments, où des oiseaux, figés dans le plâtre pleurent leurs chants d'avant, Birds. Oxymore résonne comme les vestiges d'un monde disparu, oublié dans la fougue d'une végétation qui le phagocyte, trésor en puissance d'un potentiel explorateur. Mais c'est aussi le monde des mythes, qu'ils soient grecs ou chinois, avili par la contemporanéité. Un monde de toc, de théâtre en carton pâte où les marbres sont devenus plâtres, les pierres précieuses du plastique, les ruines des parpaings et les pommes d'or du jardin des Hespérides des plantes vertes de chez Jardiland. Une sorte de tragédie grecque où la dramaturgie sonne faux... Une nouvelle beauté contemporaine, qu'il vaut mieux ne pas déplorer et apprendre à regarder...
Céline Ghisleri, 2014
Extrait du texte « Des escalators aux chariots ailés... » de Céline Ghisleri, pour l'exposition Il y avait une fois... au Musée d'Art Contemporain de Châteauneuf-Le-Rouge, 2014
Laurent Perbos utilise majoritairement les matériaux issus de l'industrie du loisir (sport, bricolage, décoration) pour matérialiser des visions poétiques, relectures contemporaines d'émotions séculaires dont il considère qu'elles sont le fondement du désir de représentation. Ainsi la peur, la colère, l'émerveillement ou le rire se déploient dans des arrangements de matières artificielles aux couleurs saturées, fortement narratifs. Car Laurent Perbos raconte des histoires : de celles que le gamin chanceux se promet devant sa boîte de Caran d'Ache neuve. En bon post-moderne, il remixe pêle-mêle paysages fantastiques (tremplins sportifs démesurés de type « Jacques et le haricot magique », scènes de chasse exotiques...), ersatzs de nature modifiée (arcs-en-ciel brisés, rochers inquiétants, souches psychédéliques...), et références à une histoire de l'art classique (le « Martyr » de Saint Sébastien) et conceptuelle (les « Compositions » de Mondrian) avec malice ou gravité, c'est selon.
Alors chez Perbos, comme chez Walt Disney, on pleure en technicolor.
Dorothée Dupuis, 2012
« Des sculptures anthropomorphiques qui au premier coup d'oeil évoquent quelque chose de familier sans que l'on puisse le définir avec certitude...
Notre première impression, dans une exposition de Laurent Perbos, est celle d'un plaisir esthétique certain. Depuis ses premières pièces, le plasticien ne déroge pas au traitement de la forme qui ne prévaut cependant pas sur le propos de ses sculptures. Certes, le travail de Laurent Perbos s'articule autour de la forme et de la matière. Ces deux composantes sont traitées l'une et l'autre comme une fin en soit, une finalité plastique. Une harmonie des proportions, un soucis des qualités plastiques intrinsèques aux matières qu'il utilise, le tout accentué par une charte de couleurs pop, acidulées, qui rappellent celles utilisées par l'industrie du jouet. Les oeuvres de Laurent Perbos s'inscrivent dans la pure tradition de l'assemblage, largement utilisé par les nouveaux réalistes. C'est une démarche artistique « qui ne boude pas son plaisir », qui assume son coté esthétisant parce qu'elle ne se limite pas à cela. Quand bien même ses sculptures ne raconteraient rien d'autre, le plaisir esthétique serait déjà une expérience suffisante, car celui-ci est autant une expérience de l'art qu‘une expérience de soit même ... Mais le recours à l'assemblage préconise l'utilisation d'objets existants pour rendre la réalité de leur temps. Ainsi, l'artiste opère un curieux mélange entre le réel, celui des objets du quotidien et le merveilleux, les références au mythe, à la fable. Laurent Perbos utilise l'objet comme un élément de composition de base, une sorte de vocabulaire plastique usité. Héritier du ready-made, il réutilise un objet manufacturé, (tuyaux d'arrosage, sandow, balle de tennis) et lui impose une nouvelle finalité. Ainsi ce n'est pas seulement la forme qui se retrouve au service d'autre chose, mais la place que l'objet occupait dans l'inconscient collectif populaire.
