Christian VIALARD 

Macula

La macula est une petite zone du fond de la rétine, dans l’axe de la pupille. Elle est le lieu de la concentration maximale de la vision, l’axe du regard en quelque sorte. Tous les objets comme toutes les images passent par les petits cônes qui la constituent et la dépression centrale qui la caractérise. Christian Vialard donne ce nom à une série d’impressions noir et blanc sur papier où se juxtaposent et se superposent des photographies noir et blanc dont la définition laisse clairement voir la trame. Ici rien n’est très lumineux, au contraire, les images sont organisées de manière à faire tache (la macula, non plus comme tache ou point de l’œil, mais souillure sur le papier).

A manipuler ces grandes planches – elles font toutes 70x100cm – on pourrait penser tenir en main des sérigraphies noir et blanc de photographies d’articles de journaux. La forme est trompeuse ! Elle ne dit mot du procès. Non que le résultat formel ne soit pas important pour Christian Vialard, mais le processus est non seulement plus riche d’enseignement, mais aussi la clé. On sait depuis Bruce Nauman et Richard Serra que la sculpture tient davantage dans son procès que dans sa forme – en tous les cas pour des sculpteurs qui traitent des questions de sculpture et non des questions d’image ! Pour la peinture la relation entre le procès et le résultat et la prééminence de l’un sur l’autre, sont plus ambiguës. Pour prendre l’exemple de Georg Baselitz, l’un est l’autre sont lié au point de ne pouvoir être dissociés. La forme n’est finalement que l’intermédiaire, l’interface pour reprendre un terme des nouvelles technologies, entre le processus artistique et le spectateur.

Revenons à l’œuvre. Plusieurs images juxtaposées, superposées, se brouillent les unes les autres, quand elles ne sont pas positionnées dans des sens opposés. Et si l’on considère le titre de la série, il s’oppose totalement par sa référence, au delà de sa nature biologique, à la clarté de la perspective, son existence comme point de réception des lignes de fuite. Et c’est là où l’œuvre articule forme et procès. Dans une première étape, les images sont pour ainsi dire cueillies au fil des déambulations de l’artiste sur le net puis traitées en noir et blanc et de manière à laisser apparaître la trame. Une deuxième étape fait intervenir une machine et son conducteur. Christian Vialard fournit à l’imprimeur les fichiers des images et le conducteur de la machine imprime dans le sens qu’il souhaite la première de ces images avant d’engager les autres (4 ou 5 maximum). Le problème rencontré est que la machine, comme nombre de nos machines ultra-sophistiquées, possède un système de reconnaissance pour éviter d’imprimer sur une image ou un texte déjà imprimés. C’est alors au conducteur non pas de trouver la solution, mais plus exactement d’engager un véritable dialogue avec la machine pour qu’elle accepte de faire ces maculæ, ces superpositions d’images. A lui d’engager le papier de telle manière que la machine accepte d’imprimer.

L’intervention du conducteur de l’imprimante est aisément analysable comme une phase de postproduction où le donneur d’ordre choisit de laisser l’œuvre entre les « mains expertes » du technicien, au soin de son expertise. Alors est-on face à une peinture de postproduction ? Rien d’évident. Je pense tout d’abord qu’il est difficile aujourd’hui de parler d’un travail par le seul médium générique qui permettrait de le classer. Je pense que nous sommes dans une ère du dépassement du médium, qu’un autre terme travaille l’art comme il œuvre à remodeler le lien social de nos sociétés. Ce terme est « multimédia ». Certes il renvoie en premier lieu aux technologies nouvelles, à la multiplication de leur application, leur combinaison et leur convergence. Mais il renvoie aussi à un modèle où s’organise un flux à partir de plusieurs points de diffusion agissant dans des domaines différents et à des niveaux différents. Il ne s’agit pas d’un glissement de sens, mais d’un constat. De plus en plus d’artistes jouent de la convergence de plusieurs médias pour cerner les questions en jeu dans leur travail. Cela signifie t’il qu’il n’y a plus de peinture ou de sculpture ? Non plus ! Je crois qu’il y a une nécessité de penser les différents média en terme de mouvement, de flux, et une nécessité de les dépasser. Ils sont les éléments d’une combinaison d’expression. Daniel Birbaum dans son texte de présentation de la 53ème Biennale de Venise exprime un point de vue similaire : « Ainsi, l’examen de la peinture au delà de sa spécialité, tourne autour de l’idée que le medium n’existe plus comme un mode d’expression circonscrit ; il apparaît plutôt comme une zone de contagion, étendant constamment ses activités et élargissant sa portée. »*

Le travail de Christian Vialard participe de cette combinaison de média. Il peint sur toile, avec ou sans machine, il intervient dans l’espace avec le son, la lumière et des combinaisons d’objets. Son travail utilise également les médias : ses compositions sonores tiennent une place importante dans ses productions – il est par ailleurs le directeur artistique du label de musique Tiramizu –, il utilise le net comme source première d’images et d’éléments qu’il réutilise dans les autres supports. Mais surtout, et ce point est capital, il crée un flux qui irrigue ses différents supports. Et finalement qu’exprime t-il au delà du flux ? Je crois qu’il parle de fantômes, de ces images spectres tellement usées par leur multiplication sur l’écran qu’il ne reste que quelques ombres sur la toile, des lignes dans la matière peinture, qui se superposent sur le papier pour ne laisser rien d’autres qu’un amas noir d’encre, ou un son continu auquel l’oreille s’habitue mais dont on s’apercevra plus tard qu’il s’est modifié.

La peinture de Christian Vialard propose une diffraction de l’espace pictural en puisant aux sources sans fin des flux d’information. Elle se déploie à partir de ces images trouvées aussi bien sur toile que dans la lumière d’un espace clos ou le son d’un espace urbain. C’est d’hypnose dont il nous parle, celle de la peinture et de l’écran sans doute, mais plus sûrement de l’hypnose de nos sociétés occidentales. Une hypnose où l’on perd pied, où le regard tourne dans tous les sens comme ces impressions noir et blanc que la machine exécute. Images rendues à leur simplicité structurelle, échouant sans force sur la page blanche, elles sont le bruit de fond de ce flux permanent qui ceint le globe.

Jean-Marc Avrilla
15 juin 2009

*traduction de l’auteur

 
Macula 2010
Tirages numériques sur papier Arches, 70 x 100 cm

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Macula 2010
Tirages numériques sur papier Arches, 70 x 100 cm

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Macula 2010
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Macula 2010
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Macula 2010
Tirages numériques sur papier Arches, 70 x 100 cm

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