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| Texte de Christel Roy, responsable du Musée du Pavillon de Vendôme, Ville d'Aix-en-Provence, extrait in 30 ans et après, catalogue de l'exposition collective, Hôtel des arts, Toulon, 2018
Jouant du réseau et des connexions, l'oeuvre de Sophie Menuet est une oeuvre polymorphe et protéiforme. Matières, techniques, textures, assemblages, détournements, nous transportent dans son monde bien particulier, qui peut être à la fois jubilatoire ou effrayant, plein d'humour ou de torpeurs.
Dans les oeuvres présentées ici, la question du corps est omniprésente. Qu'il soit figuratif, abstrait, absent, abîmé, mutilé, morcelé, transformé, détourné, prolongé, objectisé, embryonnaire, hybride, le corps devient à la fois support, contenant et contenu. L'installation Armuratou, composée de sculptures-reliefs, nous renvoie au monde médical, ou au corps en mutation. Extension du corps, ces prothèses, objets surréalistes révèlent le corps dans sa multiplicité et dans son hybridation. Tous à l'échelle un, la plupart peuvent être portés et sont fonctionnels...fonctionnalité décalée. Harnais à clous, Machine à vue, Casque-pompe, Buste-tétines...à première vue effrayant par l'utilisation des bandes de métal et des rivets qui renvoie aux objets de torture, mais tellement poétiques par le détournement et l'assemblage des matériaux : pampilles, sac à main, bonnet de douche, plumes... qui contrebalancent la rigidité et la froideur du métal. Nous percevons réellement la jubilation de l'artiste à inventer de telles protubérances et extensions corporelles, un amusement partagé.
Par la manière et la technique dont ces sculptures-reliefs sont réalisées et assemblées, nous percevons au delà deux éléments constitutifs de l'oeuvre de Sophie Menuet : réseau / trame / couture et dedans-dehors / passage ; que nous retrouvons dans l'ensemble de ses oeuvres depuis des années, un fil rouge qui lie et déploie son travail dans toute la diversité des médiums utilisés : dessins, vidéo, sculptures, photographies.
Texte de Caroline Clément, in La nuit ouverte catalogue de l'exposition, La POPARTs - Centre d'art contemporain intercommunal, 2015
Sophie Menuet développe une oeuvre d'une insolente étrangeté...
Elle introduit dans le monde de nos perceptions visuelles de nouvelles espèces, qui sont autant d'extensions du genre humain : mutants, avatars, ou démiurges ? Dans ses réalisations/transgressions, le corps et le visage apparaissent comme des formes anatomiques vouées à la défiguration, et à l'hybridation. Les diverses pièces, photographies, et objets présentés, à la fois mystérieux et familiers, possèdent une dimension auto biographique qui accentue un sentiment d'inquiétude, ce que Freud appelle: l'Unheimlichkeit...Ils interrogent le « moi », l'autre et au-delà. Ils engendrent ainsi des fictions souterraines, et des images mentales fantasmagoriques dérivant dans une sorte d'entre-deux.
Quand on pénètre les lieux de l'exposition, on est frappé par l'atmosphère étrange qui s'en dégage. La galerie est conçue comme une succession d'ambiances qui se modifient de pièces en pièces. La lumière du jour y est raréfiée, et on passe d'un premier espace nimbé d'un curieux éclairage quasi aquatique aux autres pièces de plus en plus sombres. On peut penser aux cabinets de curiosité, ou à certains sanctuaires. Les oeuvres apparaissent ainsi plus saisissantes encore, telles des apparitions, isolées dans leurs sources lumineuses. Elles semblent en dialogue les unes avec les autres et deviennent expansives, génératrices de jonctions avec nos pensées intimes ou nos représentations ordinaires. L'artiste scénarise une galerie de portraits et d'êtres qui sont autant de doubles imaginaires, de personnages androïdes, ou bioniques. Ces divers hybrides qu'invente Sophie Menuet tiennent à la fois du mécanique et du chimérique moderne, entre obsessions, et l'humour des cadavres exquis : leurs corps polymorphes semblent peupler les lieux de leur ironie, mais aussi de leurs mystères. Reproductions poétiques d'expérimentations de laboratoire ou fictions spatio-temporelles ?