Souvent, les expositions des Laurent Perbos sont construites comme un conte initiatique. On évolue dans un monde imaginaire, dans lequel les objets prennent vie grâce au contre emploi que l'artiste leur inflige. Il utilise des images symboliques ou allégoriques comme l'arc en ciel, l'arbre, ou un personnage mythologique et leur invente une histoire. C'est cette histoire qui implique un sentiment et de fait opère une personnification du sujet. Laurent Perbos joue sur des idées, sur des représentations... Il utilise des procédés littéraires ou poétiques, comme l'oxymore, la métaphore et crée des images ambivalentes aussi bien mentales que visuelles. La chute des éléments en est l'un des exemples le plus poétique. L'arc en ciel, « pontifex » entre l'homme et dieu, a chut et s'est brisé. La pièce évoque sans doute nos illusions perdues, une représentation d'un solipsisme affirmé...
Pontifex : celui qui fait le pont entre les dieux et les hommes Solipsisme : théorie philosophique selon laquelle l'esprit est la seule chose qui existe réellement et le monde extérieur n'est, selon cette conception, qu'une représentation...
Céline Ghisleri, 2010
Extrait d'un texte de Céline Ghisleri, pour l'exposition Tout l'univers au Centre d'art contemporain Intercommunal Istres, 2010
Laurent Perbos appartient à cette génération d'artistes trentenaires qui plient la banalité et l'environnement quotidiens aux exigences de l'examen critique et à l'urgence de leur dénaturalisation (c'est aussi l'objectif que Roland Barthes assignait à ses Mythologies: combattre la doxa). Dans un constant va et vient entre des prélèvements de motifs et leur réinjection, mais modifiés, dans le réel, Laurent Perbos, en accentuant la rupture que suppose tout processus de représentation, ouvre une large brèche où flotte l'incertitude.
Jean-Marc Huitorel, 2007
Extrait d'un texte de Jean-Marc Huitorel tiré du catalogue de l'exposition Mimétic, Château de Tanlay, Centre d'Art Contemporain de l'Yonne, 2007
Travaillant des champs et des médiums divers et diversifiés, ses entreprises plastiques touchent principalement à des activités de masse et de divertissement, issues de cultures populaires (tel le jeu, le sport, le bricolage, etc.), à ce qu'il appelle des «mythologies sociales». Pratiquant le leurre et le simulacre, l'esthétique de l'échec ou de l'idiotie, il interroge les possibilités interrelationnelles et ludiques de l'art, et s'approprie, avec ironie et dérision, le domaine des pensées collectives qu'il fait support de son travail. Usant des déplacements et des décalages pour mettre en question son environnement et perturber l'ordinaire, il fait du détournement un véritable système de travail.
Dans ses dernières oeuvres, son travail semble prendre une nouvelle épaisseur. Conscient des limites du seul effet insolite et éphémère généré par le simple geste de détournement, l'accent est alors mis sur les propriétés et les composantes plastiques des objets familiers, leur charge poétique, leur potentiel de représentation. Il s'agit de faire disparaître les caractéristiques de l'objet en lui-même, l'appréhender comme matière première à un travail de sculpture pour arriver sur le terrain de l'abstraction et des évocations. Si les titres de ses oeuvres lancent des pistes, elles n'en restent pas moins indéterminées, et ouvertes à un jeu d'associations plus ou moins justes. Les oeuvres de Laurent Perbos tendent à s'interroger sur la manière dont les choses de l'ordinaire, une fois revisitées par les gestes de l'art, et réinjectées dans les lieux qui lui sont dévolus, peuvent se redonner à voir, autrement, comme images.