Cette mise en scène, comportant aussi quelques objets fictionnels ou usuels ( guéridons, tables basses...), exploite les thématiques récurrentes de l'artiste, développées autour de principes de polarités : le simple et le complexe, les ressemblances et les différences, l'ombre et la lumière , le secret et le révélé, le féminin et le masculin . Constituées de tissus, prothèses, parures ou carapaces, ces créatures données à voir, toutes différentes, étranges chimères de vertébrés et d'invertébrés, évoquent la mort, mais aussi la vie, une vie à rebours de l'évolution. Le travail de l'artiste explore la nature humaine dissimulée en chacun de nous, les limites de notre espace mental ou physique, et les constructions culturelles qui définissent des concepts tels que la terreur, la folie et la métamorphose. Son art, nourri de songes et de cauchemars, procède d'une poésie des contraires où les corps imaginés de ses sujets photographiés, dessinés ou animés, expriment l'exploration permanente de l'art et de ses limites. Par associations, attractions ou tensions, les différentes oeuvres et pièces installées se répondent, s'activent et mettent en mouvement une succession de récits, ou d'histoires potentielles engendrant une multiplicité de lectures ; elles balisent ainsi un parcours sensoriel qui agit sur le spectateur comme catalyseur de sens et d'interprétations. L'oeuvre de Sophie Menuet suscite une réflexion trouble sur l'identité et l'altérité, sur la mémoire, et les archétypes. Ses réalisations, telles des oxymores, constituent ainsi une sorte de vanité moderne, dressée dans un décor d'une délicate et transgressive poétique.
Olivier Lossi : Crier dans la forêt, tout seul, en plein jour, in catalogue Effroi et Satin, catalogue de l'exposition, Villa Tamaris Centre d'Art, 2012.
Il serait aisé de faire un examen rapide de l'oeuvre de Sophie Menuet et dire que l'artiste trouve les racines de son travail dans les histoires que jadis l'on se racontait au coin du feu. Pourtant, l'oeuvre de cette artiste ne puise pas son inspiration dans la classification Arnae-Thompson mais dans un imaginaire qui lui est propre et qui relève d'inspirations plus personnelles, plus prosaïques voir spirituelles et pourtant issues d'une imagination créative digne des contes et des légendes de l'humanité.
Pour Sophie Menuet, il est peut être question de sérendipité ou comme l'écrit Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, d'une rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. Au travers de son oeuvre, le spectateur perçoit un profond questionnement sur le monde qui nous entoure mais aussi sur de vraisemblable monde parallèle, sorte de réalité déformée à la manière de celui décrit dans 1Q84 . Le monde de cette artiste lui est propre et cela prouve la singularité de son oeuvre et la qualité plastique de son travail.
L'utilisation du textile, de la couture, de la broderie, disciplines souvent reléguées au rang de passe-temps pour « bonne-femme » prennent avec Sophie Menuet un sens artistique faisant d'elle une véritable sculptrice. Que ce soit du marbre ou du tissu, le travail reste le même, savoir extirper de la matière, la forme unique que constituera l'oeuvre finale.
Dire de l'oeuvre de Sophie Menuet qu'elle est figurative relève plus d'un constat anthropomorphique que du polythéisme antique. Et même s'il semble que l'on puisse déceler de l'anthropomorphisme dans cette oeuvre, elle nous invite plutôt à le considérer sous un jour différent. Peut-être faut-il alors parler d'anthropothéisme car il est question de la représentation d'entité naturelle (et non pas surnaturelle), réaliste (et non pas surréaliste), moniste (et nom pas dualiste) s'incarnant dans des formes attribuant des caractéristiques morphologiques divines.
Les vêtements-sculptures de Sophie Menuet prennent alors un sens tout particulier : ils sont les réceptacles de corps où figure le divin et en poussant plus loin l'analyse, ils incarnent la chair de l'homme et par là même sa tristesse. Car sous le vêtement, il y a le corps, la chair donc le plaisir charnel et la concupiscence... Et Sophie Menuet questionne ainsi à la manière des monomanies décrite par Gaëtan de Clérambault le pouvoir érotique des étoffes. *** Sophie Menuet fabrique-t-elle des vêtements pour couvrir ce sein que nous ne saurions voir ou pour habiller les corps de quelques dieux déchus d'un paradis ? Toujours est-il que ces corps-vêtements, vêtements-sculptures et accessoires nous plongent dans des ambiances d'inquiétantes étrangetés que Freud nomme unheimlich. Ses oeuvres sont dignes de figurer dans la chambre rouge de l'univers cinématographique de David Lynch, là où l'on peut percevoir les deux faces du monde. L'artiste sublime ses obsessions et nous plonge, entre conscience et inconscience, dans un univers comminatoire.
Pourtant l'artiste ne puise pas son inspiration que dans ses propres cauchemars ou traumatismes mais aussi dans un monde ou s'entrecroiseraient le péché originel issu des tableaux de Jérôme Bosch, des corps-armures trouvées dans un album de bande dessinées de Marvel comics, des personnages proches des destructeurs « Dieux-Guerriers » d'Hayao Miyazaki ou des sphinx doux. Cet univers est une sorte de fantaisie piquante comme les sculptures du même nom dansant un petit ballet sentimental dans un monde fragile, étrange souvent, inquiétant parfois, poétique à coup sûr dont l'artiste tente de tenir ensemble tous les fils.
Le travail de Sophie Menuet est un beau mélange de précision du geste, d'impertinence feutrée et de rire désabusé. Manière de crier dans la forêt, tout seul, en plein jour que le monde est cruel...
Formée à l'École supérieure d'art de Toulon et à l'Université de Provence (Aix-Marseille 1) en arts plastiques Le travail de Sophie Menuet depuis plusieurs années s'inscrit dans la continuité des travaux prenant appui sur la notion de mémoire. L'échange avec une ou plusieurs personnes est souvent le point de départ de sa production. Sa démarche tend vers des questionnements sur la relation au corps et à l'intimité du vêtement. Ses travaux abordent la ritualisation des gestes associés à des matériaux ou des objets utilisés dans le quotidien. Le tissu, matériau privilégié est un témoin imprégné d'une histoire. Il émane de nombreuses pièces l'accentuation du détail. Ses installations (vidéo, performance, objet) sont en relation l'espace et le corps. Son travail est présenté dans de nombreux espaces d'art contemporain, parallèlement elle participe à la scénographie et à la vidéo d'une création théâtrale "La mémoire et l'écume" de Francine di Mercurio et elle crée des costumes pour des spectacles vivants.
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| Raoul Hébréard :Travelling, 2008
Sophie Menuet proposes to our eyes a work that invites us to different “trips”; her pieces seem to be suspended in a timelessness which questions our generic memory as well as our selective memory. They remind us of a preoccupation about art history, of a connection to a strong pictoriality without using any paint, of a perception of the present, of a presence/absence of the femininity in our world. She speaks to us of the body and its “dressing”, of carapaces with their form memory, of protection. Her materials and creation stands are multifarious, she subjugates them to what she wants to tell us. The materials employed often carry stories, memories, and she uses them with a working precision, an abundance of details which guides us in a fractal universe, from detail to totality, and vice versa. She practises sculpture, drawing, video, photography as well; all these media create a cosmogony and reflect her interrogation about the place of the “man”, body and individual, in the world that surrounds us. (traduction : Serge Baudot, Ecrivain, traducteur, journaliste à Jazz-Hot)
The belly of the sea, from " Crier dans la forêt, tout seul, en plein jour "
in catalogue Efroi & Satin, Villa Tamaris centre d'art, Olivier Lossi, 2012
Does Sophie Menuet make clothes “to cover this breast that we shouldn't be seeing”, or to dress the bodies of some gods dethroned of a paradise? Anyway, these body-clothes, clothes-sculpture and accessories put us in strange disturbing atmospheres. The artist sublimates her obsessions and puts us, between consciousness and unconsciousness, in a comminatory universe. Nevertheless the artist not only take her inspiration in her own nightmares but in a world in which would intertwine the original sin from Jérôme Bosch paintings, bodies-armours found in a strip cartoon of Marvel Comics, or the characters close to the destructive “God-Warriors” from Hayao Miyazaki. (traduction : Serge Baudot, Ecrivain, traducteur, journaliste à Jazz-Hot)
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Techniques et matériaux
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Couture, broderie, dessin, sculpture, installation, photographie, vidéo, performance. Textile, papier, métal, objet recyclé | |
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Mots Index
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Vêtement-sculpture Sculpture-relief Classement Mémoire Morcellement Installation - empilement | |
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champs de références
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Georges Vigarello
Sergueï Paradjanov
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repères artistiques
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Kiki Smith Sophie Calle Louise Bourgeois Richard Deacon | |
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