Leila Quillacq, 2007
Extrait d'un texte de Leila Quillacq, pour l'exposition Marseille Artistes Associés 1977-2007 au Musée d'Art Contemporain de Marseille, 2007
L'économie de la pratique de Laurent Perbos s'inscrit dans un registre de références populaires qui tendent à faire partager une certaine complicité entre oeuvre et public. Comme le montrent ses réflexions autour de la peinture, la pratique de Laurent Perbos interroge la radicalité. Comment peut-on avoir une réponse radicale avec le vocabulaire du quotidien ? Comment un artiste répond-il aux flux des images que véhicule le monde des fantasmes codifiés par des stratégies de compétition, de marketing ? Après avoir réintroduit des objets détournés par l'art dans le champ de la réalité, l'espace public par exemple, où l'usage pragmatique tente de reprendre le dessus, l'artiste s'emploie aujourd'hui à ouvrir ses interrogations. Si l'objet, pense-t-il, permet d'avoir une connivence avec ses contemporains, une fois l'utilisation détournée constatée, la proposition s'arrête d'elle-même. L'opération est simple et très efficace, mais tel un effet s'arrête dès son utilisation.
Pour lui, les effets sur des objets détournés ne sont plus à assumer aujourd'hui par l'artiste puisqu'ils sont très bien pris en charge par les infographistes, par exemple, qui maîtrisent parfaitement l'image. Laurent Perbos, au lieu de se focaliser sur un objet précis qui appelle une action et donc une réaction, préfère, au risque de perdre une certaine efficacité, laisser une prise au flou et à l'indéterminé.
Lise Guéhenneux, 2006
Extrait d'un texte de Lise Guéhenneux tiré du catalogue de l'exposition Atone+, Galerie des Remparts, Toulon, 2006
La critique joyeuse et décalée de Laurent Perbos s'exerce sur des champs très divers mais qui touchent aux activités sociales de masse et de divertissement, le tout dans une logique du détournement et dans la recherche d'une distinction inédite quoique dérisoire. Le plus fécond de ses domaines d'intervention est sans conteste le sport. Il s'y adonne à une fiévreuse activité de relookage des objets et, partant, des pratiques ; et ce design improbable donne naissance à des objets plus improbables encore mais qui ne perdent jamais le contact avec la réalité et le contexte dont ils procèdent. Détenir des records dans des activités vierges de toute concurrence est l'une de ses activités favorites (Le plus grand nombre de bonnets mis sur la tête est digne du Guinness Book). Ainsi de ce Plus long ballon du monde (2003) qui lorgne du côté du sport autant que de la génétique ; ou encore ce ballon en béton, très ambivalent dans sa drôlerie et la menace potentielle qu'il représente.
Jean-Marc Huitorel, 2005
Extrait d'un texte de Jean-Marc Huitorel tiré du catalogue de l'exposition Sportivement vôtre, Domaine de Chamarande, Essonne, 2004
C'est encore en utilisant l'humour, mais cette fois teinté d'une pointe de cynisme, que Laurent Perbos détourne certains objets courants pour les inscrire dans une réflexion sur la sculpture contemporaine. Afin d'évoquer la place de l'art dans un « tout culturel », il décide de s'attarder sur un objet universel, immédiatement identifiable, exemplaire dans sa simplicité et dans sa popularité, tout à la fois élément de loisir et théâtre d'épreuves olympiques : la table de ping-pong. Détourné de plusieurs manières, l'objet conserve cependant ses codes les plus évidents et n'interdit jamais le jeu. Près d'une demi-douzaine de ces sculptures existe (Un autre état d'esprit, 1999, Console, 2002, Ping Pong Pipe, 2003, Sauvetage, 2002, M. J. C., 2003, J. O. , 2003) chacune renvoyant le joueur à sa distraction par le truchement du faux rebond et rend improbable toute pratique habituelle. Cette série d'oeuvres exprime ainsi ce que pourrait être l'art aujourd'hui : d'abord familier voire banal, praticable et participatif, il permet finalement de repenser la manière d'appréhender notre environnement. En recherchant la place que l'artiste occupe aujourd'hui, Laurent Perbos découvre la valeur de l'idiotie telle que la décrivent le cinéaste Lars Von Trier ou le critique d'art Jean-Yves Jouannais2 : souvent décalée, parfois joyeuse, et finalement presque toujours pertinente.
Thomas Bernard (Galerie Cortex Athlético), 2005
Extrait d'un texte de Thomas Bernard (Galerie Cortex Athlético) Les olympiades absurdes de Laurent Perbos, publié dans la magazine « Le Festin », Hiver 2005
